Après nous être opposés à l’article 61 bis du projet de loi, relatif aux pilotes de ligne et aux personnels navigants techniques, ainsi qu’à l’article 61 ter, qui concerne les personnels navigants commerciaux, c’est-à-dire les hôtesses de l’air et les stewards, nous allons, je ne vous le cacherai pas, chers collègues, combattre vivement l’article 61 ! (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
Chacun sait ici quel fut le parcours de cet article 61.
Chacun sait aussi que cet article, s’il était adopté, serait lourd de conséquences pour les salariés de notre pays. Il s’agirait une nouvelle fois d’une attaque violente portée contre un code du travail que vous êtes nombreux, chers collègues de la majorité, à désirer vider de sa substance et dont vous avez déjà détricoté une bonne partie.
M. Roland Courteau. C’est bien vrai !
M. Guy Fischer. D’ailleurs, c’est bien simple : depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, le code du travail perd chaque jour davantage sa fonction première, celle de protéger les salariés contre les mauvais coups du patronat.
Cet article, donc, constitue une attaque sans précédent contre le droit à la retraite.
Il y a eu, chacun s’en souviendra, des attaques frontales : l’assujettissement des retraites à la CSG et à la CRDS- merci, monsieur Barre ! -, les lois de M. Balladur, en 1993, qui supprimaient, pour les retraites du régime général, l’indexation des pensions sur les salaires au profit d’une indexation sur les prix, sans oublier, bien entendu, les contre-réformes de M. Fillon, en 2003, qui rallongent la durée de cotisation jusqu’à quarante et une annuités d’ici à 2012.
M. Jean-Louis Carrère. On l’appelle « l’effaceur » !
M. Guy Fischer. Nous assistons aujourd’hui à une série d’attaques d’un nouveau genre, plus subtiles, il est vrai, mais tout aussi néfastes et dangereuses pour nos concitoyens.
Toutes ces réformes - ces contre-réformes - conduisent nos concitoyens en fait à se déshabituer progressivement du régime de retraite par répartition.
Le Gouvernement n’a eu de cesse de développer les mécanismes de retraites individualisés, comme le PERP, le plan d’épargne retraite populaire, ou des mécanismes collectifs de substitution, comme le PERCO, le plan d’épargne retraite collectif.
M. Dominique Leclerc, rapporteur. La PRÉFON !
M. Guy Fischer. Ces deux types de mécanismes, qu’ils soient individuels ou collectifs, constituaient une brèche dans la solidarité nationale.
Avec eux, la règle n’est plus la solidarité nationale et intergénérationnelle : c’est le règne du chacun pour soi. Cela constitue une étape de plus vers la retraite par capitalisation, qui, pour nous, est inacceptable.
Aujourd’hui, avec cet article, le Gouvernement entend pousser plus loin encore sa politique de recul de l’âge de départ à la retraite.
M. Alain Gournac. Oui ! C’est vrai ! C’est la réalité !
M. Guy Fischer. Cela ne m’étonne pas de vous, monsieur Gournac ! Vous allez faire travailler les gens jusqu’à soixante-dix ans et plus, comme au Japon !
M. Alain Gournac. Ceux qui le souhaitent !
M. Alain Vasselle. Ceux qui veulent !
M. Guy Fischer. Pour se faire, monsieur le ministre, parce que vous considérez que quarante et une annuités ne suffisent pas, vous proposez que les salariés qui le souhaitent puissent poursuivre leur activité professionnelle au-delà de soixante-cinq ans, jusqu’à soixante-dix ans...
M. Alain Vasselle. Oui, ceux qui le souhaitent !
M. Guy Fischer. ...et, pour justifier l’injustifiable, vous invoquez la liberté de choix ou encore le vieillissement de la population et l’allongement de l’espérance de vie.
M. Alain Vasselle. Vous êtes contre la liberté !
M. Guy Fischer. C’est à croire que, pour certains, il n’y a de vie méritant d’être vécue que s’il y a travail. L’engagement associatif, syndical, politique, le plaisir de vivre avec ses proches des moments de repos et de plaisir, vous n’en avez cure ! Or, n’en doutons pas, c’est entre soixante ans et soixante-dix ans que l’on profite au mieux de sa retraite.
Mme Jacqueline Chevé. La retraite, ils n’en veulent pas !
M. Guy Fischer. Cette vie-là n’est pas intéressante pour eux, car elle n’est pas productive, productive d’argent, s’entend ! Elle est productive de richesse, synonyme d’épanouissement, mais ce bonheur n’est pas quantifiable en espèces, il ne satisfait aucun critère de rentabilité immédiate, cette rentabilité si chère aux libéraux.
Vous justifiez cette mesure, monsieur le ministre, en brandissant l’étendard de la liberté individuelle, mais il n’y a, sur les travées du groupe CRC, et de la gauche en général, aucune sénatrice, aucun sénateur qui veuille priver notre peuple d’une once de liberté.
Alors, de grâce ! cessez d’user de cet argument tendancieux, car la vraie liberté, nos concitoyens la connaissent de moins en moins. Il ne s’agit plus de faire ce que l’on veut ; il s’agit bien plutôt désormais d’être débarrassé de certaines chaînes : la précarité, la pauvreté, la peur des fins de mois, la faim, le dénuement. Quant au désir d’aider ses enfants, de prendre des vacances, ce sont autant de libertés brimées, pour le retour desquelles le Gouvernement ne fait rien.
La liberté qu’il invoque pour justifier le passage à la retraite à soixante-dix ans n’en est pas une.
Ce n’est pas être libre que devoir travailler au-delà de ses envies, de ses capacités parfois, seulement pour trouver les moyens financiers qui vous manquent.
À cette prétendue liberté, je vous oppose un autre droit, monsieur le ministre, tout aussi important : le droit à la dignité.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Guy Fischer. Vivre dignement : tel est l’un des enjeux du xxie siècle.
M. Alain Gournac. Le travail, c’est la dignité !
M. Alain Vasselle. Arrêtez ce procès d’intention !
M. Guy Fischer. Récemment encore, avec le projet de loi tendant à généraliser le RSA, nous avons bien vu comment vous conceviez la dignité !
Toutefois, la liberté que vous brandissez ne suffira pas à répondre aux besoins de nos concitoyens, car, contrairement à ce que vous prétendez, ce qu’ils attendent plus que tout, c’est la reconnaissance de leur humanité, de leur droit à vivre dignement.
C’est pourquoi nous considérons, nous, membres du groupe CRC, qu’il ne peut y avoir aucun minimum social dont le montant soit inférieur au seuil européen de pauvreté.
Pour la droite, il en va de la liberté comme de la santé : elle n’a pas de prix, mais elle a un coût.
M. Jean-Pierre Godefroy. Exactement !
M. Guy Fischer. Nous devons avoir ici - nous tenterons d’y participer - un débat sur l’orientation de l’argent, car cette question est primordiale. C’est pour cela que nous présenterons un amendement de suppression de cet article 61, qui est vraiment un article scélérat.