La consommation de cannabis, chez les adolescents et les jeunes adultes, est un vrai problème de santé publique

Usage contrôlé du cannabis

Publié le 4 février 2015 à 11:41 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat suscité par la proposition de loi du groupe écologiste est un débat de société dont les enjeux de santé publique sont majeurs.

Rapporteur pour avis, de 2011 à 2013, des crédits de la MILDT, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, aujourd’hui rebaptisée « MILDECA », j’ai pu constater l’inefficacité de la politique de guerre contre les drogues. Élue de terrain, j’ai été et suis témoin, comme beaucoup d’entre vous, des dégâts occasionnés par la drogue dans un certain nombre de quartiers : escalade de la violence, trafics, réseaux qui dictent leur loi…

Ces constatations ont abouti à l’élaboration, en juillet 2012, d’une charte intitulée « Pour une autre politique des addictions » reposant sur quatre piliers : prévention, réduction des risques, soins et réduction de l’offre de drogues. Signée par près de deux mille personnes, elle a permis de formaliser, entre les principales fédérations et associations d’addictologie, une base commune de diagnostic, d’état des lieux et de recommandations, aboutissant à un consensus sur la dépénalisation de l’usage des drogues.

Pour les signataires, il faut en finir avec les dérives sécuritaires et avec une prévention lacunaire, donc inefficace.

Cette proposition de loi répond-elle à ces constatations ? Est-il juste de se focaliser sur le cannabis quand nombre d’autres addictions à des substances, légales ou illégales, font tout autant, si ce n’est plus de ravages ?

J’aurais préféré que l’on aborde la question des addictions de manière plus globale. Mais nous ne nions évidemment pas le problème. Je citerai à cet égard les chiffres de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies, l’OFDT : en 2010, entre 1 et 2 millions de Français consommaient régulièrement du cannabis. La consommation de cannabis, notamment chez les adolescents et les jeunes adultes, est donc un véritable problème de santé publique.

À la suite de M. le rapporteur, nous pouvons relever un paradoxe : alors que nous avons l’une des législations européennes les plus répressives en la matière, la France est le pays d’Europe où la consommation des personnes âgées de 15 à 24 ans est l’une des plus élevées.

Selon la MILDT, 41,5 % des jeunes de 17 ans et 32,8 % des adultes de 18 à 64 ans ont expérimenté le cannabis, ce qui situe la France derrière le Danemark et devant les Pays-Bas.

Les fumeurs réguliers de cannabis représentent 6,5 % des jeunes et 2,1 % des adultes.

La consommation de substance par les jeunes s’inscrit dans une démarche d’expérimentation et de socialisation. Cependant, cette situation les expose à une consommation sauvage, qui touche les écoles et les quartiers et met les adolescents en relation directe avec les réseaux criminels.

Depuis la loi du 31 décembre 1970, donc depuis plus de quarante ans, la seule politique publique a été la surenchère répressive, qui n’a contribué ni à la diminution du nombre de consommateurs ni à celle des trafics, tout en encombrant les tribunaux et les prisons.

Je rappelle que, selon l’article L. 3421-1 du code de la santé publique, « l’usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants est puni d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende ». L’usage est donc considéré comme un délit, alors même que, dans certains pays où le cannabis est autorisé, le nombre de consommateurs est moins important qu’en France.

La pénalisation de l’usage de stupéfiants est une politique répressive qui se veut rassurante mais, dans les faits, elle ne traite pas le problème, en plus de coûter cher : un milliard d’euros par an. Pire, la criminalisation de l’usage fait obstacle à la protection de la santé, en rendant plus difficile l’accès aux services de prévention et de soins, et en accroissant les prises de risque par la clandestinité qu’elle impose.

M. Jean Desessard, rapporteur. Absolument !

Mme Laurence Cohen. Il est temps de modifier ces dispositions, qui ne correspondent plus aux réalités du terrain.

Pour ma part, après le travail que j’ai pu mener auprès des professionnels, je suis convaincue de la nécessité d’une politique de réduction des risques. On le voit, en effet, les gouvernements successifs n’ont pas réussi à faire diminuer la consommation ni davantage à enrayer le développement de l’économie alternative mafieuse engendrée par la production et la vente illégales.

Les quartiers sont gangrénés par ce phénomène, qui constitue, pour les organisateurs et les intermédiaires, une source de revenus extrêmement importante. Tout un réseau est en place qui met à mal le mieux vivre ensemble, la sécurité, la tranquillité. Les maires sont particulièrement impuissants ; ils sont laissés bien seuls. Il faut donc agir au plus vite : bon nombre de règlements de compte qui défraient la chronique sont liés à ces trafics.

Les pays qui se sont livrés à une véritable guerre contre la drogue, comme les États-Unis, en reviennent désormais. Quant à la France, les politiques de prévention, fragmentées, sans continuité, focalisées sur l’information et sur les produits, n’ont pas réussi à modifier les comportements. Il faut donc s’attaquer prioritairement à la mise en œuvre d’un véritable programme national de prévention.

Nous partageons le constat du groupe écologiste sur les enjeux de santé publique posés par cette question et sur l’inefficacité d’une législation répressive. Nous sommes favorables aux actions d’information et de prévention en direction du public, notamment dans les établissements scolaires.

Encore faut-il s’en donner les moyens : cesser de réduire les crédits de prévention des agences régionales de santé, ou ARS ; financer les associations qui militent en faveur de la prévention à la hauteur des actions à mener ; redonner des moyens humains et financiers à la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives. Qu’il me soit permis, à cette occasion, de dénoncer une nouvelle fois la réduction du budget de la MILDECA pour 2015, réduction qui s’inscrit, hélas, dans la droite ligne de l’affaiblissement des crédits de la mission interministérielle.

Avec cette proposition de loi, le groupe écologiste pose donc les termes du débat, mais il apporte une réponse – la légalisation – qui est loin de faire l’unanimité.

Je voudrais d’ailleurs revenir, brièvement, compte tenu du temps qui m’est imparti, sur la définition de la légalisation et de la dépénalisation.

M. Gilbert Barbier. Très bien !

Mme Laurence Cohen. Il semble extrêmement prématuré de parler de « légalisation ». Légaliser, en effet, c’est donner un cadre légal à un produit ou à un acte qui n’en avaient pas.

M. Jean Desessard, rapporteur. Oui !

Mme Laurence Cohen. Cela implique donc de substituer à la prohibition un système de contrôle par l’État, de la production jusqu’à la vente.

Sachant que, en France, le débat sur ce sujet est tronqué et que nous ne parvenons pas à élaborer une réflexion de fond qui échappe au sensationnel et aux faits divers, la légalisation est-elle vraiment la bonne réponse ?

En accord avec les signataires de la charte précédemment évoquée, le groupe CRC estime qu’il faudrait plutôt dépénaliser l’usage du cannabis, ce qui revient à supprimer la sanction pénale attachée à un comportement individuel, en l’espèce l’usage, la possession ou la détention pour usage personnel de ce produit.

Dépénaliser, c’est renoncer à punir pénalement l’acte de consommer des stupéfiants. Contrairement à la légalisation, elle implique le maintien de l’interdit.

Je me permettrai de citer à ce titre l’exemple du Portugal. Depuis près de quinze ans, ce pays mène une politique de dépénalisation : l’achat, la détention et l’usage de stupéfiants pour une consommation individuelle ont ainsi été décriminalisés. Les résultats sont très probants, et montrent une réelle diminution des consommations !

En tout état de cause, je suis convaincue qu’il faut faire appel à l’intelligence collective, partager l’information sur le bilan, les risques et les échecs des politiques répressives. Il faut poursuivre le travail pluridisciplinaire et complémentaire entre professionnels de santé, sociologues, magistrats, policiers, élus, citoyens et usagers de drogues, afin d’aboutir à un grand débat public renseigné.

Dès lors, pour notre part, nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi qui, certes, va dans le bon sens en ce qu’elle cherche à modifier la règlementation de l’usage du cannabis, mais ne dote pas la France des bons outils, qui demeurent, pour nous, la dépénalisation et la réduction des risques.

Laurence Cohen

Sénatrice du Val-de-Marne
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