Avec en toile de fond un climat social plus que tendu, le rejet de la réforme des régimes spéciaux de retraite, le refus des réductions massives d’effectifs dans la fonction publique, la défense du pouvoir d’achat, de l’emploi et du service public, ce projet de loi de financement s’inscrit dans la droite ligne de la politique antisociale du Gouvernement. Il accentue la maîtrise des dépenses de protection sociale, au détriment des familles qui vont débourser encore plus, alors même que l’on poursuit les allégements des charges des entreprises.
Ce texte poursuit le démantèlement, pierre après pierre, de notre système solidaire et la marche forcée vers une société individualiste et inégalitaire. Vous allez crier à la provocation. Mais en la matière, vous détenez la palme !
Comment prétendre ne pas vouloir léguer une dette aux générations futures alors que vous laissez courir 30 milliards de déficits et dettes cumulés pour l’ensemble des régimes et des fonds et que vous avez octroyé 15 milliards de cadeaux fiscaux cet été ? Comment prétendre mettre en oeuvre une politique de prévention ambitieuse, alors que vous instaurez de nouvelles franchises, ces impôts sur la maladie que vous ne craignez pas d’imposer aux plus démunis de nos concitoyens, ceux-là mêmes qui, déjà, renoncent aux soins les plus élémentaires ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. - C’est faux !
M. Guy Fischer. - Malgré l’inefficacité du lamentable plan Douste-Blazy censé rétablir l’équilibre en 2007, que l’on nous promet à présent pour 2012, vous n’en continuez pas moins, avec les mêmes recettes, la même logique et une dose de cynisme supplémentaire, à aller dans le même sens.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : pour la totalité du régime général, le déficit devrait approcher les 12 milliards ! Et l’on aurait dépassé les 14 milliards si l’on avait intégré les fonds de financement et si l’État ne s’était enfin résolu à compenser une partie de sa dette à la sécurité sociale à hauteur de 5,1 milliards, contre 6,7. On ne peut certes que se réjouir d’avoir été enfin entendu mais gardons à l’esprit que cela concerne la dette au titre de 2006 et des années précédentes. Car la branche maladie accuse un déficit de 6,2 milliards au lieu des 3,9 attendus.
Toutes les mesures prises confirment votre volonté de pressurer plus encore les assurés sociaux. Le ton a été donné dès juillet, lorsque le Gouvernement, avec le soutien du Medef, a validé le plan de redressement d’urgence de l’assurance maladie, soit une économie de 1 225 millions en année pleine et de 417 millions d’ici la fin de l’année, dont 350 pris dans la poche des assurés sociaux, avec la baisse du taux de remboursement pour les patients dépourvus de médecin traitant, le déplafonnement du forfait d’un euro par acte et consultation ; la limitation du recours aux transports médicalisés ; la généralisation de la suppression du tiers payant en cas de refus d’un générique ; la culpabilisation des assurés avec un renforcement des contrôles sur les arrêts de travail.
Vous poursuivez la même logique avec ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui comporte très peu de recettes dignes de ce nom, comme le reconnaît notre rapporteur, avec une taxation purement symbolique des stock-options et des attributions gratuites d’actions décidée à l’Assemblée nationale pour un rapport dérisoire. C’est un véritable refus de dégager les moyens du financement de la protection sociale, bien que les mises en garde et les propositions n’aient pas manqué, jusques et y compris de la Cour des comptes dont le Premier président, M. Philippe Seguin vous propose de taxer les stock-options à hauteur de 3 milliards. Voilà qui eût été une recette à la hauteur des déficits ! Au lieu de quoi, vous faites payer une nouvelle fois les assurés sociaux, pendant que votre politique d’austérité sur les salaires et retraites, sur les emplois publics, sur les dépenses publiques et sociales plombe la croissance et les rentrées de cotisations. Vous entretenez les déficits, que vous prenez pour prétexte pour de nouvelles mesures d’austérité !
Vous fixez un Ondam une nouvelle fois intenable à 2,8 % et, dans les hôpitaux, vous achevez la mise en place de la T2A en décrétant la convergence totale des secteurs public et privé d’ici à la fin 2008. Le résultat sera catastrophique pour l’hôpital public d’autant qu’on continue de fermer les petits hôpitaux publics, aggravant les inégalités d’accès aux soins. Ces hôpitaux publics accusés de coûter trop cher sont asphyxiés financièrement. En 2006, l’Ondam fixé à 3,44 % n’a été de facto que de 2,8 ; la différence a servi à éponger le dérapage d’activité des cliniques à but lucratif. Voilà l’intérêt de la convergence tarifaire que vous imposez à marche forcée ! La situation ne pouvant que se dégrader, on peut évaluer le déficit attendu fin 2007 à un milliard. Pour s’en sortir, les établissements suppriment des services et des postes ! Dans une telle situation, les hôpitaux vont multiplier les actes les plus rentables et certaines interventions ne se pratiquent plus dans le public !
Le secteur privé à but lucratif est, en France, le plus important de toute l’Europe avec une entrée massive des fonds de pension anglo-saxons : 30 % de l’hospitalisation privée est concernée !
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Ils ont les tarifs les plus bas et coûtent le moins cher à la sécurité sociale !
M. Guy Fischer. - Avec votre grand projet de lutte contre la désertification médicale, la montagne accouche d’une souris. Un long débat à l’Assemblée nationale a abouti à ce qui aurait dû être un préalable : la recherche de solutions est renvoyée à la concertation avec l’assurance maladie, les syndicats de médecins et d’internes. Pour ce qui relève de l’intervention de l’État, vous auriez dû, et de toute urgence, modifier le numerus clausus, cause première de la situation actuelle, et mettre en place une vraie politique d’aménagement du territoire, qui renforce les services publics.
Le gouvernement annonce la mise en place d’ Agences régionales de santé, calquées sur les agences régionales, qui vont étendre à la médecine de ville la maîtrise comptable appliquée à l’hôpital... avec les résultats que l’on sait. Dans le secteur social et médico-social, vous décrétez que la signature des conventions tripartites doit être achevée fin 2008. L’Ondam personnes âgées ne progresse que de 8 % contre 13 % en 2007, et encore, grâce à un prélèvement de 200 millions sur les réserves de la CNSA, la hausse la plus faible depuis 2003 ! Les établissements ne pourront supporter cela. Il faut, comme le propose l’association des directeurs au service des personnes âgées, repousser d’un an les signatures de conventions.
Que dire du problème crucial de la dépendance et du 5ème risque pour nous la 5ème branche, qui mériterait un large débat ? Vous en repoussez une fois encore l’analyse ! Vous poursuivez la mise en place des franchises -terme assurantiel auquel je préfère celui de taxes- qui pourraient à terme n’épargner personne. Elles s’ajoutent à la participation d’un euro par consultation ou acte de biologie, aux dépassements d’honoraires de plus en plus nombreux. À Vénissieux, un retraité malade du cancer est venu me dire sa détresse : pour être dialysé trois fois par semaine, il lui en coûtera 6 euros de transport sanitaire, soit 300 euros par an, à ajouter aux autres taxes, aux médicaments déremboursés -avec une retraite modeste qui augmentera royalement de 1,1 % !
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Mais non, puisque ce sera plafonné à 50 euros par an !
M. Guy Fischer. - Et que dire des malades d’Alzheimer, des séropositifs, qui vont subir une véritable escroquerie : taxés par les franchises précisément censées permettre de lutter contre leur maladie ! Pour eux, c’est la double peine.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Dans la limite de 50 euros par an !
M. Guy Fischer. - Et les victimes des accidents du travail et des maladies professionnelles, et les personnes handicapées et dépendantes ? N’ayons garde d’oublier, enfin, les anciens combattants et leurs veuves, dont Mme Bachelot a prétendu à l’Assemblée nationale qu’ils seraient exonérés ? Ce qui est exécrable, dans cette pratique, c’est de considérer que les patients seraient responsables de leur maladie et auraient la volonté de « dépenser » des soins sans limites. Et, les médecins seraient coupables de ne pas prescrire selon les seuls besoins !
Ces taxes scélérates vont concourir à une augmentation du coût de la vie, qui pénalise encore plus les pauvres et touche les postes les plus essentiels. Les Français n’en peuvent plus de tirer sur leur budget familial. En 2001, les dépenses incompressibles représentaient 50 % d’un budget, en 2006 : 75 %. Autrement dit, le reste à vivre a diminué de moitié en cinq ans ! Quel sera-t-il pour ceux qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté ? J’appelle cela de la non-assistance à personnes en danger. (Applaudissements à gauche)
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Caricature !
M. Guy Fischer. - Vous poussez jusqu’à l’inacceptable la prétendue responsabilisation des patients et des professionnels de santé : par exemple, vous proposez d’étendre le droit de communication des données aux employeurs, aux banques, aux fournisseurs d’énergie et de téléphonie. On aimerait vous voir aussi vigilants avec les dépassements d’honoraires ! En revanche, la prévention, qui peut être une source d’économies, en même temps qu’une bonne pratique de santé publique, est absente de ce projet de loi.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Ce sera dans les contrats individuels !
M. Guy Fischer. - La branche vieillesse est en déficit de 4,6 milliards et le chiffre de 5,1 est avancé pour 2008. Vous prétendez résorber ce déficit en faisant travailler les Français plus longtemps, en cassant les régimes spéciaux dont les avantages ne sont pas sans contreparties, en taxant les préretraités alors qu’ils ont rarement choisi l’inactivité ! Notre rapporteur pour la branche vieillesse va jusqu’à accuser les cessations précoces d’activité d’être pour une bonne part la cause des déficits actuels de la branche vieillesse ! Confrontez vos incantations avec la réalité. Le Premier ministre reconnaissait récemment que la mise à l’écart des seniors « est insupportable, incompréhensible pour les Français et idiote économiquement ».
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Là-dessus, nous sommes d’accord.
M. Guy Fischer. - Cependant, 400 000 personnes de plus de 50 ans sont en recherche d’emploi et 37,9 % seulement des 55-64 ans travaillent encore ! De surcroît, ils subissent des discriminations à l’embauche.
Les retraites sont un problème majeur pour les générations à venir et que faites-vous ? La part des cotisations patronales n’a cessé de diminuer, les allégements sont passés d’un milliard d’euros en 1993 à 25,6 en 2007, tandis que le pouvoir d’achat des retraites baissait de 15 % pour plusieurs raisons : la désindexation de l’évolution des retraites sur les salaires et son remplacement par l’indexation sur l’indice des prix INSEE ; l’allongement à 25 au lieu des 10 meilleures années des salaires pris en compte pour établir le montant de la retraite ; les abattements pour carrière incomplète ; l’augmentation des prélèvements de cotisations sur les retraites ; l’accroissement de la proportion des bas salaires engendrant de basses retraites. Tout cela fait que 40 % en moyenne des retraites liquidées par le régime général à taux plein le sont au niveau du minimum contributif, la proportion atteignant 58 % pour les femmes.
Je laisserai Mme David s’exprimer sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles. Je rappellerai simplement que nous avons déposé une magnifique proposition de loi.
La branche famille, avec un déficit ramené à 0,5 milliard, deviendrait légèrement excédentaire en 2008. Comme chaque année, elle ne contient quasi aucune mesure favorable aux familles, et l’augmentation de la PAJE se fait au détriment des structures d’accueil collectif. Les prestations familiales sont au pain sec alors que le président Sarkozy avait promis le versement des allocations familiales dès le premier enfant.
Oui, votre modèle social est le modèle anglo-saxon cher à M. Sarkozy. Organiser ainsi une couverture sociale à deux vitesses, c’est mettre à bas le principe fondateur qu’avait su instaurer le général de Gaulle en appliquant le programme du Conseil national de la Résistance : solidarité entre les assurés, participation des salariés et des entreprises au financement de la sécurité sociale, égalité de tous dans l’accès aux soins. Vous nous laissez prévoir, pour le lendemain des municipales la poursuite de la fiscalisation du financement de la sécurité sociale. Un article du Monde d’aujourd’hui titre « CSG contre TVA sociale ». Si c’est Vasselle, c’est la CSG, si c’est Marini, c’est la TVA sociale.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Et si c’est Fischer ?
M. Guy Fischer. - Alors, ce sont les patrons ! (Rires)
Avec vous, c’est une dose de TVA dite sociale, voire écologique, un zeste de CRDS et de CSG, une mesure de bouclier sanitaire... La recette est connue et le résultat bien indigeste pour les contribuables et les usagers de la sécurité sociale et des mutuelles. Comme je le constatais dans notre débat sur les prélèvements obligatoires, l’essentiel des prélèvements fiscaux et sociaux affecte aujourd’hui d’abord la consommation, avec la TVA et la TIPP, ensuite les revenus salariaux, avec l’impôt sur le revenu, la CRDS et les cotisations sociales. Dans ce même débat, Jean Arthuis, président de la commission des finances, disait que notre système de sécurité sociale devait « s’adapter pour prendre en compte la réalité d’une économie désormais globalisée », et d’appeler de ses voeux une hausse de la TVA de 19,6 à 25 % !
On choisit de taxer plus encore la consommation et les revenus du travail pour continuer de défiscaliser les revenus du capital et du patrimoine. Quant au meilleur levier fiscal, je laisse cette question aux querelles internes de la majorité car, dans tous les cas, vous ferez peser l’effort, sur les salariés et leurs familles. Alors inutile de déguiser vos choix politiques afin de nous faire croire que vous recherchez la moins mauvaise solution pour résoudre un problème de financement de la protection sociale qui serait structurel. C’est la concrétisation du credo de la droite libérale la plus réactionnaire : c’est la fin de la solidarité entre les générations et entre malades et bien portants.
Pour conserver une protection sociale solidaire, il faudrait réformer l’assiette des cotisations, car il n’est plus possible de fonder notre protection sociale sur le seul travail dont la part ne cesse de régresser dans la richesse nationale, au profit de la spéculation financière et des évasions de capitaux. Total a ainsi battu en 2006 son record de 2005 avec un bénéfice net de 12,5 milliards ! Taxer ce type de bénéfice, ne serait-ce que de 1 %, renflouerait les caisses de la sécurité sociale. Il faut mettre équitablement à contribution les revenus du travail et du capital.
Les mouvements sociaux d’octobre et ceux qui viennent montrent que votre politique est et sera refusée par une majorité de plus en plus grande de Français. Et tandis que nous voterons résolument contre un projet de loi de financement qui est l’avant-dernière étape de la privatisation de notre protection sociale, la population française saura vous faire entendre combien elle est attachée à son patrimoine social inaliénable.