Le Medef et la CGPME renient leurs propres engagements

Démocratie sociale

Publié le 8 juin 2010 à 10:16 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers et chères collègues, décidément le patronat français, en particulier celui du CAC 40, n’est pas mûr pour instaurer, en France, les conditions d’un véritable dialogue social !

On dit souvent de la France qu’elle est un pays où les relations entre employeurs et salariés se situent sur le seul terrain conflictuel, un pays où tout est prétexte à une politisation des enjeux et à une opposition frontale, où rien ne peut se faire dans la concertation et le dialogue.

Il est également fréquent d’entendre que cet archaïsme serait du fait des seules organisations représentant les salariés, car elles refuseraient la modernité !

Pour soutenir cette thèse, le « modèle » allemand, ou scandinave, est souvent cité. Vu de notre pays, il permettrait de régler les conflits grâce au compromis et à une synergie entre employeurs et salariés. En France, en revanche, sévirait un mauvais génie prompt à la lutte sociale…

Mais, mes chers collègues, à qui doit-on cet état de fait ? Aux salariés et à celles et ceux qui les représentent ou aux employeurs et à leurs représentants ?

Quand on voit la tournure que prend l’examen de ce projet de loi et le sort que la majorité entend réserver au dialogue social dans les TPE, la réponse est vite trouvée : nous avons, en France, le patronat et les organisations patronales les plus rétrogrades et réactionnaires qui soient ! (M. François Trucy s’exclame.)

En effet, comment ne pas ressentir du dépit et de la colère quand on voit aujourd’hui le MEDEF et la CGPME, au pied du mur, renier leurs propres engagements plutôt que de laisser aboutir une réforme pourtant socialement et juridiquement indispensable ? Comment accepter que ces organisations soient relayées en cela, ici même, par la majorité parlementaire ?

Refuser l’instauration des commissions paritaires territoriales, c’est exclure purement et simplement les salariés des TPE de toute démocratie sociale. C’est aussi méconnaître la position commune d’avril 2008, la loi du 20 août 2008 et l’avis du Conseil d’État du 29 avril 2010.

Permettez-moi de revenir brièvement sur le cheminement du projet de loi que nous examinons, car il est très symptomatique du climat social qui règne actuellement en France.

Comme M. le ministre vient de le rappeler, la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail répondait à un double objectif : renforcer l’effectivité de la représentativité en faisant de l’entreprise la base de celle-ci et mesurer l’audience des organisations syndicales, cette dernière faisant partie des nouveaux critères sur lesquels se fonde la représentativité.

Toutefois, la loi de 2008 s’appuie sur l’audience enregistrée lors des élections des institutions représentatives du personnel. En ce sens, elle ne s’applique que dans les entreprises de plus de onze salariés, ces élections n’ayant pas cours dans les autres.

Or, comme l’a rappelé M. le rapporteur, les salariés des TPE représentent aujourd’hui plus de 4 millions de personnes, soit environ 20 % des salariés du secteur privé, sachant que cette proportion est bien plus élevée dans certaines branches. Ces femmes et ces hommes sont donc privés de toute représentativité syndicale et la mesure de l’audience des syndicats est inexistante dans leurs entreprises.

C’est la raison pour laquelle avait été prévue, dans la loi de 2008, une clause de revoyure, qui devait permettre d’étendre cette « démocratie sociale » aux TPE. Cette clause stipulait que les partenaires sociaux devaient se mettre d’accord sur le sujet, au plus tard le 30 juin 2009.

Or, après un constat d’échec, l’UPA et quatre organisations syndicales de salariés ont rédigé une lettre commune, le 20 janvier 2010, expliquant leur position et leur mécontentement devant l’attitude irresponsable du MEDEF et de la CGPME.

Dans cette lettre, les cinq signataires reconnaissent que, pour des raisons matérielles, la représentation collective des salariés des TPE ne peut pas se faire comme dans une entreprise plus grande et retiennent l’idée de commissions paritaires régionales.

Cette position a d’ailleurs été confortée par le Conseil d’État, lequel estime, dans l’avis qu’il a rendu le 29 avril 2010, que le principe de participation contenu dans le préambule de la Constitution de 1946 et le principe d’égalité entre les citoyens exigent que les travailleurs des entreprises de moins de onze salariés soient inclus dans la mesure de l’audience syndicale, le législateur ayant fait de celle-ci l’un des critères permettant d’apprécier la représentativité des organisations syndicales.

Le Conseil d’État a ainsi rappelé au Gouvernement qu’il devait aller au bout de la réforme, sous peine de maintenir une violation manifeste de notre système juridique.

Le Gouvernement a donc, à la hâte, déposé un texte sur les bureaux des deux assemblées parlementaires pour tenter de satisfaire, au moins a minima et de manière formelle, à cette obligation.

En effet, à la lecture du projet de loi, il est clair que des deux objectifs affichés – la représentativité des personnels et la mesure de l’audience des syndicats –, il n’a conservé que le second pour emporter l’adhésion des employeurs. Et encore, je regrette vivement que cette audience se mesure sur la base des sigles syndicaux, et non sur celle des listes de personnes, mais nous reviendrons sans doute ultérieurement sur cette question.

Cette façon de procéder ne favorisera pas la participation des salariés et contribuera à affaiblir les syndicats. Pour établir une comparaison avec d’autres élections, cela reviendrait à demander à l’ensemble de nos concitoyennes et concitoyens de voter pour un parti politique, celui-ci désignant ensuite, et ce tout à fait unilatéralement, les personnes à même de parler en leur nom...

Raphaël Hadas-Lebel, ancien président de la section sociale du Conseil d’État, disait à propos du texte précédant la loi de 2008 qu’il n’était qu’« une étape sur un long parcours ». Malheureusement, la loi de 2008 risque, en vérité, d’être et de rester plutôt comme un point final à une réforme pourtant inachevée sur la représentativité de tous les salariés et de toutes les salariées de notre pays et sur la mesure de l’audience syndicale. En effet, tout nous porte à croire que cette réforme n’aura pas lieu ou qu’elle aura une portée si faible que rien ne changera...

En effet, à mesure que la perspective de la mise en place des commissions paritaires régionales s’approchait, il s’est développé, chez certaines organisations patronales, une angoisse viscérale et une envie irrépressible de revenir en arrière, quitte à renier totalement les engagements pris par le passé.

À la suite de diverses déclarations parues dans la presse, le MEDEF et la CGPME ont ainsi clairement fait savoir qu’ils feraient tout pour empêcher que ces commissions paritaires voient le jour.

Ils ont relayé leurs craintes auprès des parlementaires de la majorité et le projet de loi, dont la portée était déjà faible, ressort de son examen en commission encore un peu plus vidé de sa substance du fait de l’adoption d’un certain nombre d’amendements. Toutefois, les amendements déposés en séance publique vont bien plus loin encore dans cette volonté de phagocyter le texte ! Et que dire de l’examen du projet de loi par l’Assemblée nationale, c’est un enterrement de première classe qui y est prévu !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, les masques tombent !

Le MEDEF et la CGPME n’ont jamais eu l’intention de permettre aux salariés des TPE d’obtenir une représentativité. À la rigueur, ils veulent bien mesurer l’audience syndicale dans ces entreprises, car c’est le noyau dur de l’obligation rappelée par le Conseil d’État, et encore sur la base d’une élection sur sigle, une proposition qui est loin de nous satisfaire. Mais si ces organisations veulent bien faire ce pas, c’est pour mieux se défaire, ensuite, de l’élection des conseillers prud’homaux par les salariés, un sujet sur lequel nous reviendrons également au cours des débats.

Ces organisations refusent la création des commissions paritaires territoriales sous prétexte que, dans les TPE, le dialogue se fait directement. Ainsi, un salarié serait toujours en mesure de régler une question, quelle qu’elle soit, avec son employeur… C’est oublier que certains salariés de TPE sont très isolés face au pouvoir de direction de l’employeur. Quel soutien, dans une TPE, pour celle ou celui qui n’ose pas réclamer à son employeur le paiement des heures supplémentaires qu’il lui doit depuis six mois, par exemple ? Inversement, certains employeurs sont parfois bien démunis et se retrouvent dans l’illégalité, par simple méconnaissance du droit du travail.

Aussi, ces commissions ont tout leur sens et toute leur utilité, même si les missions de leurs membres sont déjà limitées à un simple rôle de conseil et de médiation sociale.

Tout était a minima dans ce projet de loi, mais, pour certains, c’était encore trop !

Ainsi, lorsqu’il s’agit concrètement de mettre en place un droit nouveau pour les salariés, le patronat s’arc-boute. Il est choquant, et même scandaleux, de constater à quel point on se moque de l’effectivité du droit syndical des salariés et, donc, du respect de la Constitution et de la loi, méprisant ainsi le dialogue social !

M. Guy Fischer. Voilà la vérité !

Mme Annie David. C’est un manque criant de considération pour les salariés. En outre, fouler aux pieds le « dialogue social » et reculer ainsi sur les engagements passés revient à envoyer un signal détestable aux partenaires sociaux.

En lieu et place du dialogue social, nous assistons à une parodie de dialogue entre, d’un côté, le Gouvernement – sourd et autoritaire – et, de l’autre, les salariés du privé ou du public, qui n’arrivent pas à se faire entendre. Le Gouvernement continue son monologue et le drape dans une fausse concertation ! Cela rappelle au groupe CRC-SPG l’actualité sur la réforme des retraites…

Décidément, les textes se suivent et se ressemblent, la méthode gouvernementale étant toujours la même : passage en force et recours aux cavaliers législatifs. Je pense ici, bien sûr, à l’article 8 du projet de loi relatif aux élections prud’homales, mais également au projet de loi relatif à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique, dans lequel a été mise à mal, au détour d’un cavalier législatif, la retraite des infirmiers.

Mais quand ce n’est pas le Gouvernement qui bafoue directement le dialogue social, comme ce fut le cas avec le projet de loi que je viens de mentionner, ce sont les parlementaires de la majorité qui s’en chargent, à l’exemple du texte que nous examinons aujourd’hui !

En définitive, nous assistons à un numéro de duettiste, dans lequel tantôt l’un, tantôt l’autre fixe le cap d’une position commune qui va toujours dans le sens des intérêts bien compris des employeurs et ne connaît, au final, qu’une seule et même catégorie de perdants : les salariés !

Pour notre part, nous ne partageons pas votre vision archaïque du dialogue social et, même si nous mesurons les limites de ce projet de loi, nous formulerons, au cours du débat, un certain nombre de propositions visant, au contraire, à satisfaire aux exigences soulignées par le Conseil d’État.

Ainsi, mes chers collègues, nous vous proposerons que la mise en place des commissions paritaires régionales soit obligatoire, et non pas facultative. Ce caractère obligatoire est une condition de leur existence, nous ne le savons que trop, et les exemples de mise en œuvre facultative sont là pour nous le confirmer.

C’est pourquoi nous vous proposerons également, au travers d’un amendement, que le Gouvernement soit tenu de mettre en place les commissions paritaires dans les branches où elles n’auraient pas encore été instaurées au moment de la remise du rapport, dans deux ans.

Nous proposons, par ailleurs, que les salariés des TPE élisent leurs représentants sur la base d’une liste de noms, comme les salariés des autres entreprises, et non sur un simple sigle. Monsieur le ministre, j’ai bien entendu vos arguments à ce sujet, mais nous considérons que le vote sur sigle aggravera la désaffection pour les élections des représentants des salariés, une désaffection que chacun constate déjà.

Nous proposons également que la représentativité des TPE soit mieux affirmée et garantie, en veillant à ce que les conseillers élus dans les TPE soient eux-mêmes des salariés issus de ces entreprises.

Nous proposons encore que les modes de calcul de l’effectif des entreprises de plus ou moins de onze salariés soient harmonisés. Ce n’est là qu’une mesure de justice, d’équité si vous préférez, mais il s’agit, surtout, d’une mesure juridique, à laquelle vous devriez porter attention, monsieur le ministre. En effet, introduire dans le code du travail des inégalités de traitement entre salariés est toujours source de contentieux.

Enfin, nous proposons que la disposition visant à prolonger le mandat des conseillers prud’homaux soit retirée du projet de loi. Nous avons bien compris – vous l’avez même confirmé, monsieur le ministre – que ce report est uniquement destiné à attendre de voir si les conclusions du rapport de M. Jacky Richard permettront de supprimer, purement et simplement, l’élection de ces conseillers par les salariés.

Nous anticipons cette disparition du vote direct, au profit d’une mise en place des conseillers prud’homaux fondée sur les résultats obtenus par les organisations syndicales au sein des entreprises ou sur une élection au second tour, et nous la dénonçons dès à présent, sachant que cette élection est l’unique occasion offerte, aujourd’hui, aux salariés des TPE de voter pour leurs représentants.

C’est une exclusion pure et simple de ces salariés de toute démocratie sociale ! Il nous semble que ce n’était pas l’objectif visé – ou du moins affiché –, d’un texte dont le Gouvernement nous a vanté les mérites à longueur de pages. Comment, ensuite, affirmer qu’un changement d’état d’esprit est nécessaire ?

Décidément, je le répète, le patronat français, en particulier celui du CAC 40, n’est pas prêt pour que s’installent, en France, les conditions d’un véritable dialogue social ! Concrètement, on constate effectivement que c’est lui qui dicte ses conditions aux organisations patronales concernées par ce texte : non seulement l’UPA, mais également d’autres organisations, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre.

Ainsi, nous avons reçu un courrier cosigné par l’UPA, la FNSEA et l’UNAPL, nous demandant de voter ce projet de loi.

Cet évident coup de force du MEDEF et de la CGPME contre les autres organisations syndicales patronales, pourtant principales intéressées dans ce dossier, souligne à quel point la question de la représentativité des organisations patronales en France devient un chantier prioritaire si l’on veut vraiment faire avancer le dialogue social. L’examen de ce projet de loi nous donne l’occasion de poser de nouveau la question, et nous présenterons un amendement en ce sens.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, à l’ouverture des débats, les sénatrices et les sénateurs du groupe CRC-SPG s’interrogent sur le bien-fondé de ce texte, dans sa rédaction actuelle.

Quand on voit la tournure que prend l’examen de ce projet de loi et le sort que la majorité entend réserver au dialogue social dans les TPE, la réponse est vite trouvée : nous avons, en France, le patronat et les organisations patronales les plus rétrogrades et réactionnaires qui soient !

Annie David

Ancienne sénatrice de l'Isère
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