Ce projet de loi correspond pleinement à votre volonté de modeler une nouvelle société et de passer d’un État social à un État libéral et pénal.
Depuis un an, les remises en cause des droits des salariés se succèdent sans trêve : cinq textes, dont le dernier, à la mi-juillet, en pleine session extraordinaire, traitera de la démocratie sociale...
M. Nicolas About, président de la commission. - C’est important.
M. Guy Fischer. - ...et du temps de travail. La discussion ne prendra sûrement pas moins de deux semaines. Il y a eu avant cela la recodification, une véritable « histoire des droits amoindris ». Vous avez manqué à vos engagements, compliqué encore le code -il a doublé de volume- et amoindri la protection des salariés. Ensuite, ce fut la privatisation rampante du service public de l’emploi, avec la fusion. Vos déclarations de bonnes intentions ont été contredites par le contenu même du texte de loi. Demain, les demandeurs auront en face d’eux un agent de placement et de contrôle, qui tout à la fois inscrira, cherchera et radiera ! Ce que les salariés retiendront de ce projet de loi, c’est qu’il a été un outil supplémentaire dans la réduction du coût du travail et dans la réduction de leurs droits, mais aussi dans la précarisation croissante. Nous verrons les conclusions du rapport Seillier sur la pauvreté et la précarité, mais je sais bien que la décennie a été marquée par l’explosion de la précarité !
Le quatrième texte, celui d’aujourd’hui, vous inflige un très mauvais point en matière de dialogue social : vous avez décidé unilatéralement de passer outre l’avis des partenaires sociaux. Le cinquième texte viendra en discussion pendant la session extraordinaire. Vous mettrez fin aux 35 heures, préférant visiblement la semaine de 65 heures, comme vos amis libéraux européens. C’est un recul historique qui nous ramène avant 1936 !
Ces réformes ont été voulues par M. Sarkozy, mises en scène par M. Fillon, promues par M. Xavier Bertrand et par vous. Elles sont lourdes de conséquences et vos 4,5 millions d’euros de campagne publicitaire ne convaincront pas les Français que leur pouvoir d’achat a augmenté. L’outre-atlantisme du Président de la République l’incite à chercher son modèle social aux États-Unis : licenciement facile et immédiat, aides sociales limitées, etc. Jeudi dernier, les propos de M. Serge Dassault en commission des finances étaient éloquents : le problème serait que l’assistance et les aides diverses aux chômeurs sont trop élevées. Et d’ajouter, avec sa pondération coutumière : « on réduirait carrément les aides aux chômeurs, ce serait quand même plus efficace si on veut les faire travailler que de vouloir donner de l’argent sur les deniers de l’État ». Quant aux jeunes, il propose de les mettre en apprentissage dès 14 ans.
M. Nicolas About, président de la commission. - C’était pour vous donner l’occasion de parler de lui.
M. Guy Fischer. - Nous connaissons le sens de la mesure de M. Dassault. Lors de l’examen du projet de loi relatif à la modernisation du marché du travail...
M. Nicolas About, président de la commission. - Je me souviens de ses échanges avec M. Muzeau !
M. Guy Fischer. - ...il avait déclaré que le licenciement ne devrait pas être encadré et prôné une généralisation des contrats les plus précaires, contrats de portages et de missions. Propos excessifs qui n’engagent que celui qui les tient ? Hélas, je crois qu’il s’agit là de la traduction, haut et fort, de ce que nombre de parlementaires UMP pensent tout bas.
M. Nicolas About, président de la commission. - Non !
M. Paul Blanc. - Pas de procès d’intention ! (Rires)
M. Guy Fischer. - Ce projet de loi repose sur la conviction qu’un chômeur trouverait plus facilement un emploi si on limitait et ses droits et ses indemnisations.
Dans le Rhône, je suis en opposition sur cette question avec M. Mercier. Je l’accuse de faire la « chasse aux pauvres »,
Mme Isabelle Debré. - Il n’est pas là pour se défendre.
M. Guy Fischer. - Le nombre de titulaires de droits sociaux diminue, bien sûr, puisqu’il fait tout pour.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Restez modéré.
Mme Isabelle Debré. - Calmez-vous.
M. Jean Desessard. - Continuez ! Ne vous laissez pas abattre !
M. Guy Fischer. - Je déplore le déni de démocratie sociale qui a prévalu à l’élaboration de ce texte : aucune des cinq organisations syndicales représentatives des salariés n’a voulu parapher votre projet de loi. Toutes, de la CFE-CGC à la CGT, vous ont fait part de leur mécontentement et dénoncent un texte d’affichage, de stigmatisation et de culpabilisation, introduisant des dispositions qui risquent de porter la suspicion sur tous les chômeurs.
Un collectif de syndicats et d’associations a fait savoir qu’il s’opposait à ce projet de loi qui rend les chômeurs « responsables de leur situation ». Je remercie M. Leclerc de le signaler dans son rapport.
Je m’inscris en faux contre l’idée selon laquelle le Gouvernement devait intervenir parce qu’à deux reprises, les organisations syndicales ont refusé de négocier. Les organisations syndicales le nient catégoriquement. Quant à l’accord national interprofessionnel, vous reprochez aujourd’hui aux partenaires sociaux d’avoir écarté de la discussion une disposition qui, si elle avait été introduite, aurait hypothéqué la signature de l’accord... que vous vous réjouissez par ailleurs d’avoir obtenu ! Les partenaires s’étaient accordés pour discuter de l’offre raisonnable d’emploi en même temps que de la convention d’assurance chômage, soit fin 2008 !
Face à ce « refus de négocier », votre gouvernement a pris ses responsabilités, dites-vous. En fera-t-il de même pour la négociation sur la pénibilité, bloquée par le patronat ? Nous vous verrons à l’oeuvre.
La nouvelle institution résultant de la fusion ANPE-Assedic aura pour mission de garantir les droits et poser les devoirs des demandeurs d’emploi ; elle ne verra le jour qu’au début de l’année prochaine.
Il y a donc une grande incohérence à proposer maintenant ce texte, qui aurait mérité d’être discuté avec les partenaires sociaux, et singulièrement les organisations syndicales. Vous préférez nous soumettre un texte qui contient de nombreux devoirs et des droits presque insignifiants. Le recul est sans précédent. Vous aggravez encore la politique d’écrasement des salaires en instituant un dispositif qui, s’ajoutant à l’intérim et au temps partiel, poussera inévitablement davantage encore à la baisse. Le déclassement professionnel deviendra monnaie courante, et la condition sociale des salariées sera aspirée vers le bas et l’on verra se multiplier le nombre des travailleurs pauvres.
Que devient la responsabilité sociale de l’employeur, qui avait pourtant, depuis quelques années, émergé dans le débat ? La Commission européenne la définit comme l’intégration volontaire par l’entreprise de préoccupations sociales et environnementales, une charte de bonne conduite a même été édictée et des sociétés ont été chargées d’évaluer le respect des engagements pris. Mais les entreprises, déjà résolument engagées dans des politiques de réduction de la masse salariale qui pèsent sur leurs sous-traitants, tandis que les crédits de la formation professionnelle restent inemployés et que les stagiaires deviennent légion, font passer tout cela à la trappe. Et le silence du Medef est assourdissant. Pourquoi les entreprises seraient-elles vertueuses quand le Gouvernement lui-même manque à ses obligations ? Ainsi de la réforme du FCAATA (Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante), dont la mesure phare sera de limiter les contributions patronales et de piller la branche AT-MP !
On ne peut pas compter sur une simple charte, aussi pleine de bonnes intentions soit-elle, pour protéger les salariés. C’est sur la loi, cette arme du faible contre les puissants, qu’il faut s’appuyer.
M. Jean Desessard. - Bien sûr ! C’est le b-a-ba du marxisme !
M. Guy Fischer. - Où sont les mesures que vous proposez ? Où est-il question, dans ce texte, de la responsabilité de l’entreprise ? Non pas que nous soyons de fervents partisans du paternalisme étouffant du patronat d’antan -je l’ai connu, avec ses cités ouvrières, ses écoles, ses églises- mais nous regrettons que soit révolu le temps où l’entreprise était responsable de ses salariés avant et après leur temps d’activité. L’entreprise de casse ne date hélas pas d’hier, car j’ai souvenir que c’est un certain François Fillon, alors ministre du travail, qui a privé les salariés retraités de la participation des employeurs à leur mutuelle complémentaire d’entreprise. Il devient impératif de renouer avec un principe de reconnaissance du salarié et d’engager l’entreprise à tenir son rôle dans la société.
Déclarer l’urgence sur ce texte vous est bien utile : elle vous permet de contourner ce débat légitime. Quels seront les perdants ? Les chômeurs, les précaires, les titulaires de minima, dont vous n’hésitez pas à mettre la vie en bascule. J’invite donc mes collègues à voter cette question préalable, qui permettra au Gouvernement de retrouver le chemin du dialogue social.