Formation professionnelle et dialogue social : explication de vote

Publié le 11 février 2004 à 17:18 Mise à jour le 8 avril 2015

par Annie David et Roland Muzeau

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Chers Collègues,

Annie David. J’aurais souhaité voter sur chacune des deux parties du texte. Je m’exprimerai sur la formation professionnelle, en déplorant qu’aucun de nos amendements n’ait été voté. Si le concept de formation tout au long de la vie et le droit individuel de formation sont des progrès pour les salariés, je regrette que le critère choisi pour animer cette loi ne soit pas la personne humaine, le salarié, mais son contrat de travail. Il s’agit bien pourtant, avec le droit individuel de formation, de permettre à tout salarié de faire droit à un besoin de formation qui perfectionne ses compétences et lui assure une promotion professionnelle et sociale ainsi qu’une
reconnaissance en termes de qualification, classification, rémunération, conditions de travail…

 Si la priorité doit rester à l’initiative du salarié, cela n’empêche pas de revendiquer que l’entreprise offre les conditions optimales de mise en œuvre de son projet. L’augmentation des cotisations employeurs à la formation va dans le bon sens. De même, nous sommes pour la formation sur le temps de travail, tout en reconnaissant aux salariés le droit de la demander en dehors s’ils y voient le moyen de s’émanciper de la tutelle patronale.

 Mais cela reste un luxe pour trop de salariés, en contrat précaire ou à temps partiel, discriminés par ce nouveau texte qui confirme le prorata temporis et la formation hors du temps de travail. La discrimination est aggravée à l’encontre des femmes, pour qui le temps partiel n’est que peu souvent choisi et qui s’investissent dans leur foyer. Leur droit à la formation suivi sur ces heures-là leur est refusé de fait. Enfin, il n’est nulle part question des bénéficiaires du R.M.I. ou du R.M.A.

 Le contrat de professionnalisation simplifie les multiples contrats existants et clarifie le sens de la formation professionnelle.

 Il profitera à des salariés plus âgés, en reconversion, à des femmes ayant interrompu leur carrière, à des salariés en activité, à des jeunes sortis du système éducatif sans qualification ; mais en faisant passer le plancher du temps passé en formation de 25 à 15 %, sauf dérogation par accord de branche, vous excluez tous les jeunes poursuivant actuellement leur formation, en contrat par alternance.

 La future loi d’orientation de l’éducation nationale devra aborder toutes ces questions, ainsi que celle des passerelles avec les orientations qualifiantes hors du système scolaire. Nos jeunes doivent bénéficier d’un socle généraliste solide de connaissances.

 Que va devenir l’A.F.P.A. ? Vous n’apportez aucune garantie sur l’avenir de son personnel, de son fonctionnement et de ses missions en faveur du public à bas niveau de qualifications. Son éclatement, programmé par le projet de loi de décentralisation et le désengagement de l’État au fil de vos lois de finances, renforcent nos inquiétudes.

 S’agissant des « passeports formation », laisser ceux-ci à la libre appréciation des régions comporte un risque d’inégalité dans l’application du dispositif. Il faut que l’État s’engage vraiment dans la formation professionnelle tout au long de la vie. Hormis le Médef, tous les partenaires sociaux ont réclamé un même droit pour tous. L’A.N.I. est un texte plancher, le projet de loi aurait dû aller plus loin, ce qui était le sens de nos amendements.

 Il revenait aux parlementaires d’améliorer le texte et nous avons défendu une vision humaniste et pérenne de la formation tout au long de sa vie, un droit individuel, attaché à la personne, quel que soit son contrat de travail, garanti collectivement, transférable et opposable : bref, une sécurité sociale de la formation professionnelle !

 Si nous avions pu scinder notre vote, le groupe C.R.C. se serait abstenu sur cette partie. Comme notre vote ne peut être que global, nous voterons contre.

 Roland Muzeau. Au terme de nos débats, nous sommes toujours aussi inquiets quant à l’avenir de la négociation collective. Le rapporteur a tenté d’humaniser le texte, mais, malgré son talent, son entreprise était vouée à l’échec. Par une inversion du sens dont vous êtes coutumiers, monsieur le Ministre, votre nec plus ultra de la démocratie participative est en fait la remise en cause des droits des salariés, obtenus de longue lutte face à l’intransigeance patronale.

 Au lieu de « réforme du dialogue social » il s’agit plutôt « d’ajuster les relations sociales, le droit du travail, la protection sociale, à l’économie ouverte du monde », ainsi que vous le dites, c’est-à-dire de favoriser le développement de la mondialisation capitaliste, en minant ce que vous appelez la « culture de la protestation sociale ». La contestation serait responsable de l’« extrémisme » et du « poujadisme » ; on aura tout entendu !

 Il n’est d’ailleurs pas étonnant que vous vous référiez au rapport de Virville ni que vous renvoyiez à ce que vous avez fait pour les retraites lorsque vous évoquez les « nouveaux rôles entre l’État et les partenaires sociaux ». Vous avez beau manier l’esquive et répéter à l’envi vos présupposés, monsieur le Ministre, vous ne pouvez dissimuler votre détermination à lever les deux obstacles majeurs aux menées du patronat français : la hiérarchie des normes, avec un État garant de l’ordre public social, et le principe de faveur, bénéfique aux salariés.

 Mais la protection des salariés n’est pas le souci de la majorité. Tout ce qui empêche le « libre contrat » doit être aboli, surtout quand celui-ci est conclu entre le propriétaire de l’outil de travail, détenteur de tous les pouvoirs, et celui qui n’a que sa force de travail. De même, il est hérétique selon votre conception d’obliger par la loi un patron à appliquer les accords de branche étendus !

 Vous dites vouloir favoriser ainsi les accords d’entreprise. Or, et cela arrive tous les jours, après un accord de branche, des négociations peuvent s’ouvrir dans les entreprises et déboucher sur des propositions plus avantageuses pour les salariés. Ces négociations au niveau de l’entreprise, mais avec un « plus », avec la garantie de démarrer à partir d’un socle minimum, vont disparaître. Comment, dès lors, pouvez-vous soutenir que vous respectez les accords existants et qu’il n’y aura aucun effet rétroactif ? Tout sera renégociable, dans un sens défavorable aux salariés.

 C’est cela qui serait moderne selon vous, alors que dire « non » à son employeur ce serait archaïque. Pourtant hiérarchie des normes et principe de faveur ont des effets positifs pour l’économie, en limitant le dumping social et le nivellement par le bas cher au Médef. Avec votre loi, l’employeur qui négociera le contrat de travail le plus défavorable pour les salariés servira de modèle aux autres. Grâce à vous, le moins disant social se généralisera. La concurrence ne portera plus sur la qualité des produits ou des services, mais sur le prix du travail.

 Monsieur le Ministre, vous avez souvent cité les 35 heures. Niez-vous l’adhésion massive des salariés à cette réforme ? Les 35 heures ont « boosté » le dialogue social et la productivité, ce n’est pas moi qui le dis mais L’Expansion, qui note un net ralentissement des négociations depuis l’assouplissement des lois Aubry. Même quand les accords de branche étaient signés, le baron Seillière revendiquait que la loi ne s’applique pas pendant cinq ans !

 Avec la loi, le patronat était obligé de négocier à la baisse le nombre d’heures de travail légal et à payer en heures supplémentaires tout dépassement. Comment nier l’antagonisme, quand les patrons prônent l’affrontement ? Et quand le patronat a-t-il été à l’origine du moindre progrès social ? Lorsque les dirigeants ont le nez sur le cours des actions, les salariés, derniers maillons de la chaîne, subissent les contrecoups.

 Vous prétendez proposer pour la première fois d’inscrire le principe majoritaire dans la loi. C’est faux ! Un des points d’appui des lois sur les 35 heures consistait à conditionner l’ouverture des droits aux allégements de cotisations à une approbation de l’accord d’entreprise par les syndicats majoritaires. C’est ainsi que, outre les accords de branche, les accords d’entreprises ont été négociés, y compris dans les entreprises de moins de cinquante salariés.

 C’est à cela que vous vous attaquez. Avec votre article 37, le contingent légal d’heures supplémentaires pourra être augmenté par simple accord d’entreprise, sans accord de branche. C’est la mort des 35 heures.

 Se reportant au rapport du Bureau international du travail (B.I.T.) qui pose l’objectif de « s’affranchir de la pauvreté au travail, mobiliser le monde du travail pour faire reculer les situations d’exclusion ou indécente, et vaincre la pauvreté », notre rapporteur soutient que ce texte s’inscrit dans une telle démarche ! Comment ne pas souscrire à ces intentions du B.I.T., comme à sa dénonciation du travail des enfants ? Or en quoi des dispositions aussi favorables au patronat permettront-elles d’éliminer le travail des enfants dans le monde, dont l’origine vient du système Nike, c’est-à-dire un siège social dans le pays d’origine, d’un côté, la sous-traitance dans les pays pauvres, sans législation sociale, de l’autre ?

 Au lieu de renforcer notre législation pour vaincre la pauvreté et l’exclusion, avec le souci du progrès de l’humanité, vous rognez les droits des salariés et levez tout ce qui pourrait gêner l’exploitation organisée par quelques affamés de la rentabilité !

 Je terminerai par une devinette à l’attention de M. Chérioux. Qui a prononcé les paroles suivantes :

 Il faut dénoncer « les castes, les écarts excessifs de revenus, les préjugés à l’encontre des métiers techniques ou manuels, le trop faible taux de syndicalisation » et promouvoir « la dignité de chacun, l’amélioration des conditions et de l’intérêt du travail, le recyclage et le réemploi des travailleurs, une solidarité plus active envers les plus défavorisés, la revalorisation des bas salaires, dans le privé et la fonction publique ». Voilà un programme à fort contenu social qui n’était pas soutenu par le C.N.P.F., celui du Premier ministre Jacques Chaban-Delmas. C’est une condamnation sans équivoque du gouvernement, de l’U.M.P. et de l’U.D.F. !

Annie David

Ancienne sénatrice de l'Isère
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