Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2005 : question préalable

Publié le 16 novembre 2004 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Guy Fischer

Une fois encore, le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne peut appeler qu’un rejet global des dispositions qu’il contient.

À l’issue de la discussion générale, est-il utile de revenir sur quelques-unes des dispositions contenues dans le texte qui accuse un caractère profondément technique, sans réforme ou élément véritablement spectaculaire, une sorte de projet de loi tout à fait ordinaire, si l’on peut dire.

Ce dont il est question n’est pas qu’un dispositif purement technique, susceptible de motiver un large consensus.

Il est question de la mise en œuvre, comptable et financière, des deux « réformes » dont nous avons eu l’occasion de débattre ces deux dernières années sur les retraites et sur notre assurance maladie.

Mais, une question essentielle sous-tend nos débats : que devient le droit du Parlement à débattre de la protection sociale dans une loi de financement aussi étroitement bornée ?

Un petit rappel historique s’impose. Lorsque le gouvernement de 1995-1997, dans la foulée du plan Juppé, a voulu faire des lois de financement, Hervé Gaymard, ministre délégué, a déclaré : « Vous allez examiner le projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale.

Il est inutile d’insister sur l’importance de ce texte, qui se situe au cœur de la réforme de la sécurité sociale.

Vous savez également à quel point il est nécessaire que la première des lois de financement de la sécurité sociale puisse être présentée au Parlement dès l’automne prochain.

Loin de remettre en cause la réforme, les chiffres récemment publiés par la commission des comptes de la sécurité sociale soulignent l’impérieuse nécessité de conduire le navire à bon port. Au-delà des aléas de la conjoncture, le redressement des comptes et la sauvegarde de notre système de sécurité sociale exigent courage, constance et persévérance. Comme toute réforme de structure, la réforme de la sécurité sociale doit être jugée sur le long terme.

Mais aucune solution durable et réaliste n’est plus concevable en ce domaine que la représentation nationale soit mise en mesure d’effectuer régulièrement et solennellement les choix fondamentaux. Il appartiendra ensuite aux pouvoirs publics, aux partenaires sociaux, aux professions de santé et, en définitive, aux assurés sociaux de faire leurs les objectifs que vous voterez. En effet, seul le Parlement dispose de la légitimité qui permettra d’arbitrer sereinement entre les exigences de protection sociale de nos concitoyens et les contraintes économiques et financières qui s’imposent à tous ».

Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous en sommes loin !

Après quelques années de répit, dues à la relance de la croissance entre 1997 et 2001, la protection sociale se retrouve de nouveau, et singulièrement depuis 2002, dans une situation financière préoccupante.

Que nous a proposé le gouvernement ? Sur le plan comptable et financier, l’augmentation des prélèvements sur les ménages et la réduction des remboursements. Sur le plan institutionnel, l’approfondissement du contrôle technocratique par le biais du renforcement des pouvoirs des directeurs d’agences régionales d’hospitalisation, la création de la haute autorité de santé et, in fine, la négation des droits de la représentation nationale, spectacteur de cette montée en puissance de la technocratie sociale…

Toujours selon le ministre délégué, lors de l’adoption de la loi organique « les lois de financement… seront des lois courtes, qui comporteront une double dimension politique et financière. En effet, ces deux caractéristiques les distinguent des lois de finances ». Il n’est donc pas question de fusionner la loi de finances et la loi de financement.

M. VASSELLE, rapporteur. - Vous êtes d’accord sur ce point ?

M. FISCHER. - Je poursuis ma citation de M. Gaymard.

« Ce seront des lois courtes, tout d’abord. Il n’est en effet pas question de retracer avec précision l’ensemble des comptes des organismes de sécurité sociale. Les dépenses de la sécurité sociale ne sont pas assimilables à des crédits limitatifs, et les objectifs votés par le législateur seront déclinés avec l’ensemble des acteurs de notre protection sociale. Par ailleurs, la dimension politique des lois de financement est fondamentale. Le Parlement doit être mis en mesure d’approuver les orientations politiques qui fondent les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses. Quel sens aurait le vote de prévisions de recettes et d’objectifs de dépenses si le Parlement n’était conduit à se prononcer au préalable sur les orientations et les objectifs de la politique de santé et de sécurité sociale qui les sous- tendent ? ».

S’agissant de la brièveté, nous sommes loin du compte : la loi de financement pour 2003 comptait 68 articles, la suivante en comptait 76. Le présent texte propose plus d’une cinquantaine d’articles.

La première loi de financement date effectivement de l’automne 1996, et depuis, nous en débattons régulièrement, l’exercice faisant partie du programme imposé de nos nuits de fin d’année.

Comment ne pas regretter que la démocratie sociale soit autant en panne qu’il y a vingt ans ? Les assurés sociaux n’ont aucune possibilité de dire leur mot, faute d’élections aux conseils d’administration des caisses depuis vingt ans.

Les agriculteurs, eux, tiennent comme à la prunelle de leurs yeux à ces élections qui nourrissent la vie de la mutualité sociale agricole, n’est-ce pas, monsieur Juilhard ?

M. JUILHARD. - Tout à fait.

M. FISCHER. - Aujourd’hui, le cadre institutionnel prive la représentation nationale de tout rôle d’impulsion en matière de protection sociale, ses droits étant confisqués par des autorités prétendument indépendantes mais in fine soumises aux impératifs comptables et financiers, et prive également les assurés sociaux de tout poids, au travers de mandants élus.

La traduction concrète de cette loi de financement, c’est la hausse de la C.S.G., pour les salariés comme pour les retraités, la réduction des remboursements et l’euro forfaitaire, prétendument pédagogique.

Notre protection sociale est à la croisée des chemins. Tout ce qui a été fait depuis vingt ans et, notamment, ces deux dernières années dégrade le lien entre la population et le système de protection sociale, noyant ses fondements humanistes et solidaires dans une logique comptable et individualiste, source de nouvelles inégalités.

Cette loi persiste et signe l’accroissement des difficultés de la protection sociale au plan comptable et financier et va de pair avec la montée en puissance des recettes fiscales affectées à son financement : à croire que la rupture du lien entre le lieu de création de richesses et la sécurité sociale conduit à cette dégradation !

Certains diront que je radote, que je suis ringard… (Exclamations.)

M. Paul BLANC. - Péché avoué est à demi pardonné.

M. FISCHER. - D’aucuns ne manquent pas d’imagination pour réformer la protection sociale.

La semaine dernière, certains de nos collègues de la majorité, membres de la commission des Finances, ont poussé les feux de la T.V.A. sociale qui ferait, pour le salarié, de l’acte de consommer l’occasion de payer deux fois sa protection sociale !

Nous proposons, quant à nous, une réforme qui revenant sur la réforme des retraites, traduite cette année par le dispositif pour la soulte E.D.F. ou la retraite anticipée des agents des collectivités territoriales et sur celle de l’assurance maladie, vise à l’universalité des prestations à la qualité des soins, à l’égalité entre les assurés, au renforcement continu des solidarités intergénérationnelles et interprofessionnelles.

Cette réforme doit sortir des politiques de fiscalisation qui aboutissent à l’abaissement des garanties collectives. Ainsi de notre système d’allocations familiales, largement fiscalisé, qui vient de se voir imposer une réforme des aides personnelles au logement qui en réduit la portée.

Il est grand temps de réformer le financement de la protection sociale en permettant la modulation des cotisations de l’entreprise, et en favorisant la création d’emplois et de richesses au détriment des stratégies de rentabilité financière de court terme.

En cette période de relative incertitude économique, la croissance n’entraînant aucune amélioration de l’emploi, la qualité de notre système de sécurité sociale est déterminante pour renforcer et consolider le lien social, prévenir les exclusions et assurer le plein exercice des droits individuels.

Cette loi de financement tourne le dos à ces exigences fondamentales. Nous vous invitons donc à voter la question préalable.

Guy Fischer

Ancien sénateur du Rhône

Ses autres interventions :

Sur le même sujet :

Santé et protection sociale