Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au terme du processus qui a vu la Haute Assemblée et l’Assemblée nationale adopter dans les mêmes termes l’essentiel du projet de loi déposé par le Gouvernement, après que les deux chambres se sont entendues en commission mixte paritaire sur l’élaboration d’un texte commun, vous ne serez pas étonnés que les sénatrices et les sénateurs du groupe CRC-SPG maintiennent leur opposition à ce texte.
Cette opposition porte tout à la fois sur la forme et sur le fond.
En effet, le Gouvernement a fait une nouvelle fois le choix de transposer dans l’urgence des éléments de plusieurs directives européennes. À cette fin, il demande aux parlementaires d’accepter de travailler sous la pression, de se dessaisir d’une partie de leurs compétences en l’autorisant à recourir aux ordonnances, en application de l’article 38 de la Constitution, au motif que ces dispositions, en tout cas beaucoup d’entre elles, n’ont pas été transposées dans les délais requis. Cela n’est pas sérieux et expose notre pays à d’importantes sanctions financières. Le Gouvernement, pour nous contraindre – ou plutôt pour contraindre sa majorité – joue d’ailleurs de cette menace, sensible dans le contexte financier tendu qui est le nôtre.
Je le dis tranquillement, mais avec fermeté : cette méthode de gouvernance, dans laquelle les parlementaires ont à pâtir du manque de sérieux des ministres compétents, doit cesser. Nous devons absolument avoir les moyens d’examiner au fond les sujets déterminants pour l’avenir de nos concitoyens. Une grande démocratie comme la nôtre ne peut fonctionner durablement ainsi. C’est à croire que les ministres prennent volontairement du retard pour éviter qu’un véritable débat ne s’instaure tant au Parlement que dans notre société dans son ensemble.
Mme Annie David. Eh oui !
M. Guy Fischer. Car nous n’oublions pas qu’il s’agit de transposer de nombreuses dispositions de la directive Services, plus connue sous le nom de « directive Bolkestein », et du « paquet télécoms » qui, chacun le sait, participe à l’accroissement de la concurrence libre et non faussée dans un secteur jadis protégé.
C’est d’ailleurs l’objet de l’essentiel de ce projet de loi, aussi divers qu’apparaisse son contenu. Afin d’éviter une convergence des mécontentements et des oppositions, le Gouvernement a opté pour une transposition sectorielle plutôt que transversale, c’est-à-dire pour une transposition métier par métier, et non pas globale, contrairement à ce qui s’est fait dans d’autres pays de l’Union européenne.
Pour notre part, nous ne sommes pas dupes, madame la secrétaire d’État. Nous savons bien que votre projet européen se limite à adapter les législations nationales à la loi du marché, à faire en sorte que l’économie et ses caprices priment les besoins humains et sociaux. C’est d’ailleurs ce constat qui nous avait conduits à nous opposer en son temps à la directive Services et à refuser, comme la majorité des Français, le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe que vous avez imposé et qui consacrait cette prédominance de l’économie.
Je constate avec satisfaction que nous sommes de plus en plus nombreux à penser ainsi, y compris dans cet hémicycle et donc sur les travées de la majorité sénatoriale– même si, au fil du temps, sous la pression du Gouvernement, les réticences se sont atténuées. Il reste que, comme l’a rappelé M. Barbier, en commission des affaires sociales, de nombreux sénateurs de l’UMP se sont vivement opposés à certaines dispositions du présent projet de loi, qu’il s’agisse de la revente d’occasion de matériel médical ou encore des assistants de service social.
Cette opposition s’est me semble-t-il traduite par une situation inédite : aucun des sénateurs UMP membres de la commission des affaires sociales – saisie au fond – n’est intervenu pour défendre ce projet de loi… C’est dire ! Et on les comprend ! Car ce projet de loi, malgré son apparente diversité, son côté « fourre-tout », n’est pas anodin.
Ainsi, l’article 2 prévoit tout simplement de déréguler la revente de matériel médical d’occasion. En effet, la certification de sa conformité – qui est indispensable en cas de revente – ne sera désormais plus exclusivement établie par un organisme habilité par l’AFSSAPS et pourra être confiée à un autre organisme désigné par les autorités compétentes d’un autre État membre de l’Union européenne. Cela risque d’entraîner une dégradation importante des missions de contrôle, car les normes ne sont pas les mêmes dans tous les pays.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Exact !
M. Guy Fischer. L’article 2 supprime en outre l’exigence d’une attestation technique pour la revente des dispositifs médicaux d’occasion, laissant au revendeur le soin de justifier de l’entretien régulier et du maintien des performances de ceux-ci.
En somme, on remplace un document administratif d’une certaine valeur, puisque reposant sur l’expertise d’une agence nationale, par une simple déclaration de bonne foi du revendeur : convenez que ce n’est pas sérieux dès lors qu’il s’agit de secteurs qui engagent la santé des patients et la sécurité des utilisateurs.
Quant à l’article 3, vivement contesté en commission des affaires sociales par notre collègue Sylvie Desmarescaux, rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour le secteur médico-social, il prévoit d’autoriser des prestataires européens à exercer de manière temporaire et occasionnelle en France les missions d’évaluation et de contrôle des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, des instituts médico-éducatifs, ou IME, qui doivent, vous le savez, procéder tous les sept ans, à des évaluations externes.
L’article 3 vise à dispenser ces établissements de l’habilitation délivrée par l’ANESM. Cette disposition nous inquiète, car elle risque d’avoir des conséquences à la fois sur la qualité du service rendu par ces opérateurs européens et sur les personnes, par nature très fragiles, accueillies dans ces établissements. Elle pourrait aussi affaiblir les établissements nationaux. En effet, si les opérateurs européens sont dispensés de l’habilitation délivrée par l’ANESM – qui est gage de qualité, de sécurité et, disons-le, de sérieux –, les opérateurs français, eux, y demeurent soumis. Cette situation discriminatoire pourrait conduire à la disparition progressive des opérateurs nationaux. C’est un effet logique que nous constatons après chaque manœuvre de dumping social, mais, en l’occurrence, cette disparition risque de ne pas être sans conséquences sur la sécurité et la qualité de vie des personnes vieillissantes ou en situation de handicap.
Et c’est la même logique de concurrence déloyale entre les opérateurs nationaux et européens que vous voulez appliquer à un domaine très particulier du monde de la culture : le spectacle vivant.
L’article 6 permet aux opérateurs privés de se dispenser de l’obligation faite aux opérateurs français de posséder une licence. Or cette licence atteste que l’opérateur de spectacle détient la capacité juridique qui l’autorise à exercer une activité commerciale. Pour l’obtenir, l’opérateur doit suivre une formation de 500 heures, comportant un très important volet sécurité, ce qui n’est pas anodin dès lors qu’il s’agit d’accueillir du public.
En fait, vous remettez en cause bien plus qu’un simple mécanisme d’autorisation. C’est toute une conception du dialogue social, lequel n’est naturellement pas étranger à la qualité du spectacle vivant dans notre pays, qui est menacée dans la mesure où cette licence, parce qu’elle assure le respect du principe de présomption de salariat, permet de lutter contre le travail illégal.
L’article 8, dont nous avions proposé la suppression, contre l’avis du Gouvernement, lequel a malheureusement été suivi par la majorité sénatoriale, prévoit, lui, de supprimer les incompatibilités pour l’obtention de la licence d’agence de mannequins, dont l’objet est d’éviter les conflits d’intérêts qui peuvent se produire au détriment des mannequins. Ces derniers, souvent très jeunes, parfois mêmes mineurs, peuvent être particulièrement fragiles. Il nous semble dès lors impensable d’adoucir les règles censées protéger les mannequins en confiant aux agents le soin de veiller à leurs intérêts alors qu’ils ont au contraire tout à gagner en cas de conflits d’intérêts.
Enfin, comment ne pas souligner le risque que fait peser l’article 10 de ce projet de loi sur le secteur social ?
En effet, celui-ci vise à restreindre de manière importante les conditions d’exercice de la profession d’assistant de service social. Le demandeur ressortissant d’un État membre serait dispensé de justifier de deux années d’expérience en tant qu’assistant de service social s’il a obtenu un titre dans son pays, même si la profession n’y est pas réglementée.
Or, si la profession est réglementée depuis longtemps en France, c’est parce que les pouvoirs publics ont considéré à juste titre qu’il était impératif, pour les professionnels qui accompagnent des personnes connaissant une situation sociale et financière difficile, de disposer d’une formation adéquate. Tous les conseillers généraux, à commencer par les présidents de conseils généraux – ils sont nombreux dans cette assemblée –, connaissent parfaitement cette problématique. Il faut dire que les assistants de service social interviennent auprès de publics déjà très fragilisés, pour qui ces professionnels sont souvent l’ultime rempart.
Mes chers collègues, nous n’aurions pas eu à débattre de cet article si le Gouvernement avait décidé, comme l’y autorise le droit européen, d’invoquer les raisons impérieuses d’intérêt général.
Mme Annie David. Eh oui !
M. Guy Fischer. Or il s’y est refusé, ignorant les conséquences des politiques européennes sur les populations dès lors qu’il s’agit de lever tous les obstacles freinant la libre concurrence.
C’est cette logique qui nous a conduits à nous opposer à ce projet de loi comme à la directive Services. Nous considérons en effet qu’il est capital que les pouvoirs publics aient avant tout pour objectif de garantir la qualité et la sécurité des services proposés, particulièrement lorsqu’ils s’adressent à des publics fragilisés ou visent à répondre à des besoins essentiels dans le secteur médical, social ou culturel. Hélas, une telle politique est à mille lieux de ce qui nous est proposé ici ; c’est la raison pour laquelle, comme je l’ai annoncé en préambule, nous voterons contre ce projet de loi.