« Mes ouvriers meurent en moyenne à 62 ans. Je n’ai donc aucun problème pour leur offrir la possibilité de partir en retraite à 60 ans. »
Cette formule, dont on ne sait s’il s’agit d’une boutade cynique ou du constat chagriné de la réalité des faits, fut, dans les années 1970, prononcée par l’un de ceux que l’on a pu présenter comme de « grands capitaines d’industrie », en l’espèce M. Francis Bouygues, PDG du groupe du bâtiment et des travaux publics du même nom.
Je ne sais si son fils reprendrait aujourd’hui les mêmes termes pour décrire la situation de ses salariés – au moins pour le cœur de métier originel du groupe –, mais le fait est que cette remarque s’inscrit, sous bien des aspects, au cœur des enjeux de notre débat.
On n’a cessé de nous répéter, depuis plusieurs mois, que l’allongement de la durée de la vie, produit des progrès accomplis par l’ensemble de la société grâce à la sécurité sociale, allait nous imposer de consentir un allongement subséquent de la durée de la vie professionnelle.
En effet, on n’aurait plus 60 ans en 2010 comme on pouvait avoir 60 ans en 1981, lorsque la gauche, enfin arrivée au pouvoir, décidait de faire droit à une très ancienne revendication du mouvement ouvrier, à savoir la retraite à 60 ans.
Les docteurs « la rigueur » qui professent aujourd’hui l’allongement de la durée de la vie active – ce qu’il faut donc bien appeler un recul social – oublient évidemment de rappeler que la décision de fixer l’âge de la retraite à 60 ans n’avait pas vocation à être prise de manière isolée. Pour ceux qui s’en souviennent, la retraite à 60 ans fut accompagnée de la création de la cinquième semaine de congés payés, …
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Annie David. … véritable vecteur de développement de l’activité dans le secteur du tourisme au sens large, de la réduction du temps de travail à 39 heures – ce qui nous valut à peu de choses près les mêmes discours ineptes que lors du passage aux 40 heures en 1936 et lors de la mise en place des 35 heures ensuite –, mais aussi de la loi instituant les contrats de solidarité.
La raison d’être de ces contrats de solidarité consistait à faciliter l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en assurant un renouvellement des effectifs des entreprises dont un nombre plus ou moins important de salariés étaient appelés à faire valoir leur droit à pension. Le principe du contrat de solidarité, c’était le passage de témoin entre l’ancienne génération, étant enfin parvenue à faire valoir son droit au repos, et la nouvelle, qui pouvait enfin concrétiser son droit au travail.
Que l’on ne s’y trompe pas : sans dispositif digne de ce nom tendant à permettre aux salariés âgés de plus de 50 ans, et singulièrement de 55 ans, de prolonger leur activité professionnelle – or ce texte n’en prévoit aucun car, à l’instar de bien d’autres, il se contente d’offrir aux entreprises de nouvelles exonérations sociales en lieu et place de toute autre mesure ou obligation –, on ne fera qu’installer un nombre grandissant de personnes dans la précarité, le chômage et, à terme, la pauvreté !
Reculer l’âge de départ en retraite, c’est faire payer au monde du travail le prix fort des progrès que ses cotisations – et donc son travail – ont permis à l’ensemble de la société d’accomplir. Il n’est pas vrai que chacun et chacune, dans ce pays, soit à égalité devant l’âge, et donc la retraite. Il est notoire que l’on vit moins longtemps lorsqu’on a été mineur, mouleur noyauteur ou peintre en bâtiment, que lorsqu’on a été instituteur, cadre de banque ou même électricien EDF.
Il est donc injuste de prolonger ces injustices et de les rendre encore plus intolérables avec cet article 5.