Loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 : débat sur l’assurance maladie

Publié le 15 novembre 2005 à 16:46 Mise à jour le 8 avril 2015

Les craintes que nous avions énoncées l’an dernier se confirment malheureusement, votre réforme de l’assurance accroît les inégalités et concourt durablement au démantèlement du système de santé de notre pays.

Vous prévoyez de réduire les dépenses de 25%, et pour cela vous poursuivez la hausse des prélèvements et la réduction des remboursements.

Le rapport de la Cour des compte de septembre dernier est pourtant est sans appel : la réforme de l’assurance maladie n’a non seulement eu aucun effet sur les comptes sociaux, mais les chiffres disponibles aujourd’hui font plutôt preuve de son inutilité.

C’est pourquoi, vous procédez méthodiquement : après avoir prélevé le maximum sur les assurés sociaux, vous vous apprêtez à réduire de manière drastique des moyens de l’hôpital public, ou du moins ce que vous en avez laissé.

Pour parvenir à vos fins, vous faites un usage accru de la culpabilisation et de la menace, avec le renfort d’un formidable battage idéologique et médiatique mensonger et culpabilisant que je ne peux m’empêcher de mettre en parallèle avec la chasse, elle aussi sans précédent, aux chômeurs et bénéficiaires de minima sociaux organisée par le gouvernement de M. de Villepin.

L’obligation de choisir un médecin traitant, la question du parcours de soins, les questions récurrentes autour du sort réservé à la carte Vitale et la mise en place du dossier médical personnalisé : toutes ces actions ou projets marquent la volonté d’un gouvernement qui prétend faire la chasse aux hypothétiques assurés fraudeurs, assurés gaspilleurs, médecins trop prescripteurs. A Lyon se développe le contrôle des arrêts maladie par des entreprises privées !
La société SYNEANCE, bien placée sur ce nouveau "créneau" lance l’offensive contre les salariés fraudeurs en estimant que 50% des arrêts qu’elle contrôle sont injustifiés !

Une politique du médicament en pleine incohérence

Vous déremboursez 156 médicaments, parmi les plus utilisés pour les troubles quotidiens, alors qu’ils continuent à être prescrits. Or, je le répète, cette année encore, si un médicament est à SMR insuffisant, il est inutile et il convient de le retirer du marché plutôt que de créer une nouvelle classe de médicaments remboursables à 15% dont les mutuelles refusent la prise en charge complémentaire.

Je voudrais également revenir sur le développement du médicament générique. Si l’idée était bonne à l’origine de faire tomber plus vite le médicament dans le domaine public pour baisser son prix de 20 à 30% par rapport au princeps, il est tellement aisé de contourner cette règle que vous ne maîtrisez plus rien.
Il suffit qu’un laboratoire modifie à la marge la molécule princeps pour faire durer son brevet.
Il faut par ailleurs noter que de nombreux génériques sont fabriqués en Chine, en Inde, en Thaïlande et au Brésil, sans véritable garantie de la qualité des composants, au détriment de ceux de nos laboratoires français qui les fabriquent eux-mêmes.

Il nous semble donc urgent de modifier la législation relative aux médicamentes et de lancer une politique contractuelle avec les laboratoires.
Je ne possède pas de solution miracle mais je pense qu’il doit y avoir moyen de favoriser une baisse des prix des médicaments, d’inciter les laboratoires à s’orienter vers la recherche, vers l’innovation, dans des domaines tels que la démence, le cancer, l’arthrite...où les besoins sont criants.
Nous ne pouvons en effet plus accepter que, sur les quelque 500 médicaments qui sortent sur le marché chaque année, moins de 5 % correspondent à de véritables innovations.

L’hôpital sinistré

Economies, rationnement de soins, régulation comptable... la réforme lancée par le plan Hôpital 2007 se poursuit par une montée en charge des assurances complémentaires privées et l’offensive des cliniques privées.
L’hôpital prévient de son asphyxie depuis des mois, je dirai même des années, sans susciter la moindre réaction du gouvernement. C’est une crise historique.

Avant l’été, la Fédération Hospitalière de France
avait alerté la Haute autorité de santé sur l’insuffisance de l’ONDAM hospitalier.
Aujourd’hui, le déficit cumulé de l’hôpital public devrait dépasser 1,2 milliards d’euros et l’on estime à 500 millions le report des charges de 2004 sur 2005, le milliard fin 2006.

Une procédure budgétaire chaotique et le sous-financement chronique des hôpitaux se conjuguent toujours plus durement aux difficultés engendrées par la mise en œuvre de la T2A.

Dans le même temps, la CNAMTS - dont je suis assidûment les travaux à l’invitation de M. Frédérik Van Roeckegem, pointe, dans son rapport au parlement, une « forte dérive » des dépenses hospitalières et préconise l’extension de la maîtrise médicalisée des dépenses à l’hôpital.

C’est proprement inacceptable.

Lorsque l’on sait que la montée en charge de la tarification à l’activité va accentuer la crise profonde que vit l’hôpital public, que les fermetures de services comme les blocs opératoires préfigurent sans doute de nouvelles fermetures d’établissements.
A travers cette crise de l’hôpital, c’est le principe même de l’universalité du service public qui se trouve mis à mal.

Dans mon seul département, les exemples foisonnent : Les hôpitaux sont tous dans le rouge. Les Hospices Civils de Lyon, deuxième centre hospitalo-universitaire de France ne font pas exception : ils avaient dû supprimer 312 postes en 2004 pour équilibrer leur budget. Ils en sont aujourd’hui entre 25 et 27 millions d’euros de déficit. Un nouveau projet d’établissement définit les orientations pour 2005-2010 : l’objectif est clair : faire tourner les malades pour remplir les caisses, pour résister au privé qui passe à l’offensive dans les secteurs traditionnellement réservés au public.

Le privé PSPH (participant au service public hospitalier) est aussi dans la tourmente. Le centre hospitalier Saint-Joseph-Saint-Luc, considéré comme l’un des établissements les plus chers de France en raison d’un ratio personnel/lits élevé, s’était trouvé fin 2003 au bord du dépôt de bilan et avait fini l’année 2004 avec un déficit de 1,4 millions d’euros. Cette année, l’impasse budgétaire devrait s’élever à 4,5 millions d’euros malgré une augmentation de l’activité de 13 %. On s’attend à un nouveau plan social qui pourrait concerner une cinquantaine de personnes !
Partout, les déficits se creusent avec manque de moyens et de personnel, fermeture de lits et de services. A Ste-Foy Les Lyon, en gériatrie, il y a trois aides soignantes, seules pour 107 patients la nuit !
Et nous pourrions parler de la psychiatrie pour laquelle le manque de lits est catastrophique.

Alors que la demande de prise en charge psychiatrique, quelle qu’elle soit, augmente tous les ans de 5 %, ce secteur est asphyxié par les fermetures de lits. A l’hôpital du Vinatier, à Lyon, le projet d’établissement prévoit la fermeture de 100 lits en 2006 dont 25 en gérontopsychiatrie... alors que le gouvernement prétend prendre des mesures en faveur des personnes âgées !

Par ailleurs, la ligne directrice des SROSS de 3ème génération qui est l’accélération des regroupements d’établissements, la création de pôles, est aussi un moyen de tirer vers le bas les droits des salariés : en regroupant, on prend la convention collective la moins favorable.

C’est très grave lorsque l’on sait que déjà, c’est l’hôpital public qui concentre le plus grand nombre d’emplois précaires.

Pendant ce temps, le secteur privé poursuit son expansion. J’avais été le seul à dénoncer, dès 2002, l’ascension de la générale de santé avec l’argent des assurés sociaux et des mutualistes.

L’introduction en Bourse de ses établissements à cette époque marquait en effet un tournant sans précédent dans notre système de santé. En effet, plus de 85% du chiffre d’affaire du groupe est assuré par la sécurité sociale !

Il est donc hautement immoral - mais logique selon vos critères - de voir l’argent public conforter la spéculation boursière et participer à la création d’un système de soins à deux vitesses.

Pour toutes ces raisons, le Syndicat national des cadres hospitaliers, qui représente les directeurs d’hôpitaux dans leur majorité, propose six solutions de rééquilibrage de bon sens visant à revenir sur la T2A qui menace les missions de service public de l’hôpital.
Il s’agit notamment du passage à plein tarif des activités alternatives et notamment des consultations externes et de l’hospitalisation de jour des hôpitaux ; l’établissement d’une liste des activités par nature hors champ d’une tarification à l’activité ; la déconnexion totale du financement des urgences hospitalières publiques de l’activité ; la suspension immédiate de la convergence tarifaire public-privé - sur laquelle je constate que vous avez dû reculer - ; le report de la fusion des enveloppes publiques et privées de financement tant que les objectifs quantitatifs d’activité pour le secteur public et le secteur commercial ne seront pas fixés en lien avec les SROSS de 3ème génération.

Pour permettre à l’hôpital public de fonctionner a minima, il faudrait une progression de l’ONDAM de 4,32 %, comme le préconise le Fédération Hospitalière de France, alors que vous vous en tenez à une évolution irréaliste de 3,44 % !

Il faudrait également y ajouter les quelque 2,5% nécessaires pour effacer les reports de charges.

Mettre un terme aux restructurations et fermetures, suspendre l’application de la tarification à l’activité.
Il conviendrait aussi - et nous vous y invitons chaque année - de supprimer la taxe sur les salaires versés par les hôpitaux et baisser la TVA sur les travaux de restauration et d’entretien.

Et plus généralement, de mettre en oeuvre des recettes pérennes qui épargneraient pour une fois les salariés et les retraités modestes.

Mais pour la droite ultra-libérale au pouvoir, comme pour le MEDEF , il en va de la santé et de la protection sociale comme du reste : il faut les soumettre aux lois du marché donc les livrer aux assurances privées. Ceux qui pourront payer seront soignés, tant pis pour les autres.

N’oubliez pas cependant que cette inacceptable conception est rejetée par l’immense majorité de nos concitoyens. Les résultats de la consultation sur le projet de constitution européenne en sont la preuve.
Un nombre grandissant d’hommes et de femmes aspirent à une réforme en profondeur de notre système de santé et de protection sociale, à un système de santé « démarchandisé », renouant avec les principes fondamentaux de la création de la sécurité sociale, d’universalité, de solidarité . Ils sauront vous le rappeler.

Guy Fischer

Ancien sénateur du Rhône

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