Les comptes sociaux n’ont jamais connu de situation aussi dégradée

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2010

Publié le 10 novembre 2009 à 09:33 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les comptes sociaux n’ont jamais connu de situation aussi dégradée. Les déficits ne cessent de se creuser : ils passeront de 10 milliards d’euros, en 2008, à 23 milliards, en 2009, et à environ 30 milliards, toutes branches confondues, en 2010.

Ce doublement de la dette en un an augure mal de l’avenir. D’ailleurs c’est bien simple, les prévisions pour 2013 sont abyssales. Si votre Gouvernement ne prend pas la mesure de l’urgence et les solutions adéquates – que nous vous suggérerons – le déficit atteindra de 150 milliards à 170 milliards d’euros environ, ce qui correspond à peu près à la hauteur de l’ONDAM. Ainsi, en 2013, le déficit cumulé sera, toutes branches confondues, égal voire supérieur au budget annuel.

Comme le souligne le rapport de la Cour des Comptes sur la sécurité sociale remis en septembre 2009, notre régime de protection sociale est aujourd’hui financé par la dette. Cette politique, dont vous êtes, messieurs les ministres, les responsables, a un coût, estimé par la Cour des comptes à près de 4 milliards d’euros par an, c’est-à-dire un peu plus que les exonérations de cotisations sociales que l’État, contrairement à la loi de 1967, refuse de compenser.

Ce qui pourrait apparaître de prime abord comme une inaction coupable a certes un coût, mais cela a surtout un prix. Les Français, qui depuis trois ans subissent mauvais coups sur mauvais coups, ne le savent que trop ! Ils se rendent également compte qu’en réalité votre refus d’agir efficacement est la traduction dans les faits du changement de modèle de société que vous entendez promouvoir.

Ce nouveau modèle a un nom : libéralisme, voire ultralibéralisme ; une doctrine, le « chacun pour soi » ; il passe immanquablement par une voie, d’abord l’abandon, à terme, de notre régime de protection sociale fondée sur la solidarité, ensuite l’éloignement du pacte social élaboré au lendemain de la guerre et reconnu dans le préambule de la Constitution de 1946, enfin la suppression des droits et protections sociales garantis par la nation.

Voilà ce qui est en train d’être détricoté ! Mais il faut dire à votre décharge que votre conception de ce que devrait être la prise en charge de la maladie, de la vieillesse, de la famille ou de la dépendance est cohérente avec l’ensemble de votre politique.

Vous organisez partout la dissolution des droits et des protections collectifs au profit de l’individualisation. C’est particulièrement vrai pour ce qui relève du droit du travail.

Vous cassez les dynamiques collectives au profit des actions individuelles. Au système que nous connaissons actuellement, fondé – même si cela est de moins en moins vrai – sur la solidarité entre les malades et les bien portants, entre les plus riches et les plus pauvres, vous préférez un système qui répondrait à une exigence de rentabilité où chacun serait responsable de son propre sort, coupable de ne pas parvenir à gagner suffisamment sa vie, d’être malade voire d’être dépendant.

Mme Annie David. Eh oui !

M. Guy Fischer. Messieurs les ministres, vous devez dire à nos concitoyens la vérité de votre projet. Vous devez dire que, demain, peut-être après les régionales, certainement après la présidentielle de 2012, vous imposerez à tous, contre l’intérêt des plus faibles, la fin de notre modèle social.

Ce projet, nous le contestons. Pour reprendre une formule qui est chère au Président de la République, il « n’a pas été élu pour » détruire l’outil même qu’il vantait hier comme un amortisseur de crise.

C’est bien de cela qu’il s’agit ! J’en veux pour preuve la manière avec laquelle vous mettez, année après année, les assurés un peu plus à contribution ou, pour utiliser une image que j’ai entendue dans ma ville de Vénissieux, la manière dont « vous leur faites les poches » ! (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

En 2008, vous aviez instauré les franchises médicales. Elles ont eu pour conséquence d’éloigner durablement des soins 32 % des assurés sociaux qui ne disposent pas de mutuelles ou de complémentaires, c’est-à-dire les plus pauvres d’entre nos concitoyens.

Il y a également eu la création de la contribution additionnelle au premier euro. Aujourd’hui, vous prenez prétexte de la crise pour chercher encore, au plus profond de leurs poches, la manière de faire participer un peu plus les assurés au financement de notre système. J’en veux pour preuve la hausse du forfait hospitalier, une hausse comme toujours savamment orchestrée dès l’été (Mme Gisèle Printz acquiesce.) : d’abord annoncée à 4 euros, ce qui aurait entraîné une augmentation de 25 % du forfait hospitalier, pour être artificiellement réduite à 2 euros ! Voyez, nous avons réduit, dites-vous ! Cela représente néanmoins une hausse de 12,5 % !

Mme Gisèle Printz. Eh oui !

M. Guy Fischer. Cette mesure, qui prendra comme d’autres la voie réglementaire, portera donc le forfait hospitalier à 18 euros par jour. Ce forfait, qui n’était initialement destiné qu’à couvrir les dépenses dites d’hôtellerie à l’hôpital, est aujourd’hui une véritable source de revenus pour les établissements de santé qui peinent, T2A oblige, à financer leurs activités.

Une telle hausse est d’autant moins explicable que vous n’avez cessé d’encourager les hôpitaux, notamment à grands coups de réductions budgétaires, à externaliser la partie restauration pour faire des économies. Ainsi, grâce à l’externalisation, les prix baissent, mais, de votre côté, vous augmentez la facture !

Mme Gisèle Printz. Oui !

M. Guy Fischer. Nous y voyons, pour notre part, une tentative de contourner l’avis rendu par le Conseil d’État à la suite de la saisine d’associations sur les franchises médicales, vous invitant à ne pas les augmenter indéfiniment.

Belle technique de contournement que cette hausse du forfait hospitalier, qui vous permet, presque discrètement, de mettre encore un peu plus les malades à contribution et de leur faire payer encore un peu plus cher le prix de leurs maladies.

D’ailleurs, messieurs les ministres, vos amis députés de la majorité ne s’y sont pas trompés. Ils ont bien entendu votre message. C’est pourquoi le député Yves Bur n’a pas hésité, sous le prétexte fallacieux de responsabiliser les malades, à déposer un amendement portant de trois à quatre jours le délai de carence en cas d’arrêt maladie. Et le député Jean-François Copé propose de taxer les indemnités journalières perçues par les salariés victimes d’un accident du travail, dont souvent ils ne sont pas responsables ! C’est un véritable scandale !

J’en veux encore pour preuve la manière dont vous organisez, année après année, la transformation de notre système solidaire en un modèle assurantiel.

Cette année encore, vous avez instauré, à l’encontre des organismes de mutuelles et des complémentaires, une taxe destinée, dites-vous, à participer au financement de la politique gouvernementale de vaccination contre la grippe A. Nous y voyons, pour notre part, la confirmation masquée de la taxe exceptionnelle de1 milliard d’euros. D’une manière ou d’une autre, vous chercherez toujours à siphonner les mutuelles ! Cela s’avère maintenant évident !

Vous aviez justifié cette taxe exceptionnelle par les supposés excédents détenus par les mutuelles. Nous vous avions fait la démonstration que ces excédents – car ce ne sont pas des bénéfices – sont la preuve du respect par le mouvement mutualiste des règles prudentielles que l’Europe et votre Gouvernement imposaient.

Nous ne vous avons visiblement pas convaincus, puisque, cette année encore, les organismes d’assurance maladie complémentaire ont été sommés de participer à l’achat de millions de doses de vaccins ; les membres de notre groupe, plus particulièrement M. Autain, ne manqueront pas d’y revenir au cours de nos débats.

Cette contribution nous paraît injuste, mais nous craignons également qu’elle ne permette à votre gouvernement de créer, une fois de plus, la confusion entre régime de base et régimes complémentaires, puisque, année après année, ceux-ci participent de plus en plus au financement de la sécurité sociale.

La volonté de transférer une partie des dépenses de l’assurance maladie vers les mutuelles complémentaires, nous l’avions déjà dénoncée quand, l’année dernière, vous proposiez vous-mêmes de confier aux mutuelles l’intégralité des remboursements optiques et dentaires, plus globalement les appareillages et les prothèses.

Pour Le Figaro, journal de référence quand il s’agit de savoir ce que pense le Président, « Nicolas Sarkozy ne fait pas mystère, depuis des mois, de sa volonté d’explorer cette piste », autrement dit de mettre un peu plus à contribution les mutuelles.

Mme Annie David. Eh oui !

M. Guy Fischer. Il est vrai que, pour vous, cotisations de sécurité sociale ou cotisations à une mutuelle, c’est presque la même chose. À écouter certains élus de la majorité présidentielle, dans les deux cas, directement ou indirectement, ce serait l’argent des usagers. Nous contestons ce raisonnement qui revient à nier le fondement même de notre système de solidarité : on ne paie pas pour soi, mais pour tous ! Contrairement aux organismes complémentaires, on ne paie pas en fonction de ses envies ou de ses besoins, mais selon ses capacités contributives. Et c’est bien là toute la différence !

Une étude récente du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CRÉDOC, évalue à 8 % de la population, soit 5 millions de nos concitoyens, ceux qui ont renoncé à une mutuelle. En pleine crise du pouvoir d’achat, la couverture complémentaire pèse de plus en plus lourd dans le budget des ménages : le taux d’effort pour acquérir une mutuelle est de 10,3 % pour les ménages les plus pauvres, contre 3 % pour les plus riches.

Selon une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, l’IRDES, 15 % des personnes vivant avec moins de 840 euros par mois ont renoncé à une mutuelle.

M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Vous avez cautionné la fixation du plafond de la CMU-C à 600 euros !

M. Guy Fischer. Ce transfert progressif, mais régulier, pèsera donc sur les plus faibles.

De la même manière, nous considérons que le secteur optionnel sera une mauvaise réponse à une vraie question, celle de la difficulté grandissante que rencontrent toujours plus de patients à accéder à des soins à tarifs opposables, particulièrement chez les spécialistes.

Dans la mesure où les dépassements d’honoraires y seront limités à 50 %, les médecins qui pratiquent des dépassements de l’ordre de 200 % à 300 % des tarifs opposables ne seront aucunement incités à intégrer le secteur optionnel, d’ailleurs réduit à quelques spécialités.

M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Pour le moment !

M. Guy Fischer. À l’inverse, monsieur le rapporteur général, nous craignons que les médecins du secteur 1 n’intègrent massivement le secteur optionnel. On assisterait alors à un siphonage du premier, au détriment des malades, puisque seuls les contrats d’assurances complémentaires les plus importants, autrement dit les plus chers, prendront en charge le secteur optionnel.

Mme Annie David. Eh oui !

M. Guy Fischer. Autre preuve de la volonté présidentielle de casser notre système, la manière avec laquelle le Gouvernement organise méthodiquement son appauvrissement.

Tout le monde s’accorde à dire que, cette année, malgré l’explosion de la crise, les dépenses de santé ont été plutôt bien maîtrisées. Pourtant, les déficits pour 2010 seront doublés par rapport à 2009. Pour M. Woerth, 75 % des déficits seraient imputables à la crise.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, puisque vous me pressez en me coupant la parole…

M. le président. Je vous rappelle aux engagements que nous avons pris les uns vis-à-vis des autres.

M. Guy Fischer. Je me suis prononcé contre, monsieur le président ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Mes chers collègues, le groupe CRC-SPG profitera des débats sur ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 pour vous faire la démonstration qu’il ne faut pas nous satisfaire des quelques rares mesures prévues, comme l’attention portée aux niches sociales et fiscales et le doublement du forfait social, et encore moins des dispositions pour le moins inégalitaires envisagées, à l’image de l’amendement de M. Vasselle prévoyant une augmentation de la CRDS, mais pas l’exclusion de celle-ci du champ d’application du bouclier fiscal. Il convient d’aller au-delà, car il est possible de permettre un financement pérenne, durable et solidaire de notre protection sociale.

Nous aurons également l’occasion, tout au long des jours et des nuits de débat qui s’annoncent, de développer nos arguments en faveur d’une réforme d’ampleur de l’assiette des cotisations sociales, tant il est vrai que les exonérations accordées aux entreprises en la matière sont de véritables trappes à bas salaires.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, voilà autant de raisons de voter contre ce PLFSS pour 2010, qui est plus inégalitaire que jamais !

Guy Fischer

Ancien sénateur du Rhône

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