Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’histoire des XIXe et XXe siècles a été marquée par des avancées sociales majeures en faveur des salariés, ces femmes et ces hommes sans qui notre pays ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui.
Avec le présent texte, vous entendez remettre en cause une grande partie de ces avancées, monsieur le ministre, notamment les plus récentes : celles des lois sur les 35 heures, en particulier, mais pas seulement, puisque vous entendez aggraver les conditions de travail des salariés en vous attaquant au repos compensateur, à la primauté des conventions collectives, sans aucun respect pour la santé et la sécurité des travailleurs !
Monsieur le ministre, au travers de ce texte, vous imposez, par pur dogmatisme, votre vision idéologique du travail, idéologie que vous partagez avec Mme Parisot, dont l’ouvrage Besoin d’air doit être votre livre de chevet.
M. Xavier Bertrand, ministre. Vous aurez du mal à m’associer à Mme Parisot en ce moment !
Mme Annie David. On y retrouve, en effet, le dogme du profit maximum. Le candidat Nicolas Sarkozy en avait d’ailleurs fait sa feuille de route. Aujourd’hui, guidé par les mêmes préceptes néolibéraux de flexibilité du travail et de réduction de son coût, vous la mettez en œuvre.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est du copier-coller !
Mme Annie David. Vous faites voler en éclats des pans entiers d’un statut du salariat forgé par plus de cent cinquante années de lutte, concrétisé par le programme du Conseil national de la Résistance, contre lequel vos amis n’ont eu de cesse de lutter !
Ainsi, il est écrit que le XXIe siècle débutera par une régression sociale sans précédent.
Pourtant, la première partie de ce texte aurait dû nous permettre un débat en profondeur sur la réforme, nécessaire et souhaitée, de l’avis unanime des partenaires sociaux, de la représentativité.
En effet, la « représentativité irréfragable » des cinq confédérations syndicales désignées par un arrêté de mars 1966 a vécu.
Contrairement aux syndicats « autonomes », ces cinq confédérations n’ont pas à faire la preuve de leur représentativité, ni pour siéger dans les grandes institutions sociales, ni pour négocier les conventions et accords collectifs, l’accès au premier tour des élections professionnelles leur étant réservé. Ainsi, chacune des ces cinq organisations peut engager, par sa seule signature, l’ensemble des salariés concernés par un accord collectif. Cette hégémonie devait être revue.
À ce sujet, mesurer l’audience des syndicats à travers les résultats des élections professionnelles est pertinent. En effet, l’idée d’un système de représentativité « ascendante » -autrement dit partant de la base de l’entreprise - a du sens.
Néanmoins, cette mesure doit concerner tous les salariés, qu’ils soient actifs ou demandeurs d’emploi, et quelle que soit l’entreprise dans laquelle ils travaillent. Or votre texte fait l’impasse sur quelque 6,5 millions de femmes et d’hommes, en laissant de côté les entreprises de moins de onze salariés et en ne tenant pas compte des salariés privés d’emploi.
Ce texte renvoie du reste à un futur projet de loi concernant les petites entreprises, à l’élaboration duquel nous serons attentifs.
Par ailleurs, il n’est nullement fait mention ici de la représentativité patronale. Est-ce à dire que le MEDEF, qui entend imposer sa vision de la représentativité aux syndicats de salariés, ne veut surtout pas avoir de comptes à rendre sur sa propre représentativité ?
est vrai que s’il regroupe la majorité, pour ne pas dire la totalité, des employeurs du CAC 40 - ceux-là mêmes qui n’hésitent pas à délocaliser pour plus de profits, sans se soucier des salariés ainsi jetés à la rue, et qui réclament toujours plus de flexibilité pour eux et moins de droits pour les salariés ! -, le MEDEF ne représente pas la grande majorité de ceux qui font l’emploi dans notre pays.
M. Guy Fischer. Tout à fait !
Mme Annie David. Aussi peut-on se demander quelle est sa légitimité pour négocier certains accords qui, finalement, ne concernent qu’un petit nombre de ses adhérents.
C’est pour cette raison que le principe de validation d’un accord par une ou plusieurs organisations syndicales représentant au moins 30 % des suffrages constitue en soi une avancée sociale, bien qu’il ne s’agisse pas encore de la reconnaissance du principe majoritaire.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il le faut bien : la CGT ne signe jamais !
M. Alain Gournac, rapporteur. Ou si rarement ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Mme Annie David. C’est pour cette raison que nous vous proposerons quelques amendements qui visent cet objectif, à l’article 6 du projet de loi.
Monsieur le ministre, vous avez affirmé que ce texte permettrait sans doute l’apparition de syndicats « réformistes », afin, bien évidemment, de lutter contre l’émiettement syndical... Les partenaires sociaux ont sans doute apprécié vos propos ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)
Aussi est-il proposé de fixer un seuil minimal d’audience de 10 % dans les entreprises et de 8 % dans les branches pour permettre à un syndicat de s’asseoir à la table des négociations. Pour ma part, je pense qu’il faut distinguer la représentativité, c’est-à-dire le pouvoir de négocier avec le principe de l’accord majoritaire, tel qu’il est ici proposé, et le pluralisme syndical. Toutefois, vous voyez sans doute dans ce dernier l’origine de l’émiettement syndical !
De même, le nouveau statut du délégué syndical m’interpelle : jusqu’à présent, celui-ci était « désigné » par un syndicat, dans la mesure où il est censé représenter cette organisation dans sa totalité, et non la seule section syndicale, ou encore moins les électeurs.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Encore faut-il qu’il possède la légitimité nécessaire !
Mme Annie David. De plus, les dispositions de la seconde partie de votre texte lui promettent des négociations difficiles, pour lesquelles il aura bien besoin de tout son temps. S’il doit cumuler la participation à ces discussions avec ses fonctions d’élu, il ne sera plus guère disponible pour le travail en entreprise...
Néanmoins, je comprends tout à fait la volonté des partenaires sociaux d’éviter qu’un délégué ne représente que lui-même : cet argument, avancé par les signataires de la position commune, se vérifie, malheureusement, dans certaines entreprises.
A contrario, la création d’un représentant de section syndicale apparaît comme un nouveau droit accordé aux organisations syndicales. Ce nouvel acteur, distinct du délégué syndical, bénéficierait du statut de salarié protégé et de quatre heures de délégation chaque mois, afin, notamment, de préparer les élections professionnelles. Toutefois, son statut est des plus précaires et le temps qui lui est accordé est bien limité pour qu’il puisse atteindre véritablement ces objectifs. Nous présenterons donc quelques amendements pour remédier à cette difficulté.
Quant au financement du dialogue social, qui fait l’objet de l’article 8 du projet de loi, j’approuve la volonté de le clarifier, mais la rédaction de cette disposition ne nous semble pas tout à fait claire.
Monsieur le ministre, ce texte, qui vise à rénover la démocratie sociale, passe néanmoins sous silence la question du statut, de la formation, de la fin du mandat et du déroulement de carrière de l’élu syndical ; aucune de ses dispositions ne porte sur l’information syndicale des salariés, par exemple en cas de conflit, et il n’ouvre aucun droit nouveau pour l’activité syndicale dans les petites entreprises.
Au final, alors que, selon vos propres termes, ce projet de loi serait « ambitieux » et « historique », sa première partie nous laisse un goût d’inachevé !
Pourtant, le renforcement de la démocratie sociale passe nécessairement par la dévolution aux salariés et à leurs organisations syndicales de nouveaux droits et pouvoirs, qui devraient s’étendre à toutes les décisions essentielles concernant la gestion, le niveau et la qualité de l’emploi, les conditions de travail, les choix industriels et les décisions d’investissement, les opérations stratégiques de rachat, de fusion, de délocalisation ou de cession d’activités. Voilà qui aurait été « ambitieux » et « historique » !
Malheureusement, vous avez pris la rénovation par le petit bout de la lorgnette, en évitant soigneusement tout ce qui pouvait apparaître comme une introduction de la démocratie participative dans l’entreprise, en privant les salariés de leur droit à la parole et à la contestation, en ne permettant pas à leurs représentants de peser véritablement sur les choix stratégiques des entreprises. Alors que, dans de nombreux conflits, ces femmes et ces hommes sont porteurs de projets de substitution, rien dans votre texte ne les renforcera.
Bien sûr, vous vous abritez derrière la position commune adoptée par les syndicats et les organisations patronales, tout en soutenant que celle-ci n’a pas vocation à être transposée dans la loi et en mettant d’ailleurs vos paroles en musique, puisque vous la foulez aux pieds, dans le mépris le plus total des partenaires sociaux.
En effet, la seconde partie de ce texte n’est que l’illustration d’une profonde contradiction entre votre volonté affichée de rendre tout son sens au dialogue social et vos actes qui consistent, au contraire, à museler les partenaires sociaux et à imposer votre idéologie du travail !
Monsieur le ministre, la réduction du temps de travail est un processus historique émancipateur, objet d’un long combat du mouvement ouvrier, et bien que les résultats du passage aux 35 heures soient contrastés, elle n’en reste pas moins un instrument important de la lutte contre le chômage et de l’amélioration des conditions de vie.
Ainsi, qu’il s’agisse de l’INSEE ou du MEDEF, chacun reconnaît que « le processus de RTT a conduit [...] à un rapide enrichissement de la croissance en emplois [...] et ceci, sans déséquilibre financier apparent pour les entreprises ».
En outre, selon une étude de la DARES, la direction des études du ministère de l’emploi, qui date de 2005, quelque 60 % des parents de jeunes enfants déclarent que la réduction du temps de travail leur a permis de mieux concilier vie familiale et activité professionnelle.
Je vous rappelle, monsieur le ministre, qu’à l’instar de la productivité du travail le dynamisme démographique est un facteur de la croissance économique potentielle ! Or, pour relancer celle-ci, qui se trouve au plus bas après la mise en œuvre, ces dernières années, d’une politique de relance par l’offre, vous persistez dans cette voie, arguant que nos concitoyens seraient moins productifs que leurs homologues d’autres pays dits « développés » et qu’il faudrait donc « réhabiliter le travail » ! Où est la réhabilitation du travail lorsque n’importe quel emploi précaire ou saisonnier va devenir une offre raisonnable d’emploi, que l’on devra accepter sous peine de subir une réduction considérable de ses allocations de chômage ?
Contrairement à l’idée que vous souhaitez véhiculer, selon laquelle les salariés français seraient moins productifs que ceux des autres pays, le rapport du Bureau international du travail de septembre 2007 indique que la France affiche l’un des taux de productivité du travail les plus élevés au monde, puisqu’elle arrive juste derrière les États-Unis et la Norvège, qui se trouve en tête dans ce domaine.
Aussi, pourquoi vouloir rendre plus facile le recours aux heures supplémentaires, en supprimant au passage l’autorisation de l’inspecteur du travail, alors que, aujourd’hui, malgré un plafond qui s’établit à 220 heures, seules 54 % des entreprises y ont recours, ce qui représente, en moyenne et par salarié, 5,9 heures supplémentaires dans le mois ? Vous le voyez, monsieur le ministre, une nouvelle augmentation du contingent d’heures supplémentaires, pour le porter jusqu’à 405 heures par an, n’est pas à ce point « vitale » pour nos entreprises, tant s’en faut !
Pourtant, vous allez encore plus loin dans la déréglementation du temps de travail en portant atteinte au repos compensateur, inscrit dans le marbre de la loi en 1976 et qui était jusque-là obligatoire car il protège la santé et la sécurité des travailleurs. Monsieur le ministre, vous qui affirmez vous soucier de la santé des salariés, vous devriez être plus attentif au repos compensateur !
M. Guy Fischer. C’est le dernier de ses soucis !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il préfère chasser les « feignants » !
Mme Annie David. Ce texte intègre désormais le repos compensateur dans la négociation, alors que ce droit, d’utilité publique, se trouve reconnu par le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.
Quant aux forfaits jours, qui concernent surtout les cadres, ils seront étendus aux salariés dits « autonomes », une notion qui reste à définir et qui recouvre nombre de personnes, dont la durée de travail ne peut être prédéterminée.
Alors que le texte initial ne prévoyait pas de plafond, instituant, de fait, une durée travaillée annuelle de 282 jours, l’Assemblée nationale a dû en fixer un par défaut de 235 jours, hors accord collectif, tout en laissant à la négociation la possibilité d’aller au-delà. Il s’agit d’une régression sociale majeure, car cette disposition revient à ôter des journées travaillées les samedis et les dimanches, le 1er mai et les seules cinq semaines de congés, en supprimant les journées de réduction du temps de travail.
M. Xavier Bertrand, ministre. Le plafond est à 282 jours !
Mme Annie David. Monsieur le ministre, cessez d’affirmer qu’il n’existe pas actuellement de limite à la durée annuelle du travail : l’article L. 3121-45 du code du travail, dont j’ai le texte sous les yeux, prévoit explicitement que le nombre de journées travaillées « ne peut dépasser le plafond de 218 jours » !
M. Xavier Bertrand, ministre. Et qu’est-ce qui vient après ? Lisez l’article jusqu’au bout !
Mme Annie David. Dans le même esprit, le forfait heures n’est rien d’autre que l’unification par le bas des dispositifs d’aménagement du temps de travail, tels que la modulation, l’annualisation, le temps partiel modulé ou le travail par cycle ou posté, avec un pouvoir de décision unilatéral de l’employeur en matière d’organisation de l’activité.
Cette évolution s’accomplira, notamment, au travers de l’article L. 3122-3 du code du travail et de la possibilité laissée aux employeurs de retenir la limite haute de 48 heures de travail au cours de certaines semaines, auquel cas les salariés concernés n’auront plus droit à aucune heure supplémentaire. Certes, dans votre texte, la durée légale du travail reste fixée à 35 heures, mais cette disposition est vide de sens.
Enfin, en posant la supériorité des accords d’entreprise sur les accords de branche, vous mettez à mal le principe de faveur ou de la hiérarchie des normes, qui assurait un socle d’égalité des droits des salariés.
Outre ses conséquences sur les conditions de vie et de travail, sur la santé et la sécurité, sur le pouvoir d’achat, cette seconde partie du projet de loi, en instaurant un principe de défaveur, introduit un nouvel élément dans la course à la compétitivité au sein d’une même branche. Elle favorise du même coup le dumping social par le chantage sur le temps de travail et l’intensification de l’activité, puisque la négociation d’entreprise s’effectuera toujours sous la contrainte des accords socialement les plus défavorables !
En outre, vous institutionnalisez l’individualisation des relations sociales, le « gré à gré », au détriment de la loi, pourtant protectrice.
Force est de le constater, l’objectif visé ici est la recherche du seul intérêt de l’entreprise, censé correspondre à l’intérêt général. On retrouve, dans ce raisonnement, le modèle économique de la « main invisible » d’Adam Smith, fondé sur l’idée que la poursuite de l’intérêt individuel conduit à la réalisation de l’intérêt général.
Toutefois, l’histoire, depuis plus de deux siècles, nous a enseigné que c’était le contraire qui était vrai : ce sont les progrès sociaux, acquis à travers les luttes, qui créent une société viable, parce qu’ils sont partagés par une grande partie de la population ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Jean Desessard. Absolument !
Mme Annie David. Monsieur le ministre, cette idéologie d’un autre temps, d’un autre âge, n’a plus de sens aujourd’hui !
Pour relancer véritablement la croissance économique, remplir les carnets de commandes de nos entreprises et augmenter le revenu réel par habitant, donc le pouvoir d’achat, la panacée n’est donc pas, comme chacun peut le mesurer quotidiennement, de « travailler plus », mais plutôt d’élever le taux d’emploi, tout en réalisant des gains supplémentaires de productivité.
Dans cette perspective, les leviers à actionner sont la promotion de l’emploi des jeunes et des femmes, ainsi que l’investissement dans l’innovation et dans la formation des salariés, qui constituent les principaux facteurs d’augmentation de la productivité. Il s’agit aussi d’augmenter les minima sociaux et de revaloriser les bas salaires, dont les bénéficiaires concourent, par leur propension à consommer plus élevée, à soutenir la croissance !
C’est, en somme, toute la question de la redistribution des richesses créées dans notre pays qui se trouve aujourd’hui posée.