Ce sont bien deux conceptions du financement de la sécurité sociale qui s’opposent

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 (nouvelle lecture)

Publié le 23 novembre 2011 à 11:16 Mise à jour le 8 avril 2015

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, depuis des semaines, le Gouvernement nous assène le même discours : il combat les déficits !

M. Ronan Kerdraon. Avec courage ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. Dominique Watrin. Ces propos peuvent toujours être répétés comme une antienne, ils n’en sont pas moins faux.

Depuis 2007, en effet, la dette sociale a doublé et le Gouvernement, comme sa majorité, n’ont ni pu ni voulu mettre fin à une situation scandaleuse, qui conduit à confier aux générations futures le soin de résorber la dette.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, dont nous sommes appelés à discuter ce soir, ne fait pas exception. Malgré les mesures correctrices que le Gouvernement apporte, le déficit pour 2012 sera toujours de 15 milliards d’euros et l’équilibre semble être un objectif qui ne sera plus jamais atteint.

Or cette gestion coupable, presque revancharde, dans un monde où les capacités financières, si elles étaient vraiment mises à contribution, permettraient de réduire les déficits existants, fait courir le risque d’un détricotage du programme du Conseil national de la Résistance et d’un affaiblissement de la sécurité sociale.

Cette instabilité quant à l’avenir de notre protection sociale inquiète nos concitoyens. Elle est, par nature, contradictoire avec l’idée même de l’existence d’une protection sociale conçue comme un outil au service des travailleurs, qu’ils soient en activité, retraités ou privés d’emploi.

Ainsi, l’exposé des motifs de l’ordonnance de 1945 portant création de la sécurité sociale précisait : « [La sécurité sociale] répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, de cette incertitude constante qui crée chez eux un sentiment d’infériorité et qui est la base réelle et profonde de la distinction des classes entre les possédants sûrs d’eux-mêmes et de leur avenir et les travailleurs […] ».

Les annonces faites à la presse par François Fillon, alors que nous nous apprêtions à débuter l’examen en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, l’attestent : votre seul souci est de rassurer les marchés financiers et de satisfaire les agences de notation.

Pendant que vos yeux sont braqués sur les marchés, vous ne vous posez aucune des questions pourtant fondamentales.

Si l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, est obligée d’emprunter et que, comme elle le souligne dans la décision qu’elle a rendue le 18 novembre dernier sur les mesures rectificatives que vous lui aviez présentées, elle redoute la volatilité des marchés financiers, c’est que vos politiques successives l’ont contrainte à emprunter.

M. Roland Courteau. Eh oui !

M. Dominique Watrin. Si elle redoute à ce point une évolution des taux d’intérêt, c’est que la politique de sous-financement de la sécurité sociale, que vous menez depuis longtemps, se poursuit encore cette année.

Cet affaiblissement méthodique a rendu l’ACOSS dépendante des marchés financiers, la contraignant même à emprunter pour financer des besoins intra-annuels.

Cette politique vous conduit non seulement à courir encore et toujours derrière la crise, mais aussi, ce qui est pire, à ne prendre aujourd’hui que des mesures d’urgence, non pérennes, insuffisantes et injustes.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Dominique Watrin. Le plan de rigueur sociale qui prend corps dans ce PLFSS, après son deuxième passage à l’Assemblée nationale, n’est qu’un « colosse aux pieds d’argile », suffisamment grand et puissant pour terrifier et frapper les plus faibles, mais trop fragile pour affronter les adversaires de taille que sont les boursicoteurs et les spéculateurs.

M. Roland Courteau. Bien vu !

M. Dominique Watrin. Comme l’indiquait d’ailleurs le journal Le Monde daté du mardi 22 novembre 2011 dans son supplément « Économie », nous avons déjà perdu, de fait, le triple A qui vous sert de justificatif.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Dominique Watrin. Ainsi, selon le journaliste et économiste Adrien de Tricornot, « pour les marchés, la France est déjà dégradée », précisant d’ailleurs que « les taux d’intérêt ont en effet augmenté, l’écart avec l’Allemagne atteignant 1,9 point. Du jamais vu depuis la crise du système monétaire ». (M. Roland du Luart s’exclame.)

M. Alain Milon. Il baisse : c’est 1,75 ce soir !

M. Dominique Watrin. Cette course à la notation est d’ailleurs vaine. Comme le rappelle cet économiste, « les marchés, qui prêtent aux États, ne demandent pas du marketing – un plan de rigueur tous les trois mois –, mais une stratégie durable ».

Cette remarque n’est pas sans nous en rappeler une autre, formulée par la Cour des comptes : la nécessité, pour qui veut réduire les déficits sociaux, de prendre des mesures structurelles.

Démentant le Gouvernement, selon lequel la crise serait responsable des déficits sociaux, la Cour des comptes, dans son dernier rapport sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, précise : « Les facteurs structurels expliquent environ 0,7 point d’un déficit du régime général qui a représenté 1,2 point de PIB en 2010 ».

M. Roland Courteau. C’est clair !

M. Dominique Watrin. Cette situation, que les Sages de la rue Cambon n’hésitent plus à qualifier d’« anomalie », doit cesser. À cette fin, il n’existe qu’une solution : tout faire pour garantir durablement le financement de la sécurité sociale.

Cela passe par des mesures d’économies, en supprimant les niches sociales injustes et inefficaces. Mais vous vous y refusez. Cela passe surtout, contrairement à ce que vous voudriez nous faire croire, par une politique accroissant les ressources de la sécurité sociale.

La réduction des dépenses que vous affichez dans votre discours ne constitue qu’une rustine et les travaux réalisés par le Sénat lors de la première lecture en sont la démonstration.

Par dogmatisme ou par adoubement aux possédants, vous avez, à l’Assemblée nationale, détricoté tout ce que le Sénat avait fait. Comme si nous pouvions nous passer des quelque 5 milliards d’euros de financements nouveaux que la Haute Assemblée avait apportés à la sécurité sociale pour 2012.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Dominique Watrin. Comme si la réduction de plus de 30 % des déficits sociaux, que la nouvelle majorité sénatoriale avait permise, devait s’effacer pour imposer 1,2 milliard d’euros de mesures nouvelles d’austérité aux Français.

Ce n’est d’ailleurs pas une seule question de chiffres qui nous oppose. Nos projets sont différents dans leur nature. Lorsque vous imposez la rigueur, au point d’entraîner la récession, lorsque vous taxez les plus faibles, nous proposons, pour notre part, plus de solidarité et un meilleur partage des richesses.

Madame la ministre, chers collègues de l’opposition sénatoriale, nous avions préconisé, par exemple, de limiter les exonérations de cotisations sociales aux petites entreprises et de les conditionner à celles qui respectent l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Vous vous y êtes opposés, ne nous proposant qu’un rapport sur la question. De ce document, nous n’avons pas besoin, puisque tous ceux qui existent aujourd’hui, à commencer par ceux de la Cour des comptes, le montrent déjà : ces exonérations s’analysent comme des trappes à bas salaires, des subventions à l’emploi précaire et non rémunérateur, qui pénalisent les comptes publics et sociaux en affaiblissant les recettes fiscales et sociales.

Cette année encore, les exonérations de cotisations sociales approcheront les 30 milliards d’euros. La part non compensée, c’est-à-dire la perte sèche pour les comptes sociaux, avoisinera les 2 milliards d’euros.

Si l’État remboursait à la sécurité sociale les dettes qu’il a accumulées à ce titre dans le passé, nous pourrions diviser par deux le déficit de la sécurité sociale prévu pour 2012. (Mmes Laurence Cohen et Catherine Génisson applaudissent.)

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jacky Le Menn. Il ne faut pas rêver…

M. Dominique Watrin. Quant à la part compensée de ces exonérations, elle grève les comptes publics et prive chaque année l’État de plusieurs dizaines de milliards d’euros, qui pourraient être utilisés pour mener une autre politique.

Cessez donc de nous faire croire que ces exonérations permettent de lutter contre les délocalisations dans un contexte économique international tendu. Nous n’avons que trop entendu cet argument. (M. Jacky Le Menn s’exclame.) La Cour des comptes est formelle : dans un rapport publié en 2007, elle fait la démonstration que le secteur de la grande distribution est le principal bénéficiaire de ces exonérations, alors qu’il n’est pas exposé à la concurrence internationale.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Ni aux délocalisations !

M. Dominique Watrin. Nous avions également proposé de taxer les bonus exorbitants perçus par les traders. Ces rémunérations sont scandaleuses par leur montant,…

M. Roland Courteau. En effet !

M. Dominique Watrin. … encore plus si l’on mesure combien ces derniers ont participé à aggraver la crise que nous connaissons actuellement. Malgré celle-ci, les bonus n’ont pas diminué, tant s’en faut, alors que les banques annoncent des coupes sociales : tout continue à fonctionner comme avant.

M. Jacky Le Menn. Comme avant, en effet !

M. Dominique Watrin. Les grandes banques que sont la Société générale, le Crédit agricole et Natixis ont versé, en 2010, à leurs traders des bonus équivalant à ceux de l’année 2009.

M. Roland Courteau. Et voilà !

M. Dominique Watrin. Ainsi, au Crédit agricole, le bonus moyen versé en 2010 a été de 150 000 euros ; il est de 291 000 euros par collaborateur à la BNP.

Sur notre initiative, le Sénat avait également retenu le principe d’une hausse de la contribution sociale due par les bénéficiaires des retraites chapeaux. Compte tenu de l’importance des sommes en jeu et de la nature des bénéficiaires, des cadres dirigeants pour l’essentiel, il était nécessaire et légitime de renforcer les prélèvements sur ces dispositifs. Quoi de plus logique ?

De tout cela, vous n’avez pas voulu ! Aux mesures d’équité, de solidarité, de justice sociale que le Sénat avait retenues, vous avez préféré la poursuite de ce qui s’apparente à une politique de classe.

Les mesures nouvelles, qui devaient initialement trouver leur place dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale et que vous avez finalement introduites dans cette nouvelle mouture du PLFSS, n’ont de nouvelles que le nom.

Elles sont la continuité, dans le sens d’une aggravation, d’une politique conservatrice déjà fortement engagée, avec la mise en place des franchises, des déremboursements, des dépassements d’honoraires, de l’augmentation à répétition du forfait hospitalier.

C’est, par exemple, le cas des mesures contre la fraude sociale. Bien évidemment, vous ne trouverez personne pour considérer que la fraude aux prestations sociales est normale.

Mme Valérie Pécresse, ministre. C’est bien !

M. Dominique Watrin. Mais vous instruisez un faux procès. Oui, il faut sanctionner ceux qui fraudent ! Mais sans perdre de vue, comme le précise le directeur de la Caisse nationale des allocations familiales, que cette fraude est très minoritaire.

C’est pourquoi nous refusons de pointer du doigt une partie de nos concitoyens, tantôt les bénéficiaires du RSA, tantôt les résidents non communautaires ou les fonctionnaires.

M. Jean-Yves Leconte. Les fameux voleurs !

M. Dominique Watrin. La fraude aux prestations, certes scandaleuse, est à relativiser ; elle représenterait moins de 3 milliards d’euros selon la Cour des comptes.

Bien plus importante est la fraude aux prélèvements, c’est-à-dire celle qui est réalisée par les employeurs. Elle coûterait entre 8 et 14 milliards d’euros, dont au moins 80 % seraient imputables au travail dissimulé. Pour autant, sur cette fraude-là, on ne vous entend jamais ! Sans doute est-il plus facile de faire la chasse aux pauvres qu’aux employeurs et aux dirigeants d’entreprises !

M. Jean-Pierre Godefroy. C’est bien dit !

M. Dominique Watrin. Ce sont, d’ailleurs, aujourd’hui les mêmes, les travailleurs, les précaires et les chômeurs qui sont les victimes de ce nouveau plan d’austérité.

Ainsi, votre décision de précipiter la réforme des retraites en accélérant le report de l’âge légal de départ conduira à paupériser des pans entiers de nos concitoyens. Je pense à ceux qui sont déjà partis en préretraite et qui comptaient pouvoir accéder rapidement à la retraite. Ils devront encore patienter quelques mois. Mais je pense, surtout, aux salariés, en activité ou non, les fameux seniors.

On le sait, la majorité des entreprises sont aujourd’hui réticentes à l’idée d’embaucher des salariés de plus de cinquante ans.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Dominique Watrin. C’est une réalité ! Elles les voient comme des freins à la croissance et repousser l’âge de la retraite ne les fera pas changer d’avis. Cela explique sans doute pourquoi seulement 38 % des personnes âgées de cinquante-cinq à soixante-quatre ans sont actives. La contre-réforme des retraites et les mesures nouvelles contenues dans ce PLFSS risquent donc d’accélérer la paupérisation d’une partie des seniors. Les chômeurs de cinquante à soixante ans, au lieu de partir à la retraite, resteront plus longtemps au chômage !

Mme Gisèle Printz. Voilà !

M. Dominique Watrin. Et après le chômage, viendra le temps douloureux des minima sociaux.

Vous vous employez, en effet, à défaire un à un tous les dispositifs de sécurisation des revenus qui existaient jusqu’alors.

Voilà le sort que vous réservez à des milliers de nos concitoyens, pour une mesure qui ne devrait générer que 50 millions d’euros d’économies en 2012 et 1,2 milliard d’euros au plus d’ici à 2015 ! Des économies modestes, insuffisantes pour rétablir les comptes sociaux, mais suffisamment pénalisantes pour les salariés concernés. Cela ne semble pas compter beaucoup pour vous, car, ce qui vous importe, c’est de poursuivre dans la droite ligne de la réforme des retraites initiée en 2010 dont on nous annonçait déjà qu’elle était destinée à rassurer les marchés financiers. La boucle est bouclée !

Je pense également à la réintroduction de la taxe sur les mutuelles complémentaires. Nos concitoyens se souviendront que c’est le même gouvernement qui, après avoir refusé l’augmentation des contributions sociales sur les stock-options, aura aussi décidé d’accroître la taxation sur les mutuelles complémentaires !

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Dominique Watrin. Cette mesure, qui conduira de plus en plus de personnes à renoncer aux soins, constitue, en fait, une nouvelle taxe sur la santé. Vous faites ainsi la preuve d’une réalité que nous ne cessons de dénoncer : il y a deux poids et deux mesures, selon que l’on est riche et puissant ou pauvre et faible !

Quant à la réduction de l’ONDAM de 2,8 % à 2,5 %, nous ne connaissons que trop les conséquences qu’elle aura ! Les deux tiers des CHU sont actuellement en déficit. C’est la conséquence d’une logique comptable, l’application de la T2A et la convergence tarifaire entre le public et le privé.

Avec ces deux mesures, on va tout droit vers la privatisation du système public, oubliant au passage que celui-ci assure des missions particulières et non rentables de service public.

Cette réduction de l’ONDAM entraînera la dégradation de la qualité des soins et la souffrance au travail, alors que des milliers d’emplois ont déjà été supprimés et que de nombreuses structures de proximité ont fermé, aggravant les inégalités territoriales de santé.

Ce sont bien, mes chers collègues, deux conceptions du financement de la sécurité sociale qui s’opposent ici. Il y a, d’un côté, ceux qui, bien que prônant la règle d’or, laissent filer les déficits et font supporter le poids de la crise par les salariés, et, de l’autre, ceux qui veulent réintroduire un peu de justice sociale avec un seul objectif : conserver notre système de protection sociale, dans l’intérêt de toutes et de tous.

Ce PLFSS pour 2012, tel qu’il a été modifié à l’Assemblée nationale sous l’action des députés UMP et du Gouvernement, n’est qu’une traduction du plan de rigueur annoncé par François Fillon le jour même où commençait l’examen de ce texte en première lecture au Sénat.

Nous avons fait, à cette occasion, la démonstration qu’une autre politique était possible. C’est la raison pour laquelle l’adoption de ce PLFSS pour 2012, qui ne prévoit le retour à l’équilibre ni à court terme ni à moyen terme, ne nous paraît pas souhaitable, et ce d’autant moins que vous imposez de nouvelles mesures d’austérité !

Les sénatrices et sénateurs du groupe CRC vous invitent donc à le repousser en votant la motion que vous présentera la présidente de la commission des affaires sociales.

Dominique Watrin

Sénateur du Pas-de-Calais
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