J’annonce la couleur, à mon sens, seuls les assurés sociaux paieront, tel est mon sentiment face à ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, et plus largement, face à l’orientation générale de la politique de santé du gouvernement.
Monsieur le Ministre, vous jouez avec les nondits et dissimulez vos intentions par l’émiettement des mesures. Mais ce texte n’est pas un budget de transition : l’application de la tarification à l’activité des établissements sanitaires aura de lourdes conséquences, de même, la P.A.J.E. (prestation d’accueil du jeune enfant) ne correspond pas à la réforme attendue.
C’est un budget en trompe- l’œil, dangereux et qui met les économies essentiellement à la charge des assurés sociaux : enfin les transferts budgétaires entre l’État et la sécurité sociale finissent de rendre illisible une réforme que vous dites préparer mais qui est déjà engagée.
En effet, les transferts, pour ne pas dire les détournements du budget de la sécurité sociale vers celui de l’État sont légion et pourtant passés sous silence. Quelques exemples : 800 millions d’euros des taxes sur le tabac et l’alcool vont à la C.N.A.M.T.S., l’État conservant 7,8 milliards d’euros ; quelle garantie donnez-vous de la réaffectation des recettes antérieurement affectées au Forec, dont la dette, selon nous, incombe à l’État et non à la Cades ?
Autre exemple : les hôpitaux qui ne peuvent récupérer la T.V.A. qu’ils paient. On pourrait encore évoquer les « compensations » entre régimes qui fait que chaque année, le régime des salariés verse entre 3 et 4 milliards aux non- salariés.
La réforme ultralibérale que vous mettez en œuvre est « saucissonnée » et « noyée » en une multitude de textes, ordonnances, projets de loi en préparation. Tout cela n’est pas innocent. C’est bien d’une réforme en profondeur qu’il s’agit, d’une stratégie.
La maîtrise médicalisée des dépenses de santé demeure l’objectif prioritaire des gouvernements qui se sont succédés afin de respecter les critères de convergence du pacte de stabilité.
Le Médef en profite pour présenter des solutions privées, différentes de notre système de protection sociale solidaire.
À votre arrivée au gouvernement, vous avez affirmé mettre fin à la maîtrise comptable des dépenses de santé. La réalité est tout autre. L’idée d’une « sécurité sociale bis » est en filigrane dans les rapports Chadelat et Coulomb. Les assureurs veulent pouvoir proposer des contrats en fonction du profil de l’assuré, - c’est-à-dire sur dossier - dans l’hypothèse de leur intervention accrue « sur le marché de la santé ». La mise en œuvre du plan Hôpital 2007 a été engagée par une ordonnance dite de « simplification du système de santé » : je reviendrais demain sur cette réforme majeure. Aujourd’hui, une nouvelle étape de régionalisation de la santé hospitalière se met en place avec le projet de loi relatif aux responsabilités locales.
Le président de la C.N.A.M.T.S., a lui- même commenté sans complaisance les dangers de ce projet de loi. Il nous disait le 15 octobre dernier, en commission des Affaires sociales du Sénat, que l’on assistait à « la multiplication de projets de loi, qui traitent tous, peu ou prou, de santé et d’assurance maladie, sans que quiconque ne se sente investi d’une mission de recherche de cohérence entre tous ces textes ». Il évoquait notamment l’article 55 qui autorise les régions à mettre en place des actions complémentaires à celles de l’État en matière de santé et démontrait la confusion des rôles et des financements, pointant le transfert aux départements de l’élaboration du schéma départemental qui fonde les autorisations d’ouverture des établissements pour personnes âgées et handicapées pourtant financés en large part par l’assurance maladie. Il disait sa crainte que la C.N.A.M.T.S. n’ait plus qu’à enregistrer des dépenses médico-sociales décidées par d’autres.
S’agissant des personnes handicapées, nous pourrions également évoquer la suppression de l’A.A.H. préconisée par la proposition de loi sénatoriale About/Blanc. S’agissant des personnes âgées, nous pourrions encore parler des récentes mesures visant à réduire la portée de l’A.P.A… Nous pourrions également dénoncer l’allongement de la durée légale du travail par la suppression d’un jour férié pour financer - dit-on - la dépendance des personnes âgées.
Dans le projet de loi cadre relatif à la politique de santé publique - dénoncé par ma collègue, Jacqueline Fraysse à l’Assemblée nationale - vous déplacez la complexité du niveau national au niveau régional, par la création du groupement régional de santé publique. Ce dernier aura vocation à mettre en œuvre le plan régional de santé publique en lieu et place des opérateurs actuels, ce qui va créer de nouvelles strates administratives.
Le conseil régional se voit ainsi conférer la possibilité de définir une politique régionale de santé avec des objectifs particuliers à la région. S’il est bon que cette dernière devienne le niveau pertinent pour une politique de santé publique, tout porte à craindre que nous ne soyons confrontés à une aggravation des inégalités régionales, en raison des capacités de financement différentes de chaque conseil régional.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale est singulièrement muet sur la branche vieillesse. C’est dans le projet de loi de finances pour 2004 qu’il nous faut aller chercher les mesures sur la vieillesse : il sape également le financement de la sécurité sociale et complète en particulier la loi Fillon sur les retraites.
La fin des plans d’épargne populaire (P.E.P.) et le lancement du plan d’épargne individuel de retraite (P.E.I.R.) devenu plan d’épargne retraite populaire (P.E.R.P.) établit de véritables fonds de pension à la française. Les nouvelles déductions fiscales prévues vont encore diriger l’argent des retraites et l’épargne des salariés vers la Bourse : 1,7 milliard d’euros de dépenses nouvelles sont destinés à financer une nouvelle tranche de déductions de cotisations sociales en faveur du patronat, ce qui ne peut manquer de miner encore plus le financement normal de la sécu, de tirer les salaires vers le bas, cela sans effet prouvé sur l’emploi. Quelques chiffres sont éloquents : un déficit budgétaire prévu pour 2004 de 55 milliards d’euros, 11 milliards d’euros pour la sécurité sociale… et 20 milliards d’euros de déductions de cotisations sociales. Vous culpabilisez les assurés et vous ouvrez la voie à une privatisation rampante. La hausse du prix du tabac, une taxe sur la promotion pharmaceutique et la recommandation aux caisses d’améliorer l’efficacité de leurs recours contre les tiers ne sont pas des solutions à la hauteur de l’enjeu. Les réductions de dépenses supportées par les assurés sociaux sont quant à elles nombreuses : hausse du forfait hospitalier, baisses de remboursements, contrôles renforcés sur les arrêts maladie et les dépenses liées aux affections de longue durée et, last, not least la journée fériée-travaillée, censée financer l’autonomie des personnes âgées et handicapées. C’est de la gesticulation de prestidigitateur.
En vérité, votre projet organise une protection sociale à plusieurs vitesses. Vous laissez « courir » le déficit, ne recherchez aucune nouvelle recette et persévérez dans votre logique d’exonérations des charges patronales et d’encouragement à la modération salariale.
Pour notre part, nous avançons des propositions sur l’assiette des cotisations sociales. Nous proposons en outre la création d’une cotisation sociale additionnelle sur les produits financiers, susceptible de rapporter 20 milliards d’euros à la sécurité sociale.
La question de la protection sociale est liée aux autres mesures de libéralisation que vous mettez en œuvre. La politique que vous menez se fait au bénéfice des nantis et aux dépens des plus défavorisés.
Ainsi, les restrictions apportées à l’attribution de l’A.P.A. conduisent les personnes âgées vers des établissements surchargés et, au moindre problème de santé, elles doivent être dirigées vers les urgences hospitalières débordées.
Vous nous dites souhaiter prendre le temps de la concertation… Il y a loin pourtant des paroles aux actes. Après la politique du médicament et le plan « Hôpital 2007 », sur lesquels le Parlement n’a jamais délibéré, la boucle est bouclée avec le projet de loi de santé publique, qui vient dès la mi-janvier devant notre Assemblée. Entre hypocrisie et marche forcée, vous avez mené vos réformes dans le plus total mépris de la représentation parlementaire. C’est pourquoi nous nous prononcerons sans hésitation contre ce budget.