Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Chers Collègues,
La représentation nationale est saisie pour examiner un projet de loi construit sur deux parties distinctes et dont les appréciations ne sont en aucun cas équivalentes, comme l’a déjà dénoncé mon ami Roland Muzeau.
Le gouvernement peut se prévaloir de ce que le texte, qui concerne la formation professionnelle émane d’un accord national interprofessionnel signé entre les représentants du patronat et les confédérations syndicales. Mais, nous savons tous, ici, que les négociations ont duré trois années, que l’ANI signé est un accord normatif, soit un socle commun à tous les salariés mais qu’il est un texte plancher, non pas un plafond et qu’il comporte quelques désaccords importants que reflètent l’insatisfaction des acteurs du terrain. Par ailleurs, les députés de la majorité ont modifié avec votre assentiment le contenu et l’esprit de cet accord. L’engagement gouvernemental de transférer intégralement dans la loi un accord ayant recueilli l’assentiment de l’ensemble des partenaires sociaux aurait-il fait long feu pour qu’une lettre vous soit adressée, Monsieur le Ministre, à ce sujet, par les organisations syndicales ?
Aussi, par le dépôt d’amendements, mon groupe tentera de revenir au plus près de l’ANI et avancera des propositions pouvant d’ores et déjà l’améliorer.
Notre époque se caractérise par le franchissement dangereux d’un seuil où apparaissent les conséquences positives comme négatives des innovations. Les applications de la Recherche pénètrent aujourd’hui dans nos vies à des rythmes bien plus rapides que celui du renouvellement des générations. Ainsi la transmission des savoirs et des savoir-faire ne s’opèrent plus par la seule imprégnation et transmission familiale ou corporatiste.
C’est ainsi que la nécessité d’adaptation aux avancées scientifiques et techniques s’impose à tous, en permanence, tout au long de la vie. C’est là pour moi tout le sens de la proposition du parti communiste de la création d’une Sécurité Sociale de la formation professionnelle.
Le patronat et particulièrement le Medef, quant à lui, répond à cette nécessité et obligation contemporaines par un principe opportuniste, qui veut que la productivité et la rentabilité des entreprises passent par une main d’oeuvre formée et qualifiée. Il lui faut promouvoir la qualification du salarié et la fidéliser pour mieux la rentabiliser sur les secteurs porteurs, sans pour autant donner aux salariés les possibilités d’une réelle évolution professionnelle, et encore moins personnelle.
Pour notre part, nous défendons une vision humaniste et à long terme de la formation tout au long de la vie : un droit individuel, attaché à la personne, quel que soit son contrat de travail, garanti collectivement, transférable et opposable, ce que j’appelle une Sécurité Sociale professionnelle, accompagné d’un nouveau statut progressiste du travailleur, permettant à chaque salarié, ayant suivi une formation, une promotion professionnelle et sociale et sa reconnaissance par l’employeur, en termes de qualification, classification, rémunération, conditions de travail…
La concentration sur l’adaptation au poste de travail et la difficulté de s’inscrire plus largement dans des logiques de développement professionnel et personnel présents dans votre texte, sont autant de dérives qu’il faut aujourd’hui combattre, notamment pour les salariés les moins stables ou les plus vulnérables sur le marché du travail, les salariés privés d’emploi, les plus de 50 ans, les femmes, les jeunes sans qualification, les saisonniers, les intermittents, les demandeurs d’emploi.
C’est ainsi que la formation professionnelle tout au long de la vie mise en avant lors du Conseil Européen de Feira se définit comme « toute activité d’apprentissage entreprise à tout moment de la vie, dans le but d’améliorer les connaissances, les qualifications et les compétences, dans une perspectives personnelle, civique, sociale et/ou liée à l’emploi ».
Les pratiques consécutives à l’accord national interprofessionnel de juillet 1970 et la loi de 1971 ont révélé les constats suivants : « la formation va à la formation » et n’est pas vecteur de réinsertion professionnelle et de productivité, et elle aurait trop tendance à se réduire à l’adaptation sur le court terme du salarié à l’évolution de son poste de travail.
Le Livre blanc diffusé par le secrétariat d’Etat à la formation professionnelle en mars 1999 tire les enseignements de l’évolution d’un système qui ne répondait plus à ces objectifs initiaux. Aussi, il avait défini quatre axes majeurs pour le refonder : le développement de la validation des acquis de l’expérience, la mise en place d’un droit individuel à la formation, la reconfiguration des dispositifs de professionnalisation des jeunes et la clarification du rôle des acteurs de la formation continue.
Après l’adoption de la loi de janvier 2002 sur la Validation des Acquis de l’Expérience, l’accord interprofessionnel et ce projet de loi constituent une étape importante dans la concrétisation d’une réforme.
Le compromis ne saurait malgré tout cacher la stratégie du patronat français : d’un côté, l’individualisation des relations de travail et des parcours de travail, de l’autre, l’inversion de la hiérarchie des normes.. Cette stratégie doit servir à donner à chaque employeur toute latitude pour gérer son entreprise et son personnel selon les orientations qu’il aura lui-même définies en faisant porter au salarié, sous prétexte du droit à la formation, la responsabilité de son « employabilité », c’est-à-dire la culpabilité de son inadaptation au marché du travail et de l’emploi. ?
Il faut que l’individu devienne acteur de sa progression professionnelle. Et notre philosophie, je vous l’annonçais il y a un instant, c’est celle d’un droit inscrit dans le cadre d’une Sécurité Sociale Professionnelle et d’un statut progressiste du travail salarié.
Or, sur ce point, notre position diffère du projet de loi, il ne peut y avoir réalisation véritable d’un droit à la formation que pendant le temps de travail et qu’il débouche sur une véritable qualification choisie en toute lucidité. Mais, le texte actuel donne à l’employeur un droit de regard sur le contenu, les modalités et les périodes de la formation.
Nous tenons à défendre avec force le critère de la libre initiative du salarié et que ce critère soit renforcé par la Loi. Comment ne pas percevoir que l’initiative renverra inéluctablement à une opposition entre l’intérêt à court terme de l’entrepreneur et l’intérêt à long terme du salarié. Pourtant, je le répète, le double impératif de perfectionnement professionnel et social individuel par la formation et de contribuer collectivement au développement économique, à la croissance et à l’équilibre social par la mise en œuvre de nouvelles compétences ne devraient pas être contradictoires.
L’engagement actif des salariés dans la formation tout au long de la vie n’est possible que si le marché de l’emploi cesse de se « déstructurer » et si le capital se risque à des politiques de production ambitieuses pour notre pays.
La conciliation était déjà au cœur du consensus idéologique qui avait permis à la loi de 1971 de voir le jour. Il s’agit aujourd’hui de ne pas annuler les valeurs inscrites dans notre constitution et de respecter pleinement l’Accord National Interprofessionnel dans ce nouveau texte de loi .