Droits et devoirs des demandeurs d’emploi

Publié le 25 juin 2008 à 10:39 Mise à jour le 8 avril 2015

Plusieurs orateurs ont vanté les mérites de la fusion entre l’ANPE et les Assedic. Pourtant, nous ne connaissons ni le statut ni le nom du nouvel organisme, puisque lors de son audition, M. Wauqiez a dit ne pas vouloir trahir le secret. Les parlementaires apprécieront !

S’il faut batailler contre le chômage, ce n’est pas avec ce texte que vous engagerez les hostilités. Au contraire : il stigmatise les demandeurs d’emplois et aborde le problème à l’envers, puisqu’il ne définit pas d’abord l’offre de services de la nouvelle institution.

Il y a urgence pour des milliers de nos concitoyens à sortir de la précarité, des petits boulots mal payés et du chômage dans lequel des employeurs peu scrupuleux les ont plongés. Mais votre texte néglige cette réalité. Il ignore le calendrier social en cours, comme la négociation sur la formation professionnelle, celle sur la pénibilité ou la nouvelle convention d’assurance chômage. L’urgence que vous avez déclarée ne sera d’aucun secours pour les demandeurs d’emploi.

Qui plus est, on nous demande de ne pas nous en mêler, tantôt parce qu’il y a un accord professionnel, tantôt parce que le Gouvernement prend ses responsabilités ! A quoi sert donc le Parlement ?

L’article premier définit l’offre raisonnable d’emploi, venue se substituer à l’offre valable d’emploi après l’annonce fracassante et médiatique du Président de la République.

Certes, la précision législative s’imposait, mais nous regrettons que vous en profitiez pour renforcer les obligations pesant sur les demandeurs d’emploi : ils devront désormais prouver une recherche active continue et répétée, accepter la dégressivité des droits, voire se résigner à un emploi très en deçà des qualifications et de l’ancienne rémunération, alors que le Conseil économique et social a clairement repoussé cette solution.

Vous allez jusqu’à brader ce que vous appelez le « capital humain », puisqu’un salarié privé d’emploi inscrit au chômage depuis plus d’un an ne pourrait refuser un emploi dont la rémunération serait égale à l’indemnisation perçue, au motif qu’un emploi sous-payé vaut mieux que rien.

Mieux pour qui ? Pour les salariés dont la compétence et la force de travail sont valorisées dans les limites des faibles allocations de substitution ? Pour les séniors licenciés à 55 ans parce que leur expérience coûte trop cher ? Mieux, pour les jeunes sans expérience ? Ou, bien mieux, pour l’employeur qui disposera enfin d’un salarié à moindre coût ?

Car il s’agit bien de poursuivre la politique libérale de l’offre, malgré son échec économique et social, en pesant sur les salaires. A terme, tous les salariés seront pénalisés.

Et je ne parle pas de la disposition scandaleuse autorisant à radier tout demandeur d’emploi qui refuserait un contrat d’apprentissage ou de professionnalisation.

En somme, l’article premier contraint les demandeurs d’emploi à accepter les propositions faites. Ce n’est pas l’architecture de la nouvelle institution -temporairement dénommée « France emploi »- qui nous rassure, ni même la rédaction « conjointe » du projet personnalisé d’accès à l’emploi, car vous introduisez une égalité fallacieuse entre la nouvelle institution et les chômeurs.

Dans un instant, le rapporteur proposera de donner le ton de ce contrat, avec des sanctions en cas de désaccord initial. Il n’y a là rien de très nouveau, sauf l’apparition de l’offre raisonnable d’emploi et l’amendement de M. Leclerc.

Vous dites que ce texte devrait activement participer à la diminution du nombre de chômeurs, jusqu’à la barre symbolique des 5 % à l’horizon 2012, date de la prochaine élection présidentielle.

M. Nicolas About, président de la commission. - Il faut savoir rendre des comptes.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. - Cela s’appelle un bilan.

M. Nicolas About, président de la commission. - Les chiffres sont bons : voilà ce qui vous gêne !

Mme Annie David. - Lorsqu’il s’agit d’instrumentaliser les chiffres du chômage, votre gouvernement est orfèvre. Ainsi, vous prétendez avoir créé 300 000 emplois, un chiffre sans doute largement supérieur à la réalité. Vous vous gardez de préciser leur nature, car il s’agit principalement de contrats atypiques et précaires, à temps partiel imposé, souvent créés dans les services à la personne.

M. Jean Desessard. - Des domestiques !

Mme Annie David. - Or, l’emploi industriel a régressé de 0,4 % au cours du premier trimestre 2008, soit 12 100 postes supprimés. Et ce n’est pas l’offre « raisonnable » d’emploi qui inversera cette tendance ! Quels sont les emplois pourvus ? Quels contrats sont signés ? Pour quelle durée ? Quelle est leur sécurité juridique ou sanitaire ?

Vous passez tout cela sous silence, alors que le Conseil national de l’information statistique (Cnis) vient de vous remettre un rapport qui tend à enrichir les indicateurs existants pour mieux cerner la précarité des emplois et pour estimer les emplois insatisfaisants. Au moment où l’Organisation internationale du travail lance une campagne pour promouvoir le travail décent pour tous les salariés, l’emploi doit être analysé aussi sous un angle qualitatif.

Un article de presse en date du 10 juin a rappelé que, face a un taux de chômage atteignant 11 %, le gouvernement allemand a fait adopter les lois Hartz relatives au marché du travail, dont le quatrième volet a divisé par deux la durée d’indemnisation et contraignait les demandeurs à accepter toute offre de travail, qualifiée là-bas d’acceptable, même lorsqu’elle n’atteignait pas son niveau de qualification.

M. Nicolas About, président de la commission. - Nous n’en sommes pas là !

Mme Annie David. - Résultats : 6 millions de travailleurs pauvres, soit 22 % des actifs, perçoivent moins de 70 % du revenu moyen allemand ; une personne sur huit est pauvre ; les inégalités se creusent malgré la baisse du taux de chômage et une forte croissance économique. En France, la croissance n’est même pas au rendez-vous !

Enfin, le taux de 5 % annoncé pour 2012 est une illusion qui résultera principalement de radiations massives. Lors de son audition, M. Geoffroy Roux de Bézieux, nouveau président de l’Unedic, a dit vouloir améliorer la productivité de la nouvelle institution, sans que l’on sache comment il comptait l’obtenir. Je crains que ce soit en multipliant les radiations, mais aussi par les bag jobs ! Je n’apprécie pas cet anglicisme, mais il est limpide.

Selon le professeur Boeri, il ne faut plus se focaliser sur les stocks du marché du travail mais sur le taux d’entrées dans le chômage. En disant ces mots, je pense à l’inhumanité avec laquelle ces femmes et ces hommes sont traités. La baisse du taux de chômage résulte de la démographie, qui ne doit rien à vos réformes.

Ce texte précise les devoirs des demandeurs d’emploi, mais il reste silencieux sur leurs droits. Le droit à la formation ? Encore faut-il y avoir accès, car votre gouvernement, d’ordinaire si prompt à créer des droits opposables, se limite à une simple éventualité. Les employeurs n’ont aucune obligation, alors que les droits des demandeurs d’emploi sont, pour une part, des obligations à la charge des employeurs. Je pense notamment à la transmission de toutes les offres d’emploi à l’ANPE, alors qu’elle en reçoit aujourd’hui 30 %. Nombre d’entreprises préfèrent les sociétés privées de placement et celles d’intérim, tout cela sans la moindre sanction.

Après avoir entendu les propos de notre collègue M. Dassault...

M. Guy Fischer. - Scandaleux !

Mme Annie David. - ...lors de l’audition de M. Wauquiez, je suis très inquiète pour le devenir des salariés jetés à la rue par des patrons voyous, dans l’indifférence du Gouvernement. Je vous épargnerai la liste trop longue des entreprises qui licencient sans vergogne, mais j’étais samedi aux côtés des ouvriers papetiers d’Altadis, employés dans ma commune, pour dénoncer une fermeture abusive. On est loin de la responsabilité sociale des entreprises, prônée par le Président Sarkozy et reprise dans le Grenelle de l’insertion, car votre texte s’inscrit dans votre projet de société consistant à passer d’un État social à un État libéral et pénal !

Je conclurai avec M. John Moizley, professeur à l’université de Nottingham : « un travailleur qui ne peut pas trouver d’emploi est un personnage infiniment plus tragique que n’importe quel Hamlet ou Oedipe ».

Vous l’avez compris : le groupe CRC ne votera pas ce texte.

Annie David

Ancienne sénatrice de l'Isère
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