Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui fait suite à la décision du Conseil constitutionnel de censurer les dispositions concernant la médecine du travail introduites subrepticement, par voie d’amendements, dans la loi portant réforme des retraites.
Mme Catherine Procaccia. Vous êtes toujours dans la nuance !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est la réalité ! Il faut appeler un chat un chat !
M. Guy Fischer. En effet ! J’ai suffisamment participé aux débats sur le projet de loi portant réforme des retraites pour savoir de quoi je parle !
M. Alain Gournac. Il n’y a pas que vous ! Moi aussi, j’y ai participé !
M. Guy Fischer. Mon cher collègue, je n’ai jamais prétendu qu’il n’y avait que moi dans l’hémicycle !
M. le président. Je vous en prie, mon cher collègue, veuillez poursuivre !
M. Guy Fischer. On me fait perdre du temps, monsieur le président !
M. le président. Ne succombez pas à la tentation de répondre aux interruptions, mon cher collègue ! (Sourires.)
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur. Les dispositions ont été censurées pour des raisons formelles !
M. Guy Fischer. Je le concède, il s’agit d’une censure sur la forme et non sur le fond, …
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur. Voilà !
M. Guy Fischer. … le Conseil constitutionnel ayant considéré que ces dispositions n’avaient rien à faire dans une loi sur les retraites, des arguments que nous avions développés ici même, mais que ni le Gouvernement ni sa majorité n’avaient voulu entendre, ce qui est bien regrettable.
À la suite de cette décision, le Gouvernement s’était empressé d’annoncer par voie de presse qu’il déposerait dans les plus brefs délais un projet de loi intégrant ces dispositions. Avec l’initiative du groupe centriste, il n’aura pas eu à le faire. En effet, il n’aura fallu attendre que quelques jours pour qu’une proposition de loi en ce sens soit déposée.
Cet empressement nous interpelle, d’autant que, sous l’impulsion de notre président, Gérard Larcher, il a été suggéré que toutes les propositions de loi concernant le monde du travail soient soumises, pour avis, aux partenaires sociaux.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
M. Guy Fischer. Il s’agissait, selon le président Larcher, de consulter les partenaires sociaux sur les propositions de loi à caractère social,…
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. En effet !
M. Guy Fischer. … à l’image de ce qui existe depuis l’adoption de la loi de 2007 de modernisation du dialogue social, qui oblige le Gouvernement à consulter ces partenaires sociaux avant tout projet de réforme portant sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle.
Vous ne manquerez pas de m’objecter que ce sujet a déjà été longuement débattu. En effet, une négociation interprofessionnelle visant à réformer la médecine du travail a bien été engagée sur l’initiative du Gouvernement le 15 janvier 2009, qui faisait suite à la tenue de trois commissions tripartites sur les conditions de travail.
Mais vous n’êtes pas sans savoir que cette procédure s’est soldée par un échec, qui s’est traduit, en novembre 2009, par le refus de toutes les organisations syndicales d’approuver le texte proposé par les représentants du patronat.
Or c’est précisément ce texte, c’est-à-dire celui qui était voulu par les employeurs, et eux seuls, que le Gouvernement et les députés UMP ont tenté d’imposer dans la réforme relative aux retraites, et ce sont ces dispositions qui ont été considérées comme des cavaliers par le Conseil constitutionnel et qui ont été censurées. Au final, ce sont ces mêmes dispositions qui nous sont aujourd’hui soumises.
Je n’irai pas jusqu’à dire que nous examinons les seules propositions du patronat, mais à quelques exceptions près, avouez que nous n’en sommes pas loin !
C’est d’ailleurs ce constat qui a conduit les organisations syndicales à rejeter la proposition qui leur était faite d’ouvrir de nouvelles négociations. En effet, pour qu’il y ait négociation, encore faut-il que la base législative soumise à débat ne soit pas spécialement « clivante ». Malheureusement, tel n’est pas le cas. On comprend donc que les organisations syndicales, soucieuses d’une véritable négociation, aient refusé de débattre.
Je note, par ailleurs, que les organisations représentant les employeurs ont également renoncé à une réouverture des négociations, trop contentes que cette proposition de loi reprenne leurs propositions.
Je citerai notamment la réponse qu’a adressée, au nom de la CGPME, M. Jean-François Roubaud à la présidente de la commission des affaires sociales, notre collègue Muguette Dini : « Après examen attentif de cette proposition de loi, nous avons pu constater qu’elle reprenait quasi intégralement les dispositions des articles 63 à 77 du projet de loi portant réforme des retraites tels qu’ils avaient été adoptés par les assemblées parlementaires. » Il ajoute : « Nous avions porté un jugement positif sur ces articles. Nous ne considérons donc pas comme nécessaire la mise en œuvre d’une nouvelle négociation sur la médecine du travail ».
Tout est dit !
Curieuse conception du dialogue social que celle qui conduit à considérer qu’un texte qui reprendrait les propositions que l’on aurait formulées et qui n’auraient reçu le soutien ou l’approbation d’aucune organisation syndicale ne devrait pas faire l’objet d’une négociation, du seul fait que l’organisation patronale que l’on représente est satisfaite du contenu !
Alors, me direz-vous, une phase de consultation se concluant par un échec devrait suffire pour que le législateur intervienne. Nous prenons acte d’une telle position et espérons que vous vous en souviendrez quand, à l’avenir, nous déposerons des amendements destinés à rendre obligatoire la conclusion d’accords entre les partenaires sociaux.
Vous ne pourrez plus, monsieur le ministre, nous opposer votre traditionnelle confiance dans les partenaires sociaux pour trouver des points de consensus, puisque vous prenez aujourd’hui appui sur l’échec de la négociation pour intervenir.
En réalité, vous n’intervenez pas, vous vous contentez de soutenir la démarche d’un groupe parlementaire, celui de la majorité. On peut d’ailleurs s’interroger sur une telle situation. Je n’entends naturellement pas contester le droit d’initiative des parlementaires ; je me contente de souligner que le processus qui nous conduit à examiner, en ce moment, cette proposition de loi, vous permet, monsieur le ministre, de contourner une phase obligatoire de concertation avec les partenaires sociaux et d’éviter l’avis du Conseil d’État sur ce texte.
Toutefois, notre opposition à cette proposition de loi ne se limite pas à des questions de forme ; nous y sommes également opposés sur le fond.
Nous ne contestons pas la nécessité d’une véritable réforme de la médecine du travail. Les mutations technologiques et sociales, les nouveaux modes d’organisation, l’explosion des souffrances, le mal-être lié au travail – La Poste déplore, paraît-il, 70 suicides parmi ses salariés – qui découle de méthodes de management engendrant, chez les salariés, peur et sensation de ne pouvoir faire correctement leur travail, ne sont pas, actuellement, suffisamment pris en compte.
Les troubles musculo-squelettiques, les TMS, figurent, d’après les bulletins épidémiologiques hebdomadaires publiés par l’Institut de veille sanitaire, parmi les questions les plus préoccupantes liées à la santé au travail. Ils occupent la première place au sein des maladies professionnelles et, plus grave encore, demeurent la première cause de morbidité liée au travail, puisqu’ils sont à l’origine de la perte d’environ 7 millions de journées de travail chaque année.
Si, partout en Europe, on observe un mouvement identique, la France semble cependant en tête des pays européens quant au nombre de maladies professionnelles déclarées et reconnues, selon le rapport d’enquête Les maladies professionnelles en Europe – Statistiques 1990-2006 et actualité juridique, publié par Eurogip.
Certes, selon le rapport publié par la branche accidents du travail-maladies professionnelles de l’assurance maladie, le nombre d’accidents du travail enregistre une légère baisse. Ne perdons pas de vue cependant que ces chiffres sont dus essentiellement aux licenciements liés à la crise, plus particulièrement dans des secteurs comme le BTP ou la métallurgie, où l’on a observé une réduction de 20 % des effectifs salariés.
Le même rapport est en revanche plus alarmiste concernant les maladies professionnelles. En effet, malgré l’augmentation du chômage, elles ont fait un bond de 9 % en un an.
Face à ce constat inquiétant, les salariés de notre pays sont en droit de se demander de quelle manière la réforme que vous proposez pourra apporter une quelconque amélioration. Pour notre part, nous pensons qu’elle restera inopérante.
En effet, elle laisse de côté un facteur essentiel, je dirai même incontournable, celui de la démographie.
Comme le souligne notre rapporteur, notre pays compte aujourd’hui 6 800 médecins du travail, dont plus de 55 % ont plus de cinquante-cinq ans. Ainsi, 4 000 médecins auront atteint ou dépassé l’âge légal de départ à la retraite d’ici à cinq ans et plus de 5 600, soit près de 80 % de la population totale des médecins du travail, d’ici à dix ans. Autant dire qu’il y a urgence à agir.
Pourtant, malgré l’impérieuse nécessité de renforcer le nombre de médecins du travail, confortée par le rapport Conso-Frimat de 2007, rien n’est fait pour rendre cette discipline plus attractive.
La seule proposition formulée pour faire face à la pénurie qui s’annonce se limite à confier une partie des activités de santé au travail à des médecins généralistes qui, de fait, ne disposent pas de la formation et des compétences particulières propres aux opérations de prévention et d’action de santé au travail. Ainsi, souvenons-nous que, dans les cas de cancers liés à l’exposition à l’amiante, rares ont été les médecins généralistes à faire le lien entre l’état de santé des patients et leurs activités professionnelles.
Ce n’est pas en niant la spécificité de l’exercice de la médecine du travail qu’on revalorisera celle-ci ou que l’on prendra la pleine mesure des besoins des salariés dans ce domaine.
En outre, le mode de gouvernance choisi par le MEDEF et retenu dans cette proposition de loi donne tout pouvoir aux employeurs. Une telle situation résulte, mes chers collègues, de votre décision de retenir comme mode de gestion un faux paritarisme.
Si le conseil d’administration des services de santé au travail interentreprises est composé à parité de représentants des salariés et de représentants des employeurs, c’est bien à ces derniers que reviennent la présidence et la voix prépondérante. Pour reprendre une formule utilisée par la FNATH et l’ANDEVA dans un communiqué de presse, et que je trouve fort à propos, cela revient à « confier les clés du poulailler au renard ».
J’ai d’ailleurs entendu en commission des affaires sociales des arguments des plus inquiétants.
À en croire certains collègues de la majorité sénatoriale, il serait naturel que les employeurs disposent d’une voix prépondérante, président les services de santé au travail et fixent les objectifs de ces derniers, au motif qu’ils les financeraient ! Ce point de vue a d’ailleurs été exprimé au cours du débat. Toutefois, c’est bien vite oublier que, s’ils financent ces services, c’est que leur responsabilité est bien souvent en cause dans la dégradation de l’état de santé de leurs salariés. De la direction des services de santé à leur limitation, notamment par le biais du recentrage de la médecine du travail sur des priorités, il n’y a qu’un pas, si l’on en croit l’adage « qui paye décide. »
Mes chers collègues, à ce stade, nous n’avons qu’une seule question à nous poser : que serait-il advenu des contaminations liées à l’amiante si les employeurs avaient disposé des pouvoirs que vous entendez leur confier aujourd’hui ? (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Il eût fallu attendre encore plus longtemps, je le crains, pour que les premières mesures interviennent. Car ne perdons pas de vue que l’action tardive des employeurs et des décideurs s’explique, en partie, par les qualités économiques de ce produit ou plutôt, devrais-je dire, de ce poison.
Aujourd’hui, alors que les troubles psychosociaux en milieu professionnel explosent – c’est la maladie du xxie siècle –, principalement en raison d’un mode d’organisation et de management du travail entièrement tourné vers le profit et à l’origine de terribles ravages – la mission d’information sur le mal-être au travail l’a prouvé – croyez-vous sincèrement que les employeurs, qui sont en la matière trop souvent dans le déni, feront de la lutte contre la souffrance au travail une priorité ? Croyez-vous qu’ils feront de cette problématique de santé publique une priorité de la médecine du travail, alors même que cela suppose une remise en cause sans précédent de leurs modèles de gestion des compétences humaines ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. S’ils le faisaient, cela se verrait !
M. Guy Fischer. Je crains que tel ne soit pas le cas ! Pour notre part, croyez-moi, mes chers collègues, nous allons nous pencher sur le problème du suicide au travail, car il nous faut affronter cette réalité.
Ces réflexions nous conduisent – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons déposé cette motion –, à nous interroger sur la conception que vous vous faites de la médecine du travail.
À l’occasion de la réforme des retraites, nous avons compris que, pour vous, le droit à la reconnaissance de la pénibilité se bornait à un simple constat de la situation d’invalidité du salarié. J’en veux pour preuve le projet de décret communiqué aux partenaires sociaux, qui prévoit que, pour les seuils d’incapacité compris entre 10 % et 20 %, aucun départ anticipé à la retraite ne pourrait être envisagé si le salarié ne fait pas la démonstration – particulièrement difficile ! – d’une exposition de 17 ans à des facteurs de risque. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Dans un tel contexte, je comprends que vous n’ayez plus besoin d’une médecine du travail prédictive et préventive, celle-ci n’étant plus dès lors considérée par le patronat que comme un coût supplémentaire venant grever un travail prétendument trop cher. (Une alarme retentit dans l’hémicycle.)
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Fischer. Cette sonnerie indique simplement que votre temps de parole est écoulé.
M. Guy Fischer. Après les afficheurs de chronomètres, un signal sonore ? C’est une première ! Je ne savais même pas qu’un tel dispositif était installé dans l’hémicycle. (Rires.)
Mais je termine, monsieur le président.
En 1946, l’instauration de la médecine du travail était adoptée à l’unanimité. En 2011, la proposition de loi que nous sommes appelés à examiner n’est approuvée que par ceux qui se voient confier tous les pouvoirs, c’est-à-dire le patronat. Elle divise jusqu’à la majorité, nous l’avons vu en commission des affaires sociales.
La santé des salariés de notre pays mérite que s’ouvre un vrai débat public, débouchant sur une loi à la fois de consensus et de progrès. Nous en sommes loin !
Le groupe CRC-SPG estime que l’adoption de cette question préalable constituerait une nouvelle chance de moderniser la médecine du travail. C’est la raison pour laquelle, chers collègues, nous vous invitons à l’adopter.