Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier Marcel-Pierre Cléach, dont le rapport comme l’intervention sont d’une extrême qualité, même si nous ne sommes pas d’accord sur la conclusion.
Avec la présentation des conclusions de la commission mixte paritaire, nous achevons l’examen du projet de loi relatif à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, au terme d’un parcours commun de près de dix ans entre les associations concernées et plusieurs parlementaires, unis par une volonté commune.
Le groupe CRC-SPG est cependant profondément déçu de voir un texte qui avait suscité tant d’espoirs rester en quelque sorte « au milieu du gué ».
Certes, ainsi que l’ont relevé nombre de nos collègues, dans cette enceinte comme à l’Assemblée nationale, ce texte a le mérite d’exister et d’inverser la charge de la preuve.
À cet égard, je voudrais souligner une fois encore qu’il ne doit pas son existence au fait que le Gouvernement aurait soudain décidé d’assumer sa responsabilité vis-à-vis des souffrances endurées par les 150 000 travailleurs civils et militaires présents sur les sites d’expérimentation du Sahara et de la Polynésie française.
Il est le fruit de la mobilisation des associations de victimes, des parlementaires, des personnalités qui, des années durant, ont dénoncé le déni et exigé un droit à réparation. Je suis bien placé pour en parler puisqu’une des principales associations à s’être battues pour qu’il en soit ainsi, l’association des vétérans des essais nucléaires, a été créée à Lyon, donc dans mon département, par le docteur Valatx.
Au terme des débats en séance et en commission, nous mesurons malheureusement combien les légitimes aspirations des victimes et de leurs familles sont imparfaitement satisfaites.
Le Gouvernement a en effet rejeté toutes les améliorations que les différents groupes parlementaires avaient proposées afin de prendre réellement en considération les attentes qui s’exprimaient.
Ainsi, vous avez refusé de créer un fonds d’indemnisation spécifique et autonome, au sein duquel siégeraient les associations représentatives, tel qu’il en existe pour les victimes de l’amiante et des autres maladies professionnelles.
Vous avez refusé l’indemnisation des ayants droit des victimes.
Vous avez refusé la création d’un dispositif de retraite anticipée.
Vous avez refusé l’extension des zones géographiques.
Vous avez refusé de prendre en considération les souffrances des populations polynésienne et saharienne et les dommages environnementaux...
Alors, oui, je ne crains pas de réaffirmer que nous avons affaire à un projet de loi a minima !
Vous avez même atténué la portée des dispositions qui étaient supposées constituer des avancées que nos assemblées avaient apportées.
Ainsi, avec l’article 4, vous vous êtes donné les moyens de rejeter des dossiers en introduisant la notion de « risque négligeable » dans l’article même qui instaure une présomption de causalité. Il fallait le faire !
Ce texte ne comporte aucun alinéa, aucun mot qui n’ait été soigneusement pesé pour indemniser le moins de personnes possible et limiter les recours.
J’en viens aux travaux de la commission mixte paritaire.
Notre rapporteur, dont je salue une nouvelle fois le travail, a lui-même précisé qu’aucun désaccord de fond ne subsistait entre les deux assemblées ; autrement dit, il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il en sorte des changements.
Cette CMP a affectivement, sans surprise, procédé à des modifications rédactionnelles, mais, là encore, tout a été bien « verrouillé ».
On trouve un exemple de ce verrouillage dans le remplacement à l’article 4 du mot : « demandeur » par le mot : « intéressé », ce qui, selon moi, exclut d’emblée les veuves ou ayants droit de tout recours !
De la même façon, les discussions ont bien illustré la volonté de la majorité des deux assemblées de laisser au comité d’indemnisation une « liberté d’appréciation » en privilégiant l’examen au cas par cas.
En outre, la CMP a rejeté les propositions visant à étendre le champ de compétence de la commission de suivi aux aspects médicaux et environnementaux.
J’en viens à la question de la liste des affections reconnues.
J’insisterai sur la liste des affections reconnues, car là se trouve une raison majeure de voter contre ce texte.
En l’occurrence, il apparaît clairement qu’on ne peut pas vous faire confiance ! Vous n’êtes pas personnellement en cause, monsieur le secrétaire d’État, car vous n’y êtes pour rien : c’est l’ensemble du Gouvernement que je vise, et il se trouve que c’est vous qui le représentez ici aujourd’hui.
M. Hubert Falco, secrétaire d’État. J’assume !
M. Guy Fischer. La liste des dix-huit maladies qui constituait la base de la négociation se trouve en effet remise en cause à l’issue de la commission mixte paritaire – et cela, évidemment, sur les ordres de Bercy – puisque trois maladies sont retirées de cette liste...
M. Hubert Falco, secrétaire d’État. Rien n’est arrêté !
M. Guy Fischer. C’est vous qui le dites ! Mais nous savons comment les choses se passent, et notre rôle est de défendre les intérêts des vétérans des essais nucléaires.
Je donne volontiers acte à notre rapporteur de l’intégration à cette liste du myélome et du lymphome. Il indiquait, d’ailleurs, lors des travaux de la commission mixte paritaire, reprenant des informations transmises par votre cabinet, monsieur le secrétaire d’État, que le décret inclurait vraisemblablement ces deux cancers.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser votre position ? Cela nous paraît nécessaire au vu des dernières décisions du Gouvernement, auquel on ne peut décidément pas faire confiance.
Je voudrais revenir particulièrement sur les maladies cardiovasculaires. Le regretté président de l’Association des vétérans des essais nucléaires, le docteur Jean Louis Valatx, avait réalisé une analyse des 1 800 questionnaires remplis par les adhérents de l’association. Il s’avère qu’un vétéran sur cinq souffre de maladies cardiovasculaires. Cette analyse est d’ailleurs corroborée par l’UNSCEAR, le comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants, qui reconnaît, dans ses publications les plus récentes, que les effets sanitaires de ces rayonnements portent sur trois catégories de pathologies : les cancers, y compris ceux que vous excluez de votre liste, les maladies cardiovasculaires et les répercussions sur le système immunitaire.
Limiter la liste des maladies radio-induites, comme vous le faites, revient, bien entendu, à limiter le champ de l’indemnisation. C’est inacceptable ! Et la nouvelle décision que vous semblez vouloir prendre – même si vous dites que rien n’est arrêté ! – rétrécira encore le champ de l’indemnisation, dans le seul but de réduire les dépenses, c’est-à-dire la réparation du préjudice subi par les victimes.
En définitive, et c’est le reproche le plus important que l’on peut faire à ce texte, le Gouvernement reste juge et partie, même s’il doit motiver ses décisions de refus ; c’est, sans conteste, le point qui a déterminé le groupe CRC-SPG à voter contre ce projet de loi.
Je veux réaffirmer ce soir notre décision de ne pas accréditer une loi en trompe-l’œil.
Nous aurons l’occasion d’en reparler, car la mobilisation des associations ne doit pas être considérée comme achevée. Elles vont, au contraire, toujours avec notre soutien, s’intéresser de très près aux dossiers de demande d’indemnisation de leurs adhérents, aux contentieux qui ne manqueront pas de voir le jour et, bien sûr, aux décrets qui seront publiés. Elles vont continuer leur combat pour faire évoluer le dispositif de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Elles nous trouveront, comme par le passé, à leurs côtés.
En attendant, nous réitérons notre désaccord complet avec ce projet de loi.