Monsieur le Président,
Monsieur la Ministre,
Mes chers Collègues,
Pour la seconde fois, nous nous saisissons aujourd’hui d’un texte d’initiative parlementaire ambitionnant de réduire la consommation de tabac chez les jeunes, en interdisant la vente de cigarettes aux mineurs de moins de 16 ans.
Je vous rappelle qu’à l’occasion de l’examen en première lecture par le Sénat de la présente proposition de loi, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, n’avaient pu valider le dispositif proposé.
Partageant toutefois l’objectif de ce dernier, qui est d’éviter l’accès précoce des jeunes au tabac, nous nous étions alors interrogés, comme notre rapporteur d’ailleurs, sur le principe même de l’interdiction de vente de tabac aux mineurs, mesures dont l’opportunité et l’efficacité font l’objet d’un vaste débat.
Par ailleurs, si le débat d’idées concernant les politiques à mener pour lutter contre le tabagisme nous paraissait nécessaire, nous avions alors regretté l’approche trop parcellaire de la proposition de loi qui séparait la question des moyens à mettre en œuvre pour prévenir la consommation tabagique des jeunes du reste de la politique de santé publique.
Préférant une intervention plus globale et par conséquent plus cohérente, plus forte des pouvoirs publics dans le cadre du prochain projet de loi de programmation sur la santé, priorisant la prévention et traduisant ainsi une volonté forte de lutter contre le tabac.
Enfin, nous avions alors attiré l’attention du gouvernement sur les limites de l’option répressive choisie, option qui se révèle toujours moins efficace qu’une politique éducative.
En plus de cette réserve touchant au caractère incomplet du dispositif envisagé, nous nous étions également attachés à en dénoncer le caractère inapplicable pour les buralistes notamment.
Le parcours on ne peut plus chaotique de la proposition de loi de notre collègue Joly qui, après avoir été modifiée substantiellement par le Sénat, ce dernier ayant retenu l’âge de 16 ans et non celui de la majorité légale et voté la suppression du remboursement des substituts nicotiniques, s’est vue rejetée dès le stade de la commission de l’Assemblée nationale, en raison principalement de ses sanctions disproportionnées et particulièrement pénalisantes pour les buralistes, vient confirmer la justesse des objection formulées par la sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen.
Les discussions qui ont quand même eu lieu à l’Assemblée nationale, le gouvernement ayant tout de même choisi d’inscrire la proposition de loi retirée à l’ordre du jour de la session extraordinaire de cet été, ont permis quant à elles de montrer qu’effectivement, le dispositif ciblé sur les jeunes, certes nécessaire, était insuffisamment préparé, trop inabouti et source d’effets pervers.
Les modifications adoptées par les députés, pour beaucoup à la demande du gouvernement, ne changent pas notre appréciation générale sur le texte qui demeure une loi d’affichage - mais peut-être était-ce l’objectif recherché par le gouvernement - stigmatisante pour les consommateurs, les vendeurs, par contre, étrangement silencieuse sur la responsabilité des fabricants.
Le principe de l’interdiction et son pendant, les sanctions, a été reposé.
Alors que pour lutter efficacement contre les dégâts du tabac, dont les maladies liées sont la première cause de mortalité évitable dans les pays développés et tuant 60 000 personnes par an en France, c’est de pédagogie, d’éducation à la santé, dispositions applicables sur le terrain dont l’aide au sevrage tabagique dont tous les acteurs ont besoin.
Vous êtes conscient de cela, Monsieur le Ministre. C’est le sens d’ailleurs des engagements que vous avez pris. Qu’il s’agisse du lancement à l’automne, dans le prochain PLFSS, d’une réforme globale de la fiscalité sur le tabac. Ou de la poursuite du présent débat sur des points particuliers, tel que l’âge, le conditionnement des cigarettes dans des paquets de plus de 20, à l’occasion notamment de votre loi de santé publique.
Favorable à la mesure d’interdiction de la vente aux mineurs - qui revient à pénaliser un comportement qui n’a rien de criminel, pour des « arguments contestables » comme le montre une étude du Credes de mai 2002, tels que le risque sanitaire, les coûts de santé, alors que seule la dépendance engendrée pour le consommateur peut légitimer l’action publique, en l’occurrence une action particulière en direction des jeunes - vous reconnaissez cependant, Monsieur le Ministre, je vous cite, « d’après les expériences d’autres pays, qu’il ne s’agit pas d’une mesure miracle, qu’elle doit trouver tout son sens au sein d’un programme large, axé sur la population générale et non sur les mineurs uniquement, comprenant des actions d’information mais aussi de réglementation et d’aide à l’arrêt du tabac ».
Pourquoi alors, avoir anticipé ce débat nécessairement plus global sur le dispositif de lutte contre le tabac ?
Notre rapporteur nous a donné un premier élément de réponse qui me renforce à penser que vous agissez aujourd’hui pour de mauvaises raisons.
Commentant dans son rapport les dispositions fiscales ajoutées à l’Assemblée nationale, Monsieur le Rapporteur, remarque « que des éléments conjoncturels ont conduit à élargir l’objet de la proposition de loi » dont « l’écart constaté entre les prévisions de recettes liées au tabac, faites à l’occasion du PLFSS pour 2003, et les résultats connus à la fin du premier semestre 2003 ».
Même si le prix des cigarettes n’est pas la première raison évoquée par les anciens fumeurs, le fait quand même que 10,3% de ces derniers motivent ainsi l’arrêt du tabac, doit effectivement nous pousser à réfléchir à la hausse des taxes, comme un instrument de notre action.
Doit-on pour autant avaliser la présence de mesures fiscales relatives au tabac : l’augmentation tant des droits fixes que des droits proportionnels ; dans un autre texte que la loi de financement de la sécurité sociale ? Nous ne le pensons pas.
D’autant qu’aucune garantie n’est donnée quant à l’utilisation de ces recettes pour financer notamment l’amélioration de l’accès aux substituts nicotiniques, l’amendement des députés communistes déposé en ce sens ayant été rejeté.
Vous nous dites par ailleurs, Monsieur le Ministre, vouloir privilégier
- l’application effective de la prohibition du tabac dans les lieux publics, sur les lieux de travail ;
- l’information sur les méfaits du tabac ;
- l’aide aux fumeurs qui désirent s’arrêter de fumer.
Soit, mais à aucun moment vous ne prenez la peine de préciser les moyens financiers dont votre Ministère disposera pour augmenter le nombre de consultations anti-tabac dans les départements, mieux impliquer les médecins généralistes, les infirmières scolaires…
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, pas plus qu’hier nous ne pouvons nous associer aujourd’hui à ce texte tel que modifié par l’Assemblée nationale.
Les 32 000 buralistes inquiets pour leur activité ont certes obtenu d’être moins sévèrement pénalisés et un rapport du gouvernement sur d’éventuelles compensations (alignement des commerçants sur le régime du droit commun en matière de taxe professionnelle).
Il reste que la vision étroitement répressive de ce dispositif, qui ne s’accompagne pas de mesures de prévention en direction des jeunes, l’absence de dimension européenne et mondiale du sujet, déséquilibre ce dernier, le vide de son intérêt.
Nous sommes conscients de la réalité, des tendances à la hausse des initiés à l’âge de 15 ans (59% en 1994 contre 65,5% en 1998), de l’augmentation significative de la prévalence tabagique des filles. De l’importance de dissuader les jeunes de s’initier au tabac, de notre responsabilité pour changer l’approbation sociale vis-à-vis du tabac et contraindre l’industrie du tabac à ne plus contourner la législation en matière de publicité.
Nous pensons qu’il convient d’inclure les dispositions spécifiques aux jeunes dans la grande loi de santé publique, que vous nous présenterez à l’automne.
En conséquence, dans l’immédiat, nous nous abstiendrons.