Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui -dans des conditions de travail que nous avons déjà dénoncées- aurait pu être une chance pour les établissements publics de santé et, de manière plus générale, pour nos concitoyens.
Malheureusement, il n’en est rien. Sur bien des aspects, il est largement insuffisant, il sera, sur d’autres, inefficace voire contre-productif.
Mais surtout, et c’est l’objet de cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, il est contraire, sur plusieurs points, aux principes fondamentaux qui gouvernent notre société et qui sont protégés par le bloc de constitutionnalité.
Nous aurons l’occasion de revenir, au cours de nos débats, sur notre opposition sur le fond, à savoir :
- le démantèlement du service public hospitalier au profit sans exclusive des établissements de santé commerciaux ;
- la fermeture de 200 à 300 hôpitaux de proximité ;
- la suppression, à terme, de 20.000 emplois ;
- et près de 4 milliards d’euro d’économies par an pour l’assurance maladie.
En outre, la nomination possible de non-fonctionnaires aux postes de directeurs des établissements publics de santé contrevient au « principe général du droit d’égalité d’accès des citoyens aux emplois publics », découlant lui-même du principe constitutionnel d’égalité.
En effet, le principe d’égal accès aux emplois publics s’applique dans la fonction publique hospitalière avec les mêmes implications et les mêmes limites que dans les autres fonctions publiques. Et c’est précisément pour garantir la satisfaction de principe, oh combien républicain, d’égalité qu’a été instauré, comme mode de recrutement, le concours, car dans le secret de celui-ci et dans la force de la collégialité du jury, il n’y a de places ni pour l’arbitraire ni pour les discriminations.
Or, dans le projet de loi, et plus particulièrement dans son article 7, vous entendez ouvrir les postes de directeurs d’établissements publics de santé à des non-fonctionnaires. Cette mesure, particulièrement dans sa rédaction actuelle, ne prévoit aucune disposition encadrant le recours à des « contractuels » pour diriger les hôpitaux. Il n’est fait nulle mention de la possession de quelque diplôme. Les compétences requises justifiant ce mode de recrutement ne sont pas déterminées, car ce qui importe c’est de « casser » le statut de fonctionnaires hospitaliers.
Par ailleurs, dans votre empressement, vous ne précisez pas ce qu’il adviendra de la procédure d’admission à l’école formant les directeurs hospitaliers. Car en laissant la liberté de recrutement aux directeurs des agences régionales de santé, nous pourrions assister à une situation où le nombre d’élèves sortant de la haute école de santé publique soit plus important que le nombre de postes à pourvoir. Pour éviter cette situation, il faudrait prévoir un nombre de postes réservés aux non fonctionnaires, ce qui constituerait, là encore, une mesure discriminatoire à l’égard des élèves sortant de l’ENSP, puisqu’ils pourraient se voir refuser, sans autre motif que la satisfaction d’une décision politique, l’attribution d’un poste qu’ils ont pourtant mérité, du seul fait de la réussite à ce concours. Ainsi, entre les directeurs nommés après obtention du concours et ceux nommés par la volonté du directeur de l’ARS, va naître un mode de recrutement différent, alors que rien, dans les faits, ne justifie un traitement inégalitaire.
Nous pourrions donc assister à un mouvement des élèves directeurs, contestant massivement la nomination des directeurs non fonctionnaires, au motif que ces derniers les priveraient des conséquences légitimes de la réussite de leur concours, à savoir la nomination à un poste de directeur, les « reléguant » à des postes de directeurs-adjoints.
Mais vous vous en doutez, le motif que je viens d’invoquer n’est malheureusement pas le seul.
Car votre projet de loi, Madame la Ministre, se caractérise, d’abord et avant tout, par votre refus de prendre les mesures nécessaires pour garantir l’application du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui dispose que la nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ».
En effet, l’article 13 de ce projet de loi autorise le directeur de l’agence régionale de santé à imposer aux hôpitaux des mouvements de fusion, sur la base d’un projet régional de santé dont le seul objectif est la réduction des dépenses publiques. Tel est d’ailleurs l’esprit de l’ensemble de ce projet de loi qui vise à subordonner les besoins à l’offre de soins. Certes, la rédaction actuelle intègre -formellement du moins- les besoins en santé de la population. Mais ces besoins passent par pertes et profits, dès lors qu’il s’agit d’appliquer à l’hôpital la révision générale des politiques publiques (RGPP). J’en veux pour preuve l’insertion, par la commission, d’une disposition autorisant le directeur de l’ARS à exiger du directeur de l’hôpital qu’il procède à la suppression d’emplois publics et ce dans le seul but de réduire les déficits des établissements publics de santé. La suppression de ces postes ne sera jamais confrontée aux besoins réels des patients accueillis et soignés dans les hôpitaux.
Elle ne correspond à aucune logique sanitaire, ni à aucune logique de solidarité, c’est une logique purement comptable. Pourtant, la situation dans les hôpitaux concernant le personnel est gravissime. Le manque est tel que, déjà, les praticiens sont obligés de programmer des interventions plusieurs mois à l’avance, obligeant les malades à subir des listes d’attentes tant décriées outre manche.
Mais, si les mesures que vous prenez contreviennent aux principes constitutionnels, celles que vous refusez de prendre en font tout autant.
En effet, la commission des affaires sociales est revenue, suite à une réunion organisée à Matignon en votre présence, Madame la Ministre, sur l’une des rares dispositions contraignantes à l’égard des médecins libéraux. Ainsi, alors que l’on sait que la première difficulté d’accès aux soins des malades réside dans ce qu’il est convenu d’appeler les « zones blanches » ou les déserts médicaux, vous avez renoncé à prendre les mesures conditionnant l’installation des médecins libéraux aux besoins constatés dans les territoires.
Un phénomène qui risque d’ailleurs de s’aggraver avec la fermeture des hôpitaux rendus obligatoires, suite à la décision autoritaire du directeur de l’ARS et à la fermeture d’un nombre important de centres de santé gérés par les mutuelles, en raison de l’application -au nom de L’Europe libérale que vous défendez- de la séparation des deux titres.
Vous avez également renoncé à la seule mesure permettant de garantir aux patients de ne pas être exposés à des dépassements d’honoraires qui constituent, là encore, un frein considérable dans l’accès aux soins. Et pourtant, il ne s’agissait que « de garantir, pour certaines disciplines ou spécialités, et dans une limite fixée par décret, une proportion minimale d’actes facturés sans dépassement ». La seule idée d’entraver la volonté des médecins libéraux dans la fixation de leurs tarifs, fussent-ils déraisonnables, fussent-ils -et c’est le cas- une limite portée au droit « aux soins », est pour votre gouvernement impossible. C’est à croire que votre recul n’est pas sans lien avec l’échéance électorale du mois prochain.
Pourtant, tout le monde le sait : de plus en plus de patients ne parviennent plus à payer les dépassements imposés en dehors du tact et de la mesure. Des dépassements d’honoraires qui « grimpent en flèche » pour les spécialistes les plus rares ou dans les zones où les médecins, y compris de premier recours, manquent le plus (zones rurales et quartiers populaires). Vous avez, Madame la Ministre, fait le choix, contraire à l’histoire de notre pays, au caractère social de notre République, de favoriser les intérêts d’une catégorie professionnelle à l’encontre des intérêts de la collectivité. Notre Constitution vous impose pourtant, à vous comme à votre gouvernement, de tout mettre en oeuvre pour garantir à nos concitoyens la santé, c’est-à-dire l’accès aux professionnels de santé. Or, il suffit de les entendre, de les écouter un peu, pour savoir que cet accès est, chaque jour, remis en cause.
Vous avez également renoncé à garantir le droit à tous à bénéficier de ce que l’on appelle la mission de service public de la permanence de soins : la seule mission de service public à être entièrement confiée à des personnes physiques privées. Une mission mise à mal et que vous avez renoncé à faire appliquer, alors même qu’il s’agit d’assurer le droit fondamental de tous à bénéficier, à proximité de chez soi, d’une offre de soins adéquat. Ce renoncement, le vôtre, Madame la Ministre, joue contre l’intérêt général. Pourtant, il y a peu, dés lors qu’il s’agissait d’imposer le service minimum dans les transports ou à l’école, vous avez trouvé la détermination pour mener à bien vos projets. Une détermination qui vous fait aujourd’hui cruellement défaut. Ainsi, alors que nous aurions pu légitimement nous attendre à des réponses concrètes, comme une limitation au principe de libre installation, vous vous contentez de proposer 200 bourses nationales et d’instaurer un contrat de solidarité.
Naturellement, vous refusez -comme nous l’avons proposé en commission, et comme nous le ferons au cours de nos débats- que les manquements à la permanence de soins soient sanctionnés, comme le sont l’ensemble des cas de non respect aux réquisitions préfectorales. Pire, en lieu et place de sanctions, vous aménagez le refus des médecins libéraux en leur proposant un schéma régional. En somme, vous passez sur les manquements à la loi en leur proposant de la contourner une nouvelle fois. Une « compréhension » dont votre gouvernement fait rarement preuve, en particulier dès lors qu’il s’agit de salariés, d’ouvriers ou d’étudiants.
Enfin, et pour conclure sur cette question de l’inadéquation de vos mesures avec les principes qui gouvernent notre société, je ne peux pas oublier de parler des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) qui vont contraindre les établissements publics de santé à mener une véritable politique de rigueur. Ainsi, ceux-ci font clairement mentions « d’objectifs quantifiés ». Autant dire que vous allez imposer aux hôpitaux la réalisation d’un nombre limité d’actes, notamment des plus coûteux, dans le seul but de réduire les dépenses hospitalières, même si les objectifs imposés sont contraires aux intérêts des populations concernées. Des CPOM qui pourraient considérablement varier d’un établissement à l’autre, les plaçant dans des situations d’inégalités que rien ne justifie, ci ce n’est leur situation comptable à un moment donné.
Madame la Ministre, mes chers collègues, mes collègues et moi-même sommes très inquiets des conséquences qui pourraient naître de l’adoption de ce projet de loi. Car à bien y regarder, il s’agit ni plus ni moins que de la transposition dans les faits d’un accord emblématique, signé au niveau Mondial en 1995 sous le titre d’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) dont se sont très largement inspirés le projet de traité constitutionnel européen et le traité de Lisbonne, en prévoyant dans ses articles 86 et 87 que l’ensemble des services marchands doit être soumis à une concurrence libre et non faussée. Et comme l’Union Européenne se refuse -on comprend bien pourquoi- à préciser que les services sociaux d’intérêts généraux sont exclus du champ d’application de cet article, il y a véritablement de quoi s’inquiéter.
L’AGCS, comme sa traduction européenne, le traité de Lisbonne, vise, en réalité, à privatiser progressivement tous les services publics qui sont autant, pour les libéraux dont vous êtes, Madame la Ministre, d’entraves à la concurrence libre et non faussée. Nous y voyons, nous, autant de lieux et de formes dont l’objectif principal n’est pas la création de richesses marchandes, mais la satisfaction des besoins légitimes des populations que les gouvernants ont la charge de protéger.
Votre projet, Madame la Ministre, en instaurant une relation verticale, en soumettant les besoins de santé à l’offre de soins, elle-même encadrée par la politique de rigueur qui est la vôtre, en imposant au secteur médico-social des règles inspirées du sanitaire et qui ont déjà fait la preuve de leurs incapacités à répondre aux besoins, est extrêmement dangereux.
L’hôpital est malade. Malade de la multiplication de ses réformes, malade du sous-financement que vous lui imposez, malade du manque de personnels. Il y a effectivement des problèmes d’organisation à l’hôpital, mais la seule réponse autoritaire d’un directeur patron ne peut y suffire. Nous avons le devoir, au-delà des clivages politiques, au-delà de nos différences, de chercher à assurer l’organisation du système sanitaire et médico-social le plus performant. Une performance qui ne se mesure pas exclusivement, comme vous entendez le faire, par des critères comptables ou des indicateurs de qualité. Mais qui se mesure notamment par le taux de satisfaction des patients, par le nombre de maladies en recul dans notre société (alors qu’aujourd’hui des maladies oubliées font leur réapparition). Qui se mesure par la capacité du système de santé à être accessible à tous, sans distinction de maladies, sans distinction de lieu d’habitation et, bien entendu, sans distinction de revenus.
Mes chers collègues, au moment de voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, je vous invite à vous souvenir du sens que les constituants ont voulu donner à notre République.
Je voudrais que vous gardiez à l’esprit les principes de solidarité qui les ont guidés et que vous les compariez aux dispositions prévues dans ce projet de loi.
Je souhaiterais que vous vous rappeliez que, derrière le terme de « patients » ou « d’usagers », se dissimulent des femmes et des hommes qui peinent chaque jour un peu plus à boucler leurs fins de mois, renoncent à leurs mutuelles complémentaires, retardent leurs soins les moins urgents. Pour eux, seule la solidarité est capable de leur garantir un accès minimal aux soins. C’est pour eux que les constituants ont rédigé ce onzième alinéa. C’est pour eux que je vous demande de voter en faveur de cette motion, à voter contre l’hôpital-entreprise.