C’est une image qui tourne pratiquement en boucle à la une des journaux télévisés du soir. Sous l’œil interloqué de Gérard Larcher, le président du Sénat juché sur son perchoir, cinq parlementaires ceints de leurs écharpes tricolores brandissent une banderole sur laquelle on peut lire : « Messieurs Sarkozy et Woerth, écoutez le peuple, retirez votre projet de loi sur les retraites ! » Dans l’hémicycle feutré du Sénat, la scène est pour le moins inattendue. « Nous ne sommes pas dans une cour de récréation », peste Gérard Longuet, le président du groupe UMP. Pour les sénateurs communistes et du Parti de gauche, auteurs de cette action d’éclat, il s’agit simplement d’être « à l’unisson des Français » et de se faire les porte-paroles des millions de manifestants qui défilent contre la réforme du gouvernement. Alors, ce combat vaut bien un calicot ! A gauche, les élus du groupe CRC-SPG donnent ainsi le ton, les socialistes faisant preuve en ce début de discussion d’une étrange discrétion. Heureusement, la visite au Sénat de Martine Aubry les remet dans la lumière des caméras. Entourant la première secrétaire du PS, eux aussi auront droit aux honneurs du JT.
A droite, c’est Eric Woerth qui donne le la. Sans surprise, le ministre du Travail justifie une nouvelle fois la réforme au nom de la nécessité démographique. Devant les sénateurs, il se permet même d’affirmer que « le gouvernement entend les inquiétudes ». Et qu’ « il n’y a pas de débat idéologique : nous l’avons tranché depuis longtemps. La répartition, c’est notre socle commun issu du Conseil national de la résistance » Osé, mais de la part d’un homme qui a déjà menti à plusieurs reprises, faut-il s’en étonner ? De fait, la loi fait référence au pacte social mis en œuvre à la Libération.
« Mais tout au long du texte, vous ne cessez de le remettre en cause, a rétorqué Guy Fischer au ministre, particulièrement avec les mesures concernant l’épargne collective ou de retraite, qui sont le cheval de Troie de la capitalisation dans notre système de répartition. Il faut dire que pour respecter l’esprit de cet article 1A, il aurait fallu, ce dont vous vous gardez bien, que vous reconnaissiez à quel point notre économie est infectée par le virus de la financiarisation. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à le dire. La Commission européenne souligne elle-même le fait que la part des salaires dans la valeur ajoutée a chuté en France de 9,3 % entre 1983 et 2006 – soit l’équivalent de près de 100 milliards d’euros par an qui profitent au capital plutôt qu’au travail – tandis que sur la même période, la part des dividendes versés aux actionnaires grimpait de 3,2 % à 8,5 % du PIB et de 5 % à 25 % de la valeur ajoutée. »
76% des bénéficiaires du minimum vieillesse sont des femmes et leur pension moyenne ne représente que 48% de celle des hommes. Une réalité rappelée ensuite par Isabelle Pasquet.
Du haut de la tribune du Sénat, la sénatrice des Bouches-du-Rhône interpelle à son tour le gouvernement : « Que leur répondez-vous à toutes ces femmes ? Que les retraites ne sont pas le lieu pour compenser les inégalités. Autrement dit, vous ne leur apportez aucune réponse, les laissant vivre avec des pensions notoirement inférieures au seuil de pauvreté. Monsieur le Ministre, permettez-moi de vous dire que nous ne partageons pas votre analyse selon laquelle ces inégalités se résorberaient par elles-mêmes, du simple fait du mouvement démographique. La situation actuelle du marché du travail, marquée par la banalisation des contrats de courte durée ou à temps très partiel pèsera d’autant plus dans la balance que vous rallongez la durée de cotisation. Le passage à 67 ans pour bénéficier d’une retraite sans décote obligera les salariées qui le peuvent à travailler plus et pour les autres à voir le montant de leurs pensions amputées par les décotes. Votre projet est tellement injuste, va tellement accroître les inégalités que même la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations le qualifie de discriminatoire, c’est dire. »
En coulisse, la majorité sénatoriale s’illustre par une manœuvre assez peu glorieuse. Hier soir, à la demande de Nicolas ABOUT, président du groupe Centriste, la discussion de certains amendements a été repoussée à la fin des débats.
Parmi ces propositions que l’UMP et le Nouveau Centre ne veulent pas voir figurer, une dizaine d’amendements du groupe CRC-SPG qui suggéraient de taxer les revenus financiers des entreprises, de mettre un terme au bouclier fiscal, aux parachutes dorés et aux stock options. L’objectif est clair : répartir les richesses autrement pour permettre le financement des retraites et plus largement, de la protection sociale.
« Ces amendements constituent le cœur du débat, rappellent les élus du groupe CRC-SPG : les salariés doivent-ils prendre en charges 85 % d’une réforme des retraites et alors que les revenus du capital seront quasiment exemptés ? L’alternative est là : un autre financement est possible et ce n’est pas aux salariés de payer les pots cassés, d’une crise dont ils ne pas responsables. On l’a bien compris, M. Woerth protégera jusqu’au bout ses amis, ceux de M. Sarkozy, la bien nommée bande du Fouquet’s. Mais ceux qui luttent, ceux qui mobilisent et soutiennent le mouvement contre la réforme peuvent se rassurer : les sénateurs du groupe CRC-SPG imposeront le débat sur le tabou de l’UMP, les amis du patronat et les coffres des banques sont pleins, il faut les ouvrir ! »
Le Fouquet’s, c’est justement là que se donnent rendez-vous à midi les parlementaires communistes et du Parti de Gauche. Députés et sénateurs se retrouvent devant ce haut lieu du sarkozysme, une bonne dose d’ironie en bandoulière : puisque nous ne sommes pas entendus dans l’hémicycle et dans la rue, peut-être aurons-nous ici l’oreille du Président ! Direction ensuite l’Élysée où, accompagnés de Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF, ils déposent plusieurs dizaines de milliers de pétitions demandant le retrait de la réforme gouvernementale.
Retour au Sénat. Levée à 2h20 cette nuit, la séance reprend à 14h30 avec la discussion de la motion référendaire déposée par le groupe socialiste et à laquelle s’est joint le groupe CRC-SPG. Le texte demande le retrait du projet et la consultation des Français. Sauf coup de tonnerre, il sera rejeté par la majorité sénatoriale. Après tout, pourquoi s’embêter à demander l’avis du peuple ?
A suivre…