Comment accepter la casse programmée de l’Association pour la formation professionnelle des adultes ?

Formation professionnelle : question préalable

Publié le 21 septembre 2009 à 11:55 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, présenter une motion tendant à opposer la question préalable sur ce projet de loi pourrait sembler un exercice difficile,…

M. Paul Blanc. En effet !

M. Guy Fischer. … au regard non seulement du fait que celui-ci se fonde partiellement sur l’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009, mais également des exigences légitimes des salariés de notre pays, qui souhaitent bénéficier de formations, particulièrement en période de crise.

Mais, en réalité, mes collègues Annie David et Brigitte Gonthier-Maurin l’ont déjà souligné au cours de la discussion générale, ce projet de loi ne sera pas de nature à apporter durablement les solutions dont les salariés de notre pays ont besoin en termes de formation et de sécurisation des parcours professionnels.

En effet, ce projet de loi, qui privilégie la seule formation tournée vers l’emploi ou, plus précisément, vers les besoins des entreprises, n’est et ne sera, au final, qu’un outil supplémentaire dans votre arsenal de traitement social du chômage. Il s’agit pour vous, monsieur le secrétaire d’État, de poursuivre le chemin tracé à l’échelon européen par la Commission européenne, qui prévoit, dans son Livre vert intitulé « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du xxie siècle », de substituer progressivement aux protections collectives des salariés, principalement inscrites en droit français dans notre code du travail, une nouvelle conception, celle de « flexsécurité », associant sécurité des salariés et satisfaction des attentes des employeurs en termes de flexibilité ou de mobilité.

Or, en réalité, ce sont bien les deux inconvénients de chacun des systèmes que vous entendez imposer aux salariés de notre pays, comme nous l’avions déjà dénoncé à l’occasion de l’examen, par le Sénat, du texte fallacieusement intitulé « projet de loi relatif aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi ».

D’ailleurs, si l’on peut se féliciter du fait que la formation professionnelle des salariés privés d’emploi fasse, pour la première fois, l’objet d’un accord entre partenaires sociaux, nous ne pouvons accepter que le Gouvernement en prenne prétexte pour se désengager financièrement et ne plus assumer les obligations, relevant de la politique de l’État en matière d’emploi, qui sont les siennes, ou faire peser sur les demandeurs d’emploi de nouvelles et importantes pressions, comme avec le dispositif de « préparation opérationnelle à l’emploi », afin de les contraindre à accepter des formations très ciblées, tout en permettant aux entreprises de bénéficier de formations qui leur sont exclusivement destinées et présentent en outre l’avantage d’être financées par la collectivité.

À vos yeux, la formation professionnelle n’a d’intérêt que lorsqu’elle profite directement aux seuls employeurs et favorise la nécessaire adaptabilité des salariés aux mutations économiques. Telle n’est pas notre conception : nous considérons que la formation est un outil qui doit relever d’une logique « gagnant-gagnant », plaçant le salarié, et non l’entreprise, au cœur du système.

Monsieur le secrétaire d’État, les salariés qui bénéficient du DIF, le droit individuel à la formation, lequel repose également sur une obligation légale de financement, ne sont pas des irresponsables. Ils optent souvent pour des formations qui s’inscrivent dans leur parcours professionnel ou dans celui vers lequel ils voudraient se diriger. Lorsqu’ils optent parfois pour une formation plus personnelle, ils le font en pleine conscience, s’y consacrant en dehors de leur temps de travail.

Oui, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous considérons que le droit individuel à la formation, qui doit être prioritairement un levier pour l’accès à la gestion prévisionnelle des emplois et des carrières, doit également permettre aux salariés de notre pays, de plus en plus contraints par des rythmes de travail insoutenables et soumis au stress et aux pressions diverses, de bénéficier d’un temps de formation qui leur permette de s’épanouir pleinement, non plus seulement en tant que salariés, mais en tant qu’individus et citoyens.

Mme Annie David. C’est là toute la différence !

M. Guy Fischer. Nous sommes convaincus que cela participe aussi de l’équilibre et de la réussite des entreprises de notre pays. Or, monsieur le secrétaire d’État, en commission, vous avez tenté, lors de l’examen des amendements relatifs à l’article 4, de faire croire que l’émergence d’une véritable portabilité du DIF aurait pour conséquence de déstabiliser financièrement les entreprises de notre pays.

Pour ce faire, vous avez eu recours à des mots forts, n’hésitant pas à dire que nous nous attaquions à l’un des piliers de l’accord interprofessionnel, allant même jusqu’à tenter de démontrer que cette mesure coûterait 10 milliards d’euros aux entreprises. Toutefois, vous avez oublié de préciser qu’il s’agissait non pas du coût de la portabilité, mais de celui du DIF, en supposant d’ailleurs que l’ensemble des salariés de notre pays aient acquis l’intégralité de leurs droits à formation, soit 120 heures, et qu’ils demandent à en bénéficier tous en même temps, ce qui est irréaliste. Cette précision éclairera celles et ceux de nos collègues qui seraient tentés d’accorder du crédit à des déclarations destinées à effrayer et à freiner une évolution souhaitable de la portabilité des droits. Une question est pourtant d’actualité : pourquoi, à ce jour, les entreprises de notre pays n’ont-elles pas provisionné ces sommes ?

Toutefois, au-delà de la seule question du financement du DIF, c’est l’ensemble du financement de la formation professionnelle qui nous inquiète. En effet, celui-ci est assis sur la masse salariale brute des entreprises. La crise systémique qui touche de plein fouet notre pays a entraîné, depuis l’année dernière, une hausse du chômage de 25,6 %, les demandeurs d’emploi de catégorie A étant désormais plus de 2,5 millions. Dans ces conditions, comment dégager des financements suffisants pour assurer le même volume de formation, alors que, parallèlement, la demande de formation s’accroîtra ? Nous pensons, pour notre part, qu’il aurait fallu revoir le mode de financement de la formation professionnelle, en abrogeant, par exemple, les ordonnances Villepin visant à relever le seuil de 10 à 20 salariés. Au lieu de cela, vous instaurez un nouveau seuil.

Nous sommes également convaincus qu’il fallait impérativement renforcer la solidarité nationale, en prévoyant notamment que la convention conclue entre l’État et le Fonds de péréquation et de sécurisation des parcours professionnels devrait clairement préciser les engagements financiers de l’État. Votre rejet de ces dispositions nous fait craindre que vous ne fassiez une nouvelle fois porter aux régions le poids de l’effort de solidarité nationale.

De même, nous regrettons que vous ayez refusé, monsieur le secrétaire d’État, d’inscrire dans le projet de loi une disposition prévue par l’ANI du 7 janvier 2009 et attendue par de nombreux salariés, à savoir la création d’un droit à la formation initiale différée, seule véritable seconde chance pour celles et ceux de nos concitoyens qui sont sortis du système scolaire sans que celui-ci ait accompli à leur égard sa mission majeure, qui est de permettre à chaque jeune de sortir du système scolaire avec au moins un diplôme de cycle supérieur. Mais je ne reprendrai pas ici l’excellente argumentation de mon amie Brigitte Gonthier-Maurin, d’autant que nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de nos débats.

Dans un tel contexte d’explosion des attentes et des besoins, nous ne pouvons accepter que vous procédiez, petit à petit, à la casse de l’AFPA, l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, en commençant par le transfert des personnels.

En effet, le transfert de 75 % des personnels de l’AFPA chargés du conseil et de l’orientation ne sera pas sans conséquences sur l’accomplissement de l’une des missions capitales de celle-ci, à savoir l’ingénierie du titre, les compétences des uns – ceux que vous entendez transférer au Pôle emploi – nourrissant les connaissances des autres. Cette décision s’accompagnera inévitablement d’une diminution des compétences particulières des ingénieurs, dont la lecture de ce projet de loi nous apprend que vous entendez les transférer, par convention directe avec l’État, aux opérateurs privés de placement.

Pourtant, disons-le clairement, rien, pas même les règles européennes, ne justifie ce transfert. Monsieur le secrétaire d’État, si ces dernières vous contraignaient réellement à opérer un tel transfert – mais nous ferons la démonstration que tel n’est pas le cas –, il vous aurait alors appartenu de peser de toutes vos forces pour que la formation professionnelle soit exclue du secteur marchand. En effet, vous ne pouvez pas accompagner toutes les dérégulations et soutenir les plus libéraux à Bruxelles tout en déplorant, en France, une situation dont vos amis et vous êtes responsables !

Pour notre part, nous sommes convaincus que la France n’est tenue, en la matière, par aucune règle européenne, l’éducation et la formation professionnelle demeurant de la compétence exclusive des États en vertu du traité instituant l’Union européenne.

Quant au Conseil de la concurrence, il ne reproche pas à l’État, dans sa décision, de privilégier l’AFPA, y compris par le biais du versement de subventions, mais considère qu’il aurait été nécessaire de reconnaître les missions exercées par cet organisme comme relevant véritablement d’un service public qui aurait pu être organisé sous forme de régie ou de délégation de service public. Vous avez délibérément écarté cette solution, privilégiant le démantèlement de l’AFPA, sans doute pour amoindrir le titre au profit des certifications !

En raison de ce démantèlement de l’AFPA, des attaques portées contre le paritarisme, particulièrement à l’article 9, du refus de renforcer les formations professionnelles durant le temps de travail, congé individuel de formation compris, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui ne pourra être l’outil nécessaire à nos concitoyens.

Depuis 1996, les élus, tant locaux que nationaux, du parti dont je suis membre ont développé des pistes de réflexion en vue de sécuriser l’emploi des salariés. Leurs propositions, excellemment présentées par Mme David, sont à l’opposé de celles qui sont contenues dans le présent projet de loi, et pour cause ! Pour permettre une véritable sécurisation des parcours professionnels, il est selon nous nécessaire de créer des outils permettant de rompre avec l’insécurité permanente propre au marché du travail et avec le libéralisme. En effet, il ne peut y avoir de sécurité, pour les salariés, que dans une société qui décide collectivement de renforcer les droits de celles et de ceux qui les représentent. À quoi bon une sécurisation des parcours professionnels si les employeurs peuvent encore, à leur guise, sans se soucier des intérêts collectifs, fermer des usines et procéder à des licenciements boursiers dont le seul objet est d’accroître la rentabilité d’actions détenues par une minorité de personnes ? C’est pourtant ce que nous vivons aujourd’hui !

Mme Annie David. Oh oui !

M. Guy Fischer. Peut-on parler de sécurisation des parcours professionnels quand les entreprises et les élus de la majorité parlementaire refusent l’émergence d’une responsabilité sociale de l’entreprise et ne permettent pas aux salariés, au travers de leurs représentants, de jouer pleinement leur rôle ? Pour notre part, nous plaidons pour un renforcement des droits des salariés.

Mme Annie David. Tout à fait !

M. Guy Fischer. Ces derniers doivent être étroitement associés aux décisions stratégiques des entreprises. Cela passe, par exemple, par un renforcement des droits des représentants du personnel au sein des instances de direction des établissements, à commencer par le conseil d’administration.

À ce propos, nous relevons un paradoxe : dans un souci de transparence, vous autorisez la participation de personnalités extérieures au conseil d’administration des organismes collecteurs paritaires agréés, mais vous refusez encore de doter les salariés d’un droit de vote au sein du conseil d’administration de leur entreprise.

Comment sécuriser les parcours professionnels quand les gouvernements de droite n’ont de cesse, projet de loi après projet de loi, d’amoindrir les droits des salariés et de les assujettir toujours davantage à des contrats de travail précaires qui n’ont pour seul intérêt que de diminuer le coût du travail ? Contrats à durée déterminée, contrats d’intérim, contrats de professionnalisation pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active, contrats d’insertion : autant de dispositifs qui pèsent sur les salariés, les privent de toute possibilité de se projeter dans le futur et donc de se construire un avenir. L’accumulation de ces facteurs de précarité conduit à fragiliser les salariés, les réduit à survivre à la limite de la pauvreté et rend impossible toute mobilité choisie, tout en permettant d’imposer celle que les marchés exigent.

Aussi proposons-nous, comme pour le contrat première embauche, de transformer progressivement tous les contrats de travail précaires en de véritables contrats de travail à durée indéterminée, ce qui permettrait à chacun de nos compatriotes de construire véritablement sa vie. D’ailleurs, tous les observateurs, à commencer par la Cour des comptes, le reconnaissent : les contrats précaires, parce qu’ils s’accompagnent d’exonérations sociales et fiscales, sont de véritables trappes à bas salaires. La précarité appelle donc la précarité : c’est de cette logique qu’il faut sortir pour que les salariés de notre pays puissent être libres de choisir leur parcours professionnel.

Comment garantir la sécurisation des parcours professionnels quand personne, à l’exception de ceux qui les détiennent, ne connaît réellement l’utilisation des capitaux et les chemins qu’ils suivent ? Nous entendons renforcer le contrôle des entreprises qui bénéficient d’aides publiques.

Comment sécuriser les parcours professionnels et la formation des salariés quand ces derniers ne savent rien de la situation réelle de leur entreprise ? Nous considérons que les plans de formation doivent être décidés en association avec les salariés, car ils sont censés permettre à ceux-ci de s’adapter aux mutations économiques ; cela implique de donner aux intéressés l’ensemble des outils nécessaires pour connaître l’entreprise, la situation du marché du travail ou encore les perspectives économiques.

Comment sécuriser les parcours professionnels et garantir l’efficacité des formations alors que, année après année, on ne cesse de réduire les moyens accordés à l’enseignement public et que, en imposant l’émergence d’un socle commun de connaissances et de compétences, on entend contrecarrer la formation d’un élève citoyen, capable de mobilisation et de révolte ?

Parce que nous ne pouvons nous satisfaire que quelque 120 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ni qualification, nous proposons de rendre la scolarité obligatoire jusqu’à l’âge de 18 ans. Parce que nous ne pouvons accepter qu’un nombre trop important de jeunes échouent à l’université du fait qu’ils sont obligés de cumuler travail et études, nous proposons l’instauration d’une véritable allocation d’autonomie jeunesse.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour nous, c’est d’un tout autre projet de loi qu’ont besoin les salariés. Son élaboration suppose un changement radical, une renonciation à la culture du marché, à la mise en concurrence permanente, à la précarisation !

Mes chers collègues, nous vous invitons à voter en faveur de cette motion tendant à opposer la question préalable. Nous aurions aimé discuter d’un texte permettant de protéger les parcours de vie, mais nous sommes convaincus que ce projet de loi, malgré quelques avancées obtenues en commission et parce que le Gouvernement a contourné certaines dispositions de l’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009, ne permettra en définitive de sécuriser qu’une seule chose : la flexibilité dont les salariés sont victimes !

Guy Fischer

Ancien sénateur du Rhône

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