Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en juillet 2008, le Président de la République déclarait triomphalement : « Désormais, quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit ! »
M. Roland Courteau. C’est vrai, il l’a dit !
Mme Isabelle Pasquet. Le mouvement social de décembre dernier dans les aéroports lui a donné tort. Il fallait donc remédier à cet état de fait, et vite. C’est ainsi que la présente proposition de loi, tombée à point nommé, vise à encadrer l’exercice du droit de grève dans le secteur aérien.
Elle s’inspire ainsi très largement de la loi adoptée en 2007 concernant les transports terrestres, alors même que la situation est fondamentalement différente. Ce copier-coller et l’insertion de nouvelles dispositions permettant de sanctionner plus fortement les grévistes usant de leurs droits fondamentaux nous laissent à penser qu’elle se heurte, plus encore que la précédente, à des motifs d’inconstitutionnalité ; j’y reviendrai.
Je m’attacherai, dans un premier temps, à relever l’acharnement du Gouvernement, sous couvert de renforcement du dialogue social et même de compétitivité, à restreindre les droits des travailleurs à la portion congrue. Il faut dire que la recherche du dialogue social n’est pas sa première vertu, comme en témoigne, encore récemment, le semblant de sommet social, où tout était ficelé d’avance. Le Gouvernement se caractérise plutôt par son autoritarisme ainsi que par la volonté inébranlable d’appliquer consciencieusement le programme du MEDEF.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
Mme Isabelle Pasquet. Il n’y a qu’à voir, déjà, la méthode employée. En passant par une proposition de loi, vous vous dédouanez de l’obligation de consulter les syndicats.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Isabelle Pasquet. Est-ce là votre conception du dialogue social ? Ainsi, et par tous les moyens, il faut briser le droit de grève, voie ultime d’expression et d’action des salariés lorsque le dialogue a échoué.
Vous laissez entendre que le droit de grève est uniquement exercé pour gêner les usagers. Sachez que les salariés préféreront toujours un accord à un conflit.
Pour contourner ce droit constitutionnel, vous n’avez eu par ailleurs de cesse d’invoquer de nouveaux droits, invoquant même un pseudo-« droit aux vacances ».
M. Thierry Mariani, ministre. Ce n’est pas un droit !
Mme Isabelle Pasquet. Il faut dire que, juridiquement, cette atteinte au droit de grève ne tient pas la route. Si vous avez pu arguer, lors de la discussion de la loi sur les transports terrestres, de la continuité du service public, ce principe ne peut s’appliquer au secteur aérien, où les obligations de service public sont devenues mineures à la suite des différentes politiques de déréglementation et de privatisation.
Vous faites donc appel à la liberté de circulation des voyageurs, et même à l’ordre public. Pourtant, une grève dans le secteur aérien n’empêche, en rien, la circulation des voyageurs ; elle les prive simplement d’un moyen de circulation.
De plus, nous avons entendu que ces salariés avaient pris en otage les vacanciers. Mais que dire, alors, des augmentations continues des loyers, du prix de l’énergie ?
Mme Catherine Procaccia. Quel rapport ?
Mme Isabelle Pasquet. Vous pleuriez tout à l’heure, madame, sur les usagers. Nous, nous pleurons sur les personnes qui ne peuvent pas se loger ou qui ont des difficultés au quotidien ! (M. Claude Dilain applaudit.)
Mme Catherine Procaccia. Cela n’a rien à voir !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous devriez pleurer un peu plus sur ceux qui n’ont pas de vacances, madame Procaccia !
Mme Isabelle Pasquet. Votre volonté d’opposer les salariés ne fonctionne pas non plus. La lutte de certains salariés pour obtenir des conditions de travail dignes dans leurs entreprises permet de faire évoluer notre droit au bénéfice de tous. En 1968, à la suite des grèves, le salaire minimum a été revalorisé de 35 % et les salaires réels ont augmenté, en moyenne, de 10 %.
Le droit de grève est effectivement un droit, certes individuel, mais qui trouve son efficacité dans un exercice collectif. Cette proposition de loi cherche à individualiser le lien des salariés à la grève, à les isoler, facilitant par là même la pression des employeurs sur leurs agents.
En outre, ces dispositions restent inefficaces face aux maux qui affectent bel et bien le transport aérien, tout comme les transports terrestres. En effet, comme le souligne l’excellent rapport de nos collègues députés, ce qui mine le secteur aérien, notamment son service de sécurité, largement sous-traité, ce sont les conditions de travail déplorables et l’absence de dialogue social.
M. Jean Desessard. Eh oui !
Mme Isabelle Pasquet. Il est remarquable que le P-DG d’Air France, M. Alexandre de Juniac, juge urgent, quelques jours seulement avant la discussion de cette proposition de loi, de renégocier les accords sociaux, afin de retrouver un « cash flow confortable ». Il montre ainsi sa grande ouverture d’esprit en matière d’amélioration des conditions de travail… La seule réponse du patronat consiste toujours à compresser les salaires ou à mettre en œuvre des plans sociaux.
Ce n’est pas en instaurant un système d’alarme sociale rallongeant la durée du préavis que vous contraindrez les employeurs à négocier, a fortiori dans un secteur où les salariés ne bénéficient pas d’un statut protecteur de leurs droits, comme c’est encore le cas à la SNCF ou à la RATP.
Il faut d’ailleurs préciser que la loi de 2007 a conduit à la multiplication des demandes de consultations immédiates, qui ont augmenté de 213 % entre 2007 et 2010, sans pour autant diminuer le nombre de grèves. La conflictualité reste toujours aussi présente et le dialogue social n’est aucunement à l’œuvre. Cette loi n’est donc pas un exemple à suivre.
En outre, la nouvelle obligation imposée aux salariés ayant déclaré leur intention de faire grève de déclarer, vingt-quatre heures à l’avance, s’ils y renoncent et aux salariés en grève de respecter la même procédure avant de reprendre le travail, contraint ceux-ci, en dehors de toute exigence de continuité du service, à prolonger de vingt-quatre heures leur action. Une telle mesure laisse penser que, vingt-quatre heures avant le début d’une action, on ne discute plus !
Par ces nouvelles dispositions, qui s’apparentent à une mesure de rétorsion, vous faites payer à l’ensemble des salariés les pratiques contestables de syndicats minoritaires.
Sur le fond, ces mesures sont loin de répondre à une exigence d’amélioration du dialogue social dans les entreprises. Elles ne constituent pas non plus une réponse efficace à la demande de transport de qualité exprimée par les usagers des transports.
La « galère » actuelle des usagers du train, du métro, du RER ou de l’avion est le résultat de dysfonctionnements sans lien avec les grèves, mais dus au désengagement de l’État de ses missions d’intérêt général et de service public.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Eh oui !
Mme Isabelle Pasquet. Oui, la mobilité est bien un droit pour les usagers, mais c’est à la puissance publique de le garantir. La qualité de service s’obtiendra non par une mise au pas des salariés et le musellement des syndicats, mais bien par des investissements permettant sa réalisation.
Il nous faut également réfléchir à la construction d’un cadre modernisé du dialogue social.
Par cette proposition de loi d’affichage, en parlant d’instaurer un service minimum ou un service garanti, vous leurrez également nos concitoyens. Le véritable service garanti ne peut en effet exister sans recours à la réquisition, une procédure inapplicable en l’espèce.
Nous pensons, pour notre part, que le droit de grève est un droit utile, nécessaire à toute démocratie, au même titre que le droit de vote, qui fut acquis de haute lutte par les salariés eux-mêmes.
Pour toutes ces raisons, nous sommes frontalement opposés à cette proposition de loi, comme nous l’étions à la loi de 2007. Loin de renforcer la qualité du service, ce texte se révélera contre-productif et inefficace, tout en portant une atteinte caractérisée à une liberté fondamentale des salariés, qui a rendu possibles nos plus belles avancées sociales.