Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’adresser une pensée amicale à M. Fischer, qui aurait dû être des nôtres ; soyez certains qu’il suit nos travaux avec attention.
L’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 s’ouvre dans un climat particulier, marqué par les injonctions à répétition des agences de notation. Celles-ci sont tellement présentes dans le débat actuel, n’hésitant pas à brandir la menace de sanctions contre tout gouvernement qui s’écarterait de leurs exigences, que l’on trouverait presque normal de les voir représentées dans cet hémicycle… À moins que le PLFSS pour 2012 et le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif qui vient d’être annoncé ne les rassurent ! C’est sans doute le cas, mais c’est précisément ce qui nous inquiète.
Malgré les annonces faites ce midi, le déficit de la sécurité sociale pour l’exercice 2012 restera colossal. En réalité, les Français vont payer cher le déficit de croissance, laquelle, selon le Président de la République, ne dépassera pas 1 %, « comme en Allemagne », a-t-il précisé. Le taux de croissance sera sans doute même bien inférieur en réalité, l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, tablant sur 0,8 %. En effet, la France, à la différence de l’Allemagne, n’a pas voulu ou su conserver un tissu industriel performant et de qualité, ni protéger l’emploi dans les PME. Or ce différentiel de croissance se traduira, dans les comptes de la sécurité sociale, par une perte de recettes d’au moins 1,5 milliard d’euros.
C’est encore aux travailleurs, aux assurés sociaux que le Gouvernement demande de mettre la main à la poche. Ce sera le cas avec la réduction du pouvoir d’achat de certaines prestations sociales et la mise en place probable d’un quatrième jour de carence pour les indemnités maladie ; ce sera le cas aussi avec la diminution de 0,3 point de l’ONDAM – déjà trop faible –, que les établissements publics de santé et le secteur médicosocial pourront difficilement supporter et qui se traduira dans certains cas par une réduction du personnel et la détérioration des conditions d’accueil et de soins.
Cela est intolérable, car ce que l’on appelle le « trou » de la sécurité sociale est d’abord le résultat de politiques menées depuis trop longtemps. Personne ne peut prétendre qu’il n’existe pas aujourd’hui les moyens financiers de renouer avec l’équilibre sans ponctionner encore et toujours le monde du travail. Celles et ceux qui invoquent une éventuelle règle d’or feraient mieux de chercher ici et maintenant les solutions durables et pérennes pour permettre le financement de la plus belle avancée sociale de notre histoire : la sécurité sociale
Il suffit d’observer les comptes des grandes entreprises du CAC 40 pour se rendre compte que notre système souffre non pas d’un manque d’argent, mais d’une mauvaise orientation et utilisation de celui-ci. Dans un scénario complètement fou, qui se vérifie un peu plus chaque jour, on constate que l’argent sert l’argent. Les richesses créées par le travail sont accaparées par la finance, qui emprunte de plus en plus massivement les chemins de la spéculation.
M. Serge Dassault. N’importe quoi !
M. Dominique Watrin. Le déficit de la sécurité sociale, c’est d’abord un déficit de courage !
Pourtant, cela fait des années que nous proposons d’autres voies, comme la taxation des revenus financiers, la modulation des taux de cotisations sociales en fonction de la politique d’emploi et de salaires des entreprises ou encore la mise à contribution des éléments annexes de rémunération tels que les retraites chapeaux et les stock-options dans de plus justes proportions. Cela serait utile non seulement au financement de la sécurité sociale, mais aussi au dynamisme de notre économie. La seule remise en cause des niches sociales, jugées peu pertinentes, voire inefficaces par l’Inspection générale des finances, rapporterait 12,8 milliards d’euros à l’État. Oui, il faut sortir du cercle vicieux imposé par la finance et les puissances d’argent, pour entrer dans un cercle vertueux de développement de l’emploi et des salaires.
Mais, de toutes ces propositions, vous n’en retenez aucune, préférant faire supporter les efforts par les salariés et les ménages. Plutôt que de mettre en œuvre les réformes structurelles que la Cour des comptes appelle de ses vœux et que nous proposons, vous préférez puiser toujours dans les mêmes poches.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Dominique Watrin. Or les mesures d’austérité sont d’autant moins supportables qu’elles s’ajoutent à celles du même ordre qui ont été prises dans un passé récent : hausses du forfait hospitalier, instauration de franchises et de forfaits et, dans le cadre de la dernière loi de finances rectificative, augmentation de la taxe sur les mutuelles. Pour récupérer 1 milliard d’euros supplémentaires, vous transformez, non sans habileté, les mutuelles en collecteurs d’impôt, reportant sur elles l’impopularité des hausses de cotisations qu’elles ne pourront éviter.
Permettez-moi de m’arrêter aussi quelques instants sur l’instauration d’un secteur optionnel, c’est-à-dire sur l’autorisation, pour les professionnels de santé, de ne pas respecter les tarifs opposables. Là encore, vous renvoyez la responsabilité vers les mutuelles, censées rembourser les dépassements d’honoraires.
Alors que nos concitoyens nous font part chaque jour de la difficulté, voire de l’impossibilité, d’accéder à des médecins ne pratiquant pas de dépassements d’honoraires, votre seule réponse consiste en l’abandon du secteur 1. Alors que les dépassements d’honoraires ont augmenté de 50 % en dix ans, alors que les sommes qui sont parfois demandées à l’hôpital suscitent la colère, voire la révolte, des patients, vous ne trouvez rien de mieux à faire que de les étendre encore et de les officialiser.
Dans tous les cas de figure, ce sont les citoyens les plus modestes qui sont touchés. C’est pourquoi il aurait été plus sage, mais surtout plus juste, de prendre, comme nous vous le proposerons, des mesures propres à limiter les dépassements et à garantir le droit pour tous d’accéder à une médecine de qualité et à tarifs opposables.
Il faut aussi conditionner les aides à l’installation des professionnels de santé au respect des tarifs opposables, car la hausse constante du coût des consultations, conjuguée aux différents prélèvements que j’ai évoqués voilà un instant –franchises médicales ou participation de 1 euro –, a eu pour effet de faire croître, quoi que vous en disiez, le nombre de personnes renonçant à des soins. Tout cela entraînera l’explosion de la médecine d’urgence, celle qui est réalisée à l’hôpital, dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle est coûteuse.
En résumé, votre politique est néfaste non seulement pour les patients, mais aussi pour les comptes de la sécurité sociale.
Concernant la branche famille, je salue l’augmentation du plafond de ressources pour le complément de libre choix du mode de garde et la majoration de son montant en faveur des parents isolés. Il s’agit d’une petite avancée, mais qui ne pèsera pas lourd face au report de la revalorisation des allocations familiales au 1er avril et à l’annonce par le Premier ministre d’une indexation de celles-ci sur la prévision de croissance à 1 %, et non plus l’inflation. S’il n’y avait pas du tout de croissance, les familles en paieraient-elles les conséquences alors qu’elles ne portent aucune responsabilité dans cet échec ?
Nous pensons en outre qu’il faut affirmer d’autres ambitions que celles qui sont inscrites dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.
La modification du décret qui permet d’inscrire plus d’enfants qu’une structure ne peut en accueillir est la démonstration qu’il faut impérativement créer des places d’accueil pour les jeunes enfants, prioritairement dans des structures collectives de qualité, pratiquant des tarifs compatibles avec la situation sociale des parents : c’est à cette condition aussi que l’on pourra favoriser le travail des femmes.
Je regrette d’ailleurs que ce projet de loi de financement de la sécurité sociale n’intègre aucune mesure relative à la formation des professionnels de la petite enfance.
Nous ne pouvons pas davantage nous satisfaire du statu quo dans la branche accidents du travail et maladies professionnelles, s’agissant notamment du phénomène de sous-déclaration. Outre les reports de charges financières sur la branche maladie qui en résultent, cela témoigne des blocages qui persistent, au sein des entreprises, pour reconnaître qu’une maladie ou un accident est lié à l’activité professionnelle. Cela nous inquiète, car, au final, cela signifie que certaines maladies ou certains accidents professionnels sont insuffisamment pris en compte et ne peuvent donc pas faire l’objet de mesures préventives. Celles-ci font cruellement défaut.
Quant aux victimes, elles sont une nouvelle fois oubliées. Vous avez su les taxer en 2010 en fiscalisant leurs indemnités journalières, et en 2008 en les soumettant aux franchises médicales ; vous ne savez toujours pas les reconnaître dès lors qu’il s’agit d’organiser la compensation intégrale de leur préjudice. Aujourd’hui, une victime du travail est toujours moins bien indemnisée qu’une victime de la route : ce n’est pas supportable !
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les accidents du travail et maladies professionnelles. Très bien !
M. Dominique Watrin. Madame la secrétaire d’État, que compte faire le Gouvernement, en particulier, pour indemniser correctement les dizaines de milliers de personnes qui ont été exposées à l’amiante ? Ces victimes, qui souffrent dans leur corps et dans leur tête et dont dix meurent chaque jour en France, se voient contraintes aujourd’hui par des jugements de tribunaux de rembourser la moitié des indemnisations qu’elles ont perçues du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA.
Quant à la branche vieillesse, je tiens à protester, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, contre l’annonce aujourd’hui par le Premier ministre d’une accélération de la mise en œuvre du recul que constitue le passage à 62 ans de l’âge légal de la retraite. Cela va encore aboutir à une diminution des pensions versées ou, pour ceux qui continueront à travailler, à une réduction de leur espérance de vie en bonne santé.
Durant le débat sur la réforme des retraites, nous avons proposé de financer la retraite à 60 ans en taxant le capital. Ce n’est pas cette voie que vous avez choisie ; je regrette que vous persistiez dans ce recul social.
Enfin, je voudrais évoquer brièvement le secteur médicosocial.
Vous avez renoncé à légiférer sur la perte d’autonomie. Je suis persuadé que c’est une erreur de refermer le débat si tôt après l’avoir engagé et de tout suspendre à l’échéance présidentielle.
M. Roland Courteau. Grave erreur !
M. Ronan Kerdraon, rapporteur de la commission des affaires sociales pour le secteur médico-social. Très bien !
M. Dominique Watrin. En effet, les problèmes s’accumulent : manque de places en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – les EHPAD –, « reste à charge » trop lourd, moyens de fonctionnements insuffisants, asphyxie financière des départements… Ne parlons pas des formules alternatives et intermédiaires entre domicile et établissement médicalisé, qu’il faut promouvoir.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Dominique Watrin. Nous sommes persuadés qu’il est possible de construire une prise en charge solidaire du vieillissement de notre société et d’un accompagnement de qualité de nos personnes âgées. Ce chantier est à ouvrir sans délai ; faut-il d’ailleurs rappeler les appels au secours lancés par les associations d’aide à domicile ?
Madame la secrétaire d’État, l’année dernière, le Gouvernement a opéré un transfert de 100 millions d’euros du secteur médicosocial vers le secteur sanitaire. Un tel transfert est injustifié, particulièrement au regard du principe de fongibilité asymétrique, et pèse lourdement sur la création de places. Celle-ci a été quasiment gelée l’année dernière faute de financement. Aucun crédit ne doit manquer cette année au secteur médicosocial : vous y engagez-vous ?
En conclusion, bien que l’application de l’article 40 de la Constitution nous contraigne et limite notre action, le groupe CRC formulera de nombreuses propositions, articulées selon un principe commun : mettre en perspective des financements nouveaux et prendre l’argent là où il est, pour mieux répondre aux attentes de nos concitoyens.
Le courage ne peut se réduire à organiser une chasse aux déficits quand celle-ci aboutit à ponctionner toujours un peu plus les assurés sociaux, même si cela fait plaisir aux agences de notation.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Dominique Watrin. Le vrai courage, c’est de rester fidèles à l’esprit du programme du Conseil national de la Résistance, aux principes fondateurs de la sécurité sociale et aux sources mêmes de notre Constitution, qui place la protection de la santé au premier rang des devoirs de la nation.
M. Roland Courteau. Bravo !
M. Dominique Watrin. C’est cette voie que nous préconiserons d’emprunter tout au long de ce débat.