Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Chers collègues,
La politique menée par cette majorité depuis 2002 est désastreuse. Et nous ne pourrons mesurer malheureusement qu’à l’épreuve du temps, les dégâts économiques et sociaux d’une telle politique.
Après quatre ans au pouvoir, Monsieur le Ministre, aucun de nos concitoyens ne peut plus être dupe aujourd’hui des véritables intentions de cette majorité et de ce Gouvernement.
Votre politique libérale est fondée sur la baisse du coût du travail, par tous les moyens ; et s’attache à démanteler le code du travail, à toutes les occasions.
Aucun de nos concitoyens ne doute dorénavant de votre souhait de servir le MEDEF dans ses intentions les plus extrêmes : à la pauvreté, Mme Parisot répond la flexibilité ; face à la précarité, elle avance la déréglementation.
Et vous avez su lui emboîter le pas depuis 4 ans, flattant ainsi l’aile la plus libérale de votre majorité.
Quant à votre méthode, elle est malheureusement bien rôdée.
Au mépris du dialogue paritaire, dans le déni des organisations syndicales, vous agissez dans la précipitation, vous contournez le débat parlementaire et négligez la représentation nationale.
Vous multipliez les effets d’annonce, et quelques semaines, voire quelques jours seulement, après vos déclarations, suivent des textes législatifs incohérents et souvent « fourre - tout ».
A cela s’ajoutent des procédures d’urgence sur la quasi-totalité des projets de loi.
Ou encore, le recours aux ordonnances pour les textes les plus graves, car je rappelle que le contrat Nouvelle Embauche, première grande entaille dans le code du travail, est issu d’une ordonnance de ce même gouvernement déposée cet été.
Ou bien, comme c’est le cas ici, l’utilisation du « 49 - 3 », véritable passage en force contre toutes les organisations représentatives, et contre l’opinion publique.
Enfin, tous les textes que nous avons eu à examiner depuis 2002 sont « truffés » d’amendements déposés en catimini par le Gouvernement, à la dernière minute et aux heures les plus tardives des séances parlementaires.
Et cette méthode fait ses preuves au regard de l’état catastrophique dans lequel se trouve aujourd’hui notre monde du travail.
Les exemples sont nombreux :
Vous avez su revenir sur la durée de travail à 35 heures, par touches successives, à tel point qu’aujourd’hui nulle entreprise n’est plus tenue par cette limitation du temps de travail. Pire encore, par l’extension du « forfait jour » à tous les salariés (encore une fois par un amendement cavalier), la notion même de temps de travail hebdomadaire a explosée.
Dans la même logique, vous avez introduit la distinction entre temps de travail effectif et temps de « non travail », ce qui exclut du décompte des heures de travail l’habillage ou les déplacements, moyen très sournois d’accroître indirectement la temps de travail et la productivité des salariés.
Plus généralement, vous avez su inverser la hiérarchie des normes dans la négociation collective, en introduisant des dérogations à tous les accords de branches ou accords collectifs, par des accords d’établissements ou d’entreprises.
Ce renversement est loin d’être anodin, car notre droit social s’est construit sur la nécessité de corriger la relation forcément inégalitaire entre l’employeur et le salarié.
Dans cette relation hiérarchique à la défaveur du salarié, le droit du travail apparaissait comme un rempart protecteur pour le salarié.
Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, vous individualisez les rapports sociaux, et les salariés se retrouvent seuls à défendre leur droit au sein de leur entreprise. Et nous savons que c’est la porte ouverte à tous les abus.
C’est par ce biais que vous avez réintroduit le travail de nuit des mineurs, mais aussi le travail des jeunes apprentis le dimanche ou les jours fériés. De telles dispositions sont autant de coup de canifs dans le code du travail.
Je peux aussi rappeler à cette Assemblée que les procédures de licenciements économiques ont été largement allégées pour les entreprises, qui depuis 2004, peuvent déroger à leur obligation de reclassement de leurs salariés en cas de difficultés économiques, ce qui laisse un large champ d’interprétation.
Mais sur ce thème, le pire est peut être à venir avec la possibilité de licencier préventivement ses salariés en cas d’anticipation d’un renversement de conjoncture.
Dans tous les cas, cela nous éclaire sur le sort que le Gouvernement réserve aux partenaires sociaux, puisqu’ils sont considérés comme de simples chambres d’enregistrement des décisions prises par le Premier Ministre.
La preuve vient encore d’être faite ces derniers jours avec l’introduction d’un amendement cavalier autorisant à légiférer par ordonnance (dans le texte retour à l’emploi) pour mettre en place le « contrat de transition professionnelle » alors qu’aucune audition avec les partenaires sociaux n’avait encore été faite. Par contre, le gouvernement avançait déjà leur accord ! Bonne illustration une fois encore de la méthode employée.
Ces méthodes inqualifiables de « casse » du droit du travail s’accompagnent malheureusement d’une dégradation quantitative et qualitative de l’emploi.
Vous avez beau rentré en guerre contre les statisticiens de l’INSEE ou de la DARES, qui commencent aujourd’hui à témoigner des pressions exercées par le Gouvernement sur eux, rien n’y fait. Les chiffres témoignent tous de l’inconsistance de votre politique.
L’INSEE estime que les créations d’emplois nettes, dans le secteur marchand et hors emplois aidés n’ont pas augmenté en 2005, ou presque pas puisque la hausse est de 0,4% !
L’ANPE évalue, pour l’année qui vient de s’écouler, à 126 800 le nombre de travailleurs sortis de l’assurance chômage, pourtant l’INSEE estime les créations d’emploi à environ 65 000 ! On sont passés les autres, alors ?
Nous savons qu’une grande partie d’entre eux a basculé dans le système d’assistance, principalement le RMI, dont les bénéficiaires ont augmenté cette année, comme l’an passé, de 8%. Aujourd’hui, à peine 48% des chômeurs sont encore couverts par le régime d’assurance chômage, c’est-à-dire moins d’un sur deux. Ils étaient plus de 55% en 2002.
Surtout, de façon à faire artificiellement baisser les chiffres du chômage, vous avez multiplié les nouveaux contrats aidés, ou contrats spéciaux.
Ils représentent 265 000 créations d’emplois pour 2004.
A tel point que certains sont modifiés quelques semaines à peine après leur adoption, comme c’est le cas pour le contrat d’avenir. Pire encore, ils rentrent dorénavant en concurrence les uns avec les autres, et pour cause, ils sont actuellement au nombre de 19.
C’est encore une fois une bonne illustration de l’incohérence et de la précipitation de votre politique.
La multiplication de ces emplois permet surtout de développer les aides financières faites aux entreprises, qui sont bien évidemment les grandes gagnantes de votre politique.
Les chiffres fournis par le Conseil d’Orientation pour l’Emploi sont éloquents :
Allégements de cotisations sociales : 17, 1 milliards d’euros ; exonérations et crédit d’impôt pour les contrats d’apprentissage : 1,5 milliards d’euros ; aides aux embauches dans les zones franches urbaines : 370 millions d’euros ; contrat jeune en entreprise : 273 millions d’euros ; aide dégressive à l’emploi : 104 millions d’euros.
Les sommes versées par l’Etat aux entreprises sont colossales, et il s’agit ici que des aides directes de l’Etat. Mais si l’on tenait compte de toutes les aides indirectes dont bénéficient les entreprises de la part de l’Etat ou des collectivités territoriales (une évaluation qu’il serait bon de réaliser), on pourrait atteindre les 60 milliards d’euros chaque année.
Non seulement ces « cadeaux » faits aux entreprises sont injustifiables, mais ils conduisent surtout à tirer vers le bas la qualité des emplois, en incitants les entreprises à recourir aux emplois précaires et peu qualifiés.
Ces exonérations sociales, et toutes ces aides accordées aux entreprises opèrent un effet de substitution des emplois peu qualifiés aux emplois qualifiés.
C’est ce dont témoigne les zones franches où se concentrent dorénavant les emplois peu ou pas qualifiés, ce qui conduit à un salaire médian dans les zones franches urbaines inférieur au salaire médian sur le reste du territoire.
Est-ce cela votre politique de justice sociale en direction des banlieues ?
C’est effectivement l’une des raisons qui expliquent la dégradation des conditions d’emploi : les emplois précaires, sous qualifiés et mal rémunérés deviennent la norme.
Cette norme s’impose au détriment de l’emploi que l’on disait « typique », c’est-à-dire l’emploi à temps complet, en contrat à durée indéterminée, et qui offrait un niveau de revenu permettant une projection personnelle et familiale dans l’avenir, ainsi qu’un statut social et des droits.
Actuellement, 17% de la population active dispose d’un emploi précaire, et il faut ajouter à cela que 5% de la population active se trouve en situation de sous-emploi, c’est-à-dire des personnes qui travaillent à temps partiel, alors qu’elles souhaiteraient travailler plus.
Au total, un travailleur sur 5 est victime de conditions d’emploi dégradées.
Ces chiffres sont encore plus éloquents pour les très petites entreprises, puisque 41% des salariés sont employés à temps partiel, sous un contrat à durée déterminée ou bénéficient d’une aide ciblée de l’Etat.
On n’est donc pas loin d’un travailleur sur deux.
Et qui dit emploi précaire, dit revenu précaire et par là même des conditions de vie familiale fragiles.
Ce constat se retrouve d’ailleurs dans le nombre des travailleurs pauvres qui n’a cessé de s’accroître ces dernières années. Il dépasse les 3 millions de personnes actuellement.
Et une telle augmentation est une fois encore le résultat de votre politique.
C’est pourquoi il faut considérer ce texte, et en particulier l’article instituant le CPE comme prenant la suite de tout cela.
Il ne s’agit ni d’un écart, ni d’une maladresse de la part de ce Gouvernement.
Bien au contraire, c’est un pas de plus franchi sur le chemin de la précarité et de l’exclusion, que ce Gouvernement trace depuis bientôt cinq ans.
On y retrouve une fois encore les mêmes méthodes, c’est-à-dire la précipitation et le contournement de la discussion publique, pour répondre aux mêmes objectifs : la déréglementation du marché du travail et la mise au pas d’une main d’œuvre flexible.
Et vous ne trompez pas les concitoyens, même en contournant les syndicats ou les partenaires sociaux et en précipitant le débat parlementaire.
Avec le CPE, vous souhaitez créer l’illusion statistique de la baisse du chômage des jeunes à des fins électoralistes.
Vous vous acharnez à baisser à tout prix le coût du travail en profitant d’une situation démographique actuellement en défaveur des jeunes travailleurs.
Vous profitez de la pression exercée sur le marché du travail pour faire porter aux jeunes générations touts les efforts de flexibilité et d’abaissement des coûts.
Enfin, vous créez un nouveau salariat appeler à connaître la précarité tout au long de sa vie, comme c’est déjà la cas avec le Contrat Nouvelle Embauche.
Au mépris des recommandations des Conventions de l’Organisation Internationale du Travail, dont la France est pourtant signataire, en contournant les textes législatifs européens, vous supprimez toute protection des travailleurs face aux abus de licenciement.
En retournant la charge de la preuve en cas de recours devant les tribunaux, vous opérez un renversement sans précédent dans le droit du travail.
Vous faites dorénavant de la France le pays européen où les conditions de travail sont les plus précaires, et où le fonctionnement du marché du travail est le plus libéralisé.
Vous parlez de volontarisme, ou d’ambitions sociales, pour justifier votre politique, mais ce sont des fins contraires que vous poursuivez.
Vous fondez une société où la solidarité collective est rapportée à ses fonctions les plus résiduelles d’assistance. Vous créez une société de l’exclusion, où la pauvreté est stigmatisée et de plus en plus pénalisée.
Avec ce projet de loi intitulé, comme par hasard, « égalité des chances », c’est bien un objectif inverse au nôtre que vous poursuivez.
Il ne s’agit pas, Monsieur le Ministre, d’avoir les mêmes chances au départ, comme dans le modèle anglo-saxon de réussite individuelle, où seuls les soi-disant plus méritants réussissent.
Il s’agit, selon nous, Groupe Communiste Républicain et Citoyen, dans le respect de notre modèle social d’intégration, de garantir l’égalité de droit, à tous, sur notre territoire.
Cette politique de déréglementation sans limite du marché du travail, au service d’une idéologie libérale anti-sociale et anti-solidaire est bel et bien ce qui nous pousse avec fermeté à conclure qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la discussion de ce texte.