Nous examinons cette semaine le premier projet de loi de financement de la Sécurité Sociale issu de la loi organique de l’été dernier, alors que nous venons de célébrer le 60ème anniversaire de l’instauration de la sécurité sociale, en 1945.
Je tiens à rappeler que le Général de Gaulle signa l’ordonnance du 4 octobre 1945 créant la Sécurité Sociale et son ministre communiste Ambroise Croizat y prit une part décisive.
La justice sociale était au cœur des préoccupations. 60 ans après, les injustices sont au cœur des événements que nous vivons.
Ne dit-on pas que la Sécurité Sociale fut « la fille de la Résistance ».
Néanmoins, les grands principes d’économie libérale qui guident l’action de votre Gouvernement sont plus que jamais présents : la réduction drastique des dépenses sociales et la poursuite à marche forcée du démantèlement de notre système de Solidarité Nationale issu du Conseil National de la Résistance nous conduisent inéluctablement vers un fonctionnement à l’anglo-saxonne.
Sans surprise mais avec colère, nous déplorons et dénonçons l’accélération d’une maîtrise purement comptable des dépenses de santé.
Dans la droite ligne de la loi organique sur les projets de loi de financement de la sécurité sociale, ce projet de loi accentue le contrôle étatique sur le fonctionnement de la sécurité sociale au détriment de la gestion paritaire. Il ne fait qu’intégrer les principes définis par les directives européennes et concrétise la mise en place des nouveaux outils de restrictions issus de la réforme de l’assurance maladie votée l’été dernier.
C’est une savante combinaison d’étatisation et de privatisation.
Votre Gouvernement opère des coupes sombres dans les interventions de la Sécurité Sociale pour parvenir à imposer, à terme, le panier de soins a minima, tandis qu’il crée une large ouverture au marché concurrentiel privé de la prise en charge des risques sociaux.
Et c’est bien sous l’angle de cette volonté de privatisation, de démantèlement du modèle de Solidarité Nationale, qu’il faut interpréter un déficit multiplié par quatre depuis l’arrivée de votre majorité au pouvoir.
Car, quelle meilleure justification pour des réformes qu’un déficit de 11,9 milliards d’euros pour cette année dont 8,3 pour la branche maladie, 0,5 pour la branche accidents du travail - maladies professionnelles, 2 pour la branche vieillesse et plus d’un milliard pour la branche famille !
Pour la première fois, les quatre branches du Régime Général sont dans le rouge et ce projet de loi est vide de toutes mesures de progrès social.
Un mot sur les quatre branches
Votre attitude sur la branche accidents du travail - maladies professionnelles n’est pas acceptable. Comment pouvez-vous couvrir la sous-déclaration des maladies professionnelles, alors que le rapport du groupe de travail sénatorial sur l’amiante est venu fort à propos, et sans surprise, confirmer l’ampleur de cette attitude inacceptable des entreprises et confirmer que la déclaration est le préalable à toute gestion efficace de prévention et de réparation !
Encore faudrait-il que les médecins du travail, en nombre suffisant - ce qui n’est pas le cas - puissent remplir sereinement et mener librement leur mission.
Pour la cinquième année consécutive, vous laisserez délibérément en déficit cette branche importante de notre système de protection sociale qui doit fonctionner sur un principe d’équilibre posé par la loi (l’article L 242-5 du code de la sécurité sociale). Ce principe devrait aujourd’hui plus que jamais être respecté pour garantir la réparation des victimes de l’amiante et faire face à l’accroissement des maladies professionnelles reconnues.
Quant à la branche famille, elle sert de plus en plus de variable d’ajustement. C’est la CNAF qui supporte financièrement le coût de la montée en charge de la Prestation d’Accueil du Jeune Enfant et vous ne tenez pas votre promesse de l’étendre aux enfants nés avant le premier janvier 2004.
La branche vieillesse accuse un déficit record et votre solution provisoire arrêtée dès 2003 est d’augmenter de 0,2 point la cotisation vieillesse pour les retraites, l’essentiel devant être supporté par les salariés à hauteur de 0,15%, contre seulement 0,05% par l’entreprise ! Les ménages modestes de retraités apprécieront une fois de plus leur mise à contribution. Les régimes complémentaires ne vont pas mieux : l’ARRCO alignera un déficit de 3,1 milliards cette année et de 2,3 en 2006. Pour sa part, l’AGIRC présente une ardoise de 450 millions d’euros cette année, qui pourrait augmenter de 200 millions l’année prochaine.
Quant à l’assurance maladie, j’aurais l’occasion dans le débat qui va suivre de revenir plus longuement sur une situation catastrophique, tant pour les soins de ville que pour l’hôpital.
Et ne nous y trompons pas, c’est bel et bien votre politique économique qui est à l’origine de la crise de financement sans précédent de la Sécurité Sociale et de son déficit abyssal, déficit multiplié par 4 depuis 2002.
Et vous osez, Monsieur le Ministre, arguer de votre volonté de limiter pour 2006 le déficit de l’Assurance maladie à 6,1 milliards d’euros ! Soit une nouvelle diminution de 25 %.
Encore moins l’équilibre que vous nous aviez promis pour 2007.
Force est de constater que vos promesses ont été un feu de paille. Nous devions même voir les premiers résultats en 2005 !
Effectivement, nous avons vu : les salariés et les classes moyennes sont touchés frontalement par la dégradation du pouvoir d’achat et de l’emploi.
Car, certes nous direz que le chômage baisse depuis quelques mois, mais au profit d’une explosion sans précédent de la précarité.
On voit, en effet, depuis quelques années, apparaître de nouveaux exclus, des salariés tellement pauvres qu’ils sont les nouveaux sans domicile et bénéficiaires des associations caritatives qui ne cessent de tirer la sonnette d’alarme ! Je ferai toucher du doigt ces situations dramatiques par notre groupe d’étude sur les minima sociaux, en déplacement à Lyon le 7 décembre prochain. Je leur ferai rencontrer les bénévoles et les personnes accueillies par des structures qui sont le dernier recours avant la rue et la perte d’identité et de dignité.
En dépit de cette situation, vos choix budgétaires sont limpides : pour les assurés sociaux, actifs ou retraités, augmentation de leur contribution financière par des prélèvement sociaux accrus et réduction de leur taux de couverture par le régime de base.
C’est une fiscalisation accrue avec une nouvelle hausse de la CSG, la contribution d’un euro, l’augmentation des honoraires et le transfert des remboursements vers les complémentaires, une augmentation du forfait hospitalier qui aura quintuplé en vingt ans ;
mais il faut ajouter à cela les deux « trouvailles » de ce Projet de Loi, le déremboursement de 156 médicaments et la franchise de 18 euros sur les soins lourds et coûteux, qui représente une rupture fondamentale avec le principe de prise en charge par le régime obligatoire. Comment ne pas mettre en parallèle cette mesure scélérate avec le cadeau de 250 millions d’euros que vous faites aux ménages assujettis à l’impôt sur la fortune !
Enfin, dernière nouveauté parmi d’autres, le paiement anticipé des prélèvements sociaux sur les PEL, la forme d’épargne réservée aux foyers modestes.
En tout, c’est 1,6 milliard d’euros de dépenses nouvelles mises à la charge des assurés !
En revanche, pour les entreprises, la charge sera moins lourde, et sur le long terme.
En effet, votre Gouvernement profite de ce texte pour unifier les régimes d’exonération de charges, meilleur moyen de les pérenniser. C’est ainsi que vous envisagez 2 milliards d’euros supplémentaires d’exonérations de cotisations patronales.
Il « s’arrange » aussi avec les entreprises pharmaceutiques pour ne pas écorner leur bénéfices : par exemple, une taxe exceptionnelle sur les laboratoires pharmaceutiques dont l’Assemblée nationale vient de baisse le taux, (1,5 au lieu de 1,96)
des procédures de contournement au respect des tarifs des médicaments,
sans oublier bien sûr le maintien sur le marché de médicaments que l’Assurance maladie ne prend plus en charge, malgré une Service Médical Rendu insuffisant.
Les Françaises et les Français, las assurés socaix, les médecins, les pharmaciens, les organisations syndicales, les Conseils d’administration de la CNAM, le CNAV, l’ACCOSS, les mutuelles s’opposent à votre budget.
Il fait l’unanimité contre lui. Tous le jugent irréalisable d’un point de vue comptable et la contraction des dépenses est jugée tout simplement irréaliste.
Diminuer de 25 % les dépenses de l’Assurance Maladie apparaît une nouvelle fois comme une gageure.
Mais chacun s’accorde aussi à le considérer comme dangereux en terme de santé publique à court et long terme.
Ainsi, le parcours de soins imposé avec le médecin traitant va aboutir à sélectionner les patients par l’argent. Des médecins que j’ai rencontrée appellent ça "la chambre de tri". Je l’appelle, moi, la médecine à deux vitesses.
Si les patients ne respectent pas ce circuit, ils se verront appliquer, à partir du 1er janvier 2006, les dépassements autorisés d’honoraires. Une consultation chez un généraliste autre que le médecin traitant sera moins bien remboursée et celui-ci est désormais le passage obligé pour se rendre chez un spécialiste. Mais si le patient prend sur lui de consulter un spécialiste, il pourra se voir appliquer un tarif allant jusqu’à 32 euros. Ainsi, ceux qui auront les moyens de consulter directement un spécialiste seront pris en charge tôt, ceux qui ne le pourront pas attendront souvent pour obtenir un rendez-vous.
On applique ainsi à la médecine de ville le travers de l’hôpital, où l’on est reçu plus vite en visite privée qu’en consultation publique.
De plus, il est faux de dire que ce "parcours vertueux" fera faire des économies à la sécurité sociale : après avoir remboursé le médecin généraliste, elle devra rembourser le spécialiste !
Vous prétendez faciliter l’accès aux complémentaires mais vous oubliez de dire que ce serait inutile si vous ne réduisiez pas les dépenses prises en charges par le régime obligatoire.
De la même façon, le crédit d’impôt que vous instituez est un « attrape-nigaud ». D’une part, 200 euros ne représentent que le tiers ou le quart de la dépense que constitue la souscription d’une complémentaire, d’autant que vous acculez toutes les mutuelles à augmenter leurs tarifs en réduisant les dépenses remboursables. Enfin, je vous rappelle que 2 millions de Français n’ont pas de mutuelle.
Je ne m’attarderai pas ici sur l’hôpital public, j’y reviendrai lors du débat sur l’assurance maladie. Je dirai tout de même que la situation est catastrophique, avec 75 % des établissements aujourd’hui endettés.
Voilà la conséquence de votre politique qui consiste à étrangler le public au profit du privé, alors que les missions mêmes du premier démontrent qu’il est indispensable de préserver et de renforcer son rôle irremplaçable.
Tout d’abord, le public réalise plus de 80% de la médecine, la plus grosse part de la chirurgie lourde et l’essentiel de l’obstétrique. Par ailleurs, l’hôpital public accueille le public 24 heures sur 24, assure l’égalité d’accès de tous les citoyens, met en oeuvre des programmes d’action pour les plus démunis et participe quasi exclusivement à la formation des personnels paramédicaux.
Quant aux établissements privés commerciaux, ils choisissent les risques qu’ils traitent, et les choisissent de préférence lucratifs.
Le groupe Compagnie Générale de Santé est d’ailleurs florissant, servant à ses actionnaires des dividendes assurés essentiellement par le budget de la Sécurité Sociale.
Tout rapprochement, toute comparaison entre public et privé ne sont donc pas possibles, ni en terme de service rendu, ni en matière de moyens.
N’assistons-nous pas à une mise à mort de l’hôpital public ? Et la convergence tarifaire ne fera qu’accentuer cette tendance.
Quant à la prévention : beaucoup reste à faire. Nous rechignons à mettre en oeuvre cette action indispensable, porteuse d’emplois et d’économies.
Nos médecins, scolaires et universitaires, sont dépourvus de véritables moyens, orphelins d’une réelle volonté politique.
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60 ans après la création du système solidaire de la sécurité sociale, dans lequel chacun devait payer selon ses moyens et recevoir selon ses besoins, nous faisons aujourd’hui un bien triste constat :
Vous oeuvrez depuis trois ans pour la réduction de la prise en charge obligatoire de base.
A ce propos d’ailleurs, Monsieur le Directeur Général de l’UNCAM déclare vouloir recentrer l’Assurance Maladie sur son cœur de métier : les maladies lourdes.
Vous êtes en train de construire une société dans laquelle la solidarité nationale s’efface devant l’assurance individuelle.
Les individus et les familles les plus fragiles, ceux pour lesquels a été créée la sécurité sociale en 1945 sont les victimes de choix que je ne crains pas de qualifier de choix de classe.
Vous confortez une médecine à deux vitesses.
Alors qu’il faudrait, pour préserver et développer notre système de protection sociale en démocratiser la gestion en rétablissant l’élection des représentants des salariés aux conseils d’administration et d’orientation des caisses, ouvrir ceux-ci aux associations de malades...
Et vous savez bien que notre position ne varie pas en matière de financement de la protection sociale : ce ne sont pas les dépenses qu’il faut faire baisser mais les recettes qu’il faut faire croître. Chaque année, nous vous proposons la solution : en finir avec la fiscalisation des ressources, moduler les cotisations perçues à partir de l’entreprise en élargissant l’assiette des cotisations et en réformant leur mode de calcul pour en finir avec un système qui fait la part belle aux entreprises sans contrepartie en matière de création d’emplois.
Je tiens à vous rappeler que 100 000 chômeurs supplémentaires, ce sont 500 millions d’euros de recettes en moins pour l’Assurance maladie, tandis qu’un point de masse salariale en plus représente environ un milliard d’euros de recettes supplémentaires.
Une telle réforme des cotisations pourrait être complétée par une mise à contribution des revenus financiers des grandes entreprises. Il n’est pas de déficit qui demeurerait insurmontable avec un partage de la valeur ajoutée répondant aux impératifs de justice sociale et de protection collective, impératifs qui devraient légitimement orienter notre démocratie. Si nous mettons en parallèle ce déficit avec les résultats boursiers : les plus grandes entreprises françaises ont gagné plus de 40 milliards d’euros au premier semestre et l’année 2005 va sans doute se solder par des profits totaux de 75 milliards pour les entreprises du CAC 40 !
Si l’on y ajoute nos propositions pour l’emploi et les salaires, il y a là matière à donner les moyens d’une protection sociale de haute qualité.
Pour toutes ces raisons, nous nous prononcerons contre votre projet de loi qui tourne le dos à toute amélioration de la couverture sociale solidaire de nos concitoyens.