Monsieur le Président,
Monsieur la Ministre,
Mes chers Collègues,
Une fois encore, vous récidivez. Vous m’obligez à m’élever contre vos méthodes. Ce fut le cas lors de l’examen du projet de loi bioéthique, et c’est le cas aujourd’hui, avec une proposition de loi sortie du chapeau de nos collègues présidents de conseils généraux.
Une inscription tardive à l’ordre du jour du Sénat. La saisine qui n’en n’est pas vraiment une d’ailleurs de la commission des finances pour avis qui ne se traduit même pas par la présentation d’un rapport alors qu’en 2001, lors de l’examen de la loi instaurant l’APA, la dite commission avait pris en charge la question du financement. Proposant à l’occasion des amendements équilibrant davantage la participation de l’Etat et celle des départements mais également maintenant la récupération sur succession.
Bref, beaucoup de précipitation pour démanteler l’APA et trouver une solution aux difficultés financières des Conseils généraux.
Ma collègue Michelle Demessine reviendra tout à l’heure sur les conséquences de ces méthodes de travail à l’égard de choix de société aussi fondamentaux.
Je tenais toutefois, dès à présent à vous faire part une nouvelle fois du profond mécontentement du groupe "Communiste, Républicain et Citoyen".
Est-il besoin de rappeler que l’APA a été unanimement saluée lors de sa mise en place, en remplacement de la PSD, au 1er janvier 2002.
En tout premier lieu, c’est sa vocation universelle qui a constitué la différence fondamentale. C’était enfin le droit à une prise en charge adaptée, individualisée par le biais d’un plan d’aide mais selon un barème national. Le relèvement significatif du montant de l’aide pouvait désormais couvrir les dépenses autres que de personnel (téléalarme, aménagement du logement…). L’abandon du recours sur succession, la suppression du plafond de ressources et l’intégration au dispositif des personnes moyennement dépendantes - classées en GIR 4 - ont également contribué à élargir le nombre de bénéficiaires, de 135 000 à 800 000 personnes.
Cette réforme a indiscutablement permis de rompre l’isolement d’un grand nombre de personnes, en mettant en lumière des besoins réels, énormes de prise en charge, ignorés jusqu’ici dans leur dimension.
Il ne faut donc pas s’étonner ce de que la montée en charge du dispositif se soit faite beaucoup plus rapidement que prévu. En conséquence, les crédits inscrits pour financer l’APA se sont révélés insuffisants, plaçant certains département - il faut le reconnaître - dans des situations financières difficiles.
Mettant en avant le surcoût de 1,2 milliards d’euros, le gouvernement en concertation avec les seuls conseils généraux à fait le choix de réduire les dépenses, quitte à dénaturer, voire à remettre entièrement en cause les principes qui ont présidé à la création de l’APA.
Ainsi, par la proposition de loi qui nous est présentée, vous poursuivez méthodiquement votre plan de démantèlement de l’APA, dans la droite ligne du décret qui vise à porter de 5 % à 12 % environ la participation des personnes âgées maintenues à domicile.
Un mot tout d’abord sur ce décret : en abaissant le plafond de ressources pour l’application du ticket modérateur de 935 à 623 euros, le gouvernement considère qu’une personne vivant juste au-dessus du seuil de pauvreté doit "partager l’effort" de financement de l’APA - comme le dit joliment le communiqué de presse de la commission des affaires sociales, avec l’Etat et les conseils généraux ? Belle conception de la solidarité nationale que vous avez là !
Aujourd’hui, vous proposez, par l’article 1, de repousser l’ouverture des droits - actuellement au dépôt du dossier complet - à la notification de la décision d’attribution par le président du Conseil général.
Les personnes âgées qui attendent leur aide, leurs familles et leurs associations apprécieront le cynisme avec lequel vous justifiez ce recul. Je ne puis résister à vous citer lorsque vous affirmez que "… la conjugaison pratique des deux principes de rétroactivité et d’effectivité suscite des incompréhensions de la part des usagers…". Dites donc carrément que vous économisez entre deux et six mois d’allocation sur chaque bénéficiaire. Vous auriez au moins le mérite de la clarté !
Les articles 2 et 3 visent en renforcer le contrôle d’effectivité de l’aide.
Considérant que le code de l’action sociale et des familles prévoit déjà des modalités de contrôle, constatant que vous recherchez encore de petites économies sur des personnes fragiles, modestes, par d’inutiles et méprisables tracasseries administratives, nous déposerons des amendements de suppression sur ces articles, de la même façon que pour l’article premier.
L’article 4 autorisant le recours à l’emprunt du Fonds de financement de l’APA, ne nous satisfait pas non plus. Vous y préconisez une "fausse solution", alors que vous n’avez cessé de reprocher au gouvernement précédent son absence de prévision de financement sur le long terme.
En attribuant 400 millions d’euros de ressources supplémentaires à ce fonds, vous permettez, certes, de faire face aux besoins des départements pour 2003, bien que la formulation on ne peut plus vague et le renvoi à un décret ne permettent pas de savoir selon quels critères les départements seront éligibles à ce concours financier exceptionnel. Mais vous ne proposez aucune solution pérenne pour financer l’allocation !
L’unique initiative de la commission des affaires sociales consistant à préciser que la charge et le remboursement de l’emprunt souscrit par le FFAPA soient assurés par la prochaine loi de finances ne change pas fondamentalement le problème.
Concernant l’approche générale de la prise en charge de la perte d’autonomie,vous êtes, Messieurs, en pleine contradiction, c’est ce qui arrive forcément lorsqu’on multiplie les promesses, les effets d’annonce… et que l’on fait le contraire.
Monsieur Mercier, pouvez-vous m’expliquer comment, vous qui avez - par deux fois - pris des mesures dans notre département pour corriger les effets inégalitaires de la PSD, vous étiez dans une premier temps annoncé comme signataire d’une proposition de loi qui nous ramène de fait à cette prestation injuste ?
Monsieur le Secrétaire d’Etat aux personnes âgées, pouvez-vous m’expliquer que vous puissiez, dans le même temps, créer un comité de vigilance sur la maltraitance à l’encontre des personnes âgées et accepter qu’on leur fasse subir les conséquences d’un tel retour en arrière ?
Je voudrais évoquer également la suppression parfaitement arbitraire des crédits - que nous avions pourtant votés dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 - destinés à favoriser la signature des conventions tripartites avec les établissements et à l’amélioration des conditions d’hébergement et de soins des personnes âgées. Car tout se tient en la matière. La suppression de ces 183 millions d’euros est un mauvais coup, non seulement pour les personnes accueillies en établissement mais pour les responsables d’établissements et les personnels, qui s’étaient pour la plupart investis dans une démarche qualité qui allait s’accompagner d’embauches ; 70 000 emplois au total auraient pu être créés.
Les personnes qui n’auront plus les moyens de rester à leur domicile avec une APA convenable, viendront intégrer des établissements sous-dotés, en manque de personnel… Or, la première des maltraitance, n’est-ce pas la "non traitance" par manque de moyens ??
J’ai l’habitude de vous provoquer. Vous le savez. Mais là, je n’ai pas le cœur à rire. Je suis profondément révolté et ce n’est pas de la caricature que de dire que vous portez la responsabilité de prendre "dans la poche des personnes âgées dépendantes" les 500 millions d’euros d’allègement de l’ISF que vous venez de faire voter à l’Assemblée nationale.
Nous vivons une journée noire pour l’APA.
Alors, à quand la récupération sur succession au premier franc ? Cela ne devrait pas vous faire reculer. A quand l’exclusion de l’APA des GIR 4, qui devront recommencer à se débrouiller comme ils le peuvent, avec un début de perte d’autonomie, avec une maladie d’Alzheimer qui laisse l’entourage impuissant ? Je ne parlerai pas du manque criant d’établissements.
Votre politique à courte vue remet en cause toute politique de prévention, source d’économies pour la sécurité sociale.
Nous avons auditionné les organisations de personnes âgées, les directeurs d’établissements, les services d’aide à domicile… J’ai rencontré des retraités à revenus modestes, devant assumer la charge des deux parents en établissement, avec une APA dérisoire, sans compter les frais de transports hebdomadaires pour aller les visiter à 100 km, voire beaucoup plus. Ces personnes qui n’y arrivaient déjà pas, imaginez-vous les tourments qu’elles vont endurer après votre réforme ? Lorsque les parents possédaient un petit pécule ou un appartement, ils vont s’en servir et ce sera vite englouti par les prix de journée. Et après ?
J’ai rencontré des femmes seules qui avaient dû s’arrêter de travailler pour prendre un parent dépendant à leur domicile faute de place adaptée en établissement. J’ai vu beaucoup de misère s’exprimer dans mon bureau de Vénissieux…
Aussi, je pense que cette scélérate réforme de l’APA, qui n’est qu’une première étape vers une privatisation du risque, ajoutée à une situation déjà marquée par le manque de moyens humains et financiers, va conduire très rapidement à une situation de non-retour, de désespoir pour les personnes âgées et leurs familles.
Voilà ce que je tenais à vous dire. Nous ferons quant à nous, au cours de ce débat, des propositions constructives et raisonnables pour améliorer et financer une allocation universelle indispensable pour assurer à nos anciens une vie quotidienne digne et sereine à laquelle ils ont droit.