Ce que veulent les salariés, ce sont des augmentations de leur pouvoir d’achat, donc des augmentations de salaires

Prime aux salariés : conclusions de la CMP

Publié le 13 juillet 2011 à 09:23 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, cela ne vous surprendra pas, ayant voté contre ce projet de loi lors de son examen en première lecture, nous voterons de nouveau contre après la réunion de la commission mixte paritaire, dussiez-vous invoquer les fameux « 62 % de sondés » ou qualifier mon intervention de « caricaturale », monsieur le ministre.

En effet, la commission mixte paritaire n’a pas vraiment permis d’aboutir à une véritable répartition des richesses, comme nous l’appelions de nos vœux ; vous-même semblez pourtant y être attaché, monsieur le ministre.

Pour notre part, nous avons été surpris par certaines déclarations que nous avons entendues dans la discussion générale en première lecture.

Ainsi, monsieur le ministre, vous avez affirmé : « Il y a deux ans, au moment où notre pays traversait, comme le reste du monde, une crise d’une ampleur sans précédent, le Président de la République a voulu que s’engage une réflexion pour permettre une meilleure répartition des fruits de l’effort collectif. » Une telle déclaration appelle tout de même quelques observations.

D’abord, vous donnez voix à un rapport qui a été remis au Président de la République le 16 mai 2009 ; vous auriez pu trouver plus récent… Et on peut légitimement se demander pourquoi le Gouvernement a attendu plus de deux ans pour proposer enfin une mesure présentée comme devant renforcer le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Certains l’expliquent par la proximité de l’élection présidentielle… Je vous laisserai le soin de nous répondre sur ce point, monsieur le ministre.

Par ailleurs, ce rapport n’est pas exempt de critiques. En effet, pour justifier toute sa théorie selon laquelle la part des salaires n’aurait pas radicalement diminué dans le partage des richesses, il se fonde évidemment sur le chiffre le moins gênant : la valeur ajoutée au coût des facteurs de production. Cela permet de conclure que la baisse « n’atteindrait que deux à trois points de valeur ajoutée » sur la période étudiée.

Même si nous ne sommes pas d’accord sur le chiffre retenu, nous notons tout de même, à l’instar de Sylvain Lapoix dans un article de Marianne, que : « Trois points de baisse ramenés au PIB français représenteraient la bagatelle de 55 milliards à 60 milliards d’euros en moins pour les salaires. » Et là, on peut dire que c’est une perte sèche pour le pouvoir d’achat des salariés !

En outre, de nombreux économistes s’accordent à dire, à l’image de Michel Husson, que le véritable enjeu est celui de la répartition de la valeur ajoutée entre deux facteurs : les dividendes et les salaires.

Selon des données fournies par l’INSEE, les salaires nets représentaient 45,8 % de la valeur ajoutée en 1980, contre 37,4 % en 2008, soit une perte d’un peu plus de 8 %. Sur la même période, la part de la valeur ajoutée dédiée aux dividendes est passée de 3,1 % à 8,4 %, soit une progression de 5,3 %.

La tendance principale est un transfert des salaires vers les profits équivalant à 8,8 points de valeur ajoutée. Michel Husson précise : « Du côté des profits, la majeure partie de l’augmentation est allée au versement de dividendes. En 1980, les revenus ainsi distribués par les entreprises représentaient 4,2 % de leur masse salariale, et cette proportion est passée à 12,9 % en 2008. Autrement dit, les salariés travaillaient 72 heures par an pour les actionnaires en 1980. En 2008, c’est 189 heures. » Voilà le constat !

Enfin, ce projet de loi ne peut décemment pas être présenté comme étant la conséquence du rapport Cotis. En effet, celui-ci préconisait un partage des richesses en trois tiers : un tiers pour les salariés, un tiers pour les actionnaires et, enfin, un tiers pour l’entreprise. Voilà d’ailleurs qui devrait faire plaisir à notre collègue Serge Dassault, lui qui nous propose cela lors de l’examen de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale…

Bien qu’une telle solution ne nous convienne pas complètement, car elle revient à rémunérer à l’identique travail et spéculation, elle est tout de même plus ambitieuse que la prime exceptionnelle au cœur de ce projet, une mesure unanimement dénoncée par toutes les instances dans lesquelles siègent les organisations syndicales représentatives, et pour cause !

Même si la loi précise que cette prime ne doit pas avoir d’incidence sur les augmentations de salaires, nombreux seront les employeurs qui considéreront avoir déjà satisfait à leurs obligations dans le cadre des négociations annuelles obligatoires ; vous le savez pertinemment, monsieur le ministre.

Pourtant, seules les augmentations de salaires, dès lors qu’elles sont notables, profitent durablement à l’économie, car elles sont réinjectées dans la consommation. Par ailleurs, elles sont à la fois égalitaires, car tous les salariés y ont droit, sécurisées, car il est difficile d’y revenir une fois qu’elles sont acquises, et justes, car le salaire doit rester la rémunération logique du travail que les salariés produisent.

C’est exactement l’inverse des primes, qui, elles, sont flexibles et individuelles et ne sont soumises à aucune cotisation sociale. Elles ne contribuent donc pas à financer ce formidable outil émancipateur qu’est la sécurité sociale, alors que vous annoncez dans le même temps le passage des quarante et une annuités aux quarante et une annuités et demie pour la retraite !

Vous présentez cette mesure comme automatique et technique, en oubliant au passage de préciser que la question principale est celle du financement de la sécurité sociale.

M. Alain Gournac. C’est dans la loi !

Mme Annie David. Les Français payent le prix de la multiplication des mesures d’exonérations et d’exemptions de cotisations sociales. Non content de ne pas vous attaquer résolument aux niches sociales, que la Cour des comptes dénonce comme étant les principales responsables du déficit de la sécurité sociale, vous en créez une nouvelle aujourd’hui.

Vous créez aujourd’hui une prime qui ne devrait pas dépasser les 700 euros et qui devrait ne concerner que 4 millions de salariés au maximum, mais que tous nos concitoyennes et concitoyens subiront.

Cela ne peut décemment pas s’appeler du partage de la richesse. En l’occurrence, 20 millions de salariés seront oubliés ; les retraités ou bénéficiaires de minima sociaux ne pourront rien espérer. Quant aux fonctionnaires, ils sont soumis depuis deux ans à un strict gel des salaires, c’est-à-dire à une baisse importante de leur pouvoir d’achat compte tenu de l’inflation.

Ce que veulent les salariés, et on les comprend, ce sont des augmentations de leur pouvoir d’achat, donc des augmentations de salaires. En 2010, le salaire mensuel de base a progressé en moyenne de 1,8 %. Mais, en tenant compte de l’inflation, la hausse n’aura été que de 0,3 %.

D’ailleurs, à l’occasion de l’adoption récente d’une proposition de loi relative à l’apprentissage par le Parlement, la majorité a adopté, avec votre soutien, une disposition permettant aux employeurs qui le souhaitent de proposer en lieu et place des heures supplémentaires une modification temporaire du contrat de travail d’un temps partiel à un temps plein.

Là encore, une telle mesure prend les apparences d’une fausse générosité. Bien entendu, les salariés seront ravis de pouvoir un temps bénéficier d’un temps plein. Mais que l’on ne s’y trompe pas : il s’agit là d’une mesure temporaire. Une fois les besoins passés, les salariés retourneront à leur précarité. Ceux qui ont le plus à y gagner, ce sont naturellement les employeurs, qui pourront ainsi se dispenser de la majoration de 25% applicable aux heures complémentaires. Mais, surtout, cela porte un mauvais coup à notre droit du travail, dans la mesure où la jurisprudence se fonde de manière constante sur la généralisation des heures complémentaires pour requalifier ces contrats à temps partiel en contrats à temps plein, une requalification qui, contrairement à votre mesure, est définitive.

Nous exigeons donc que les salaires, les traitements et les pensions soient augmentés. Les dépenses consécutives à une telle mesure profiteront naturellement aux salariés, mais aussi – faut-il le préciser ? – aux comptes sociaux.

Nous considérons également qu’il est grand temps d’ouvrir de nouveau le chantier d’un juste financement de la sécurité sociale. À l’occasion de l’examen de ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2011, le groupe CRC-SPG avait proposé par voie d’amendements des solutions rapides, concrètes et crédibles. Le rapporteur s’y est systématiquement opposé, renvoyant le débat au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Quant à vous, monsieur le ministre, vous avez refusé le débat en vous contentant, de manière quasi systématique, d’une réponse lapidaire : « défavorable ».

Or nous proposions de cesser progressivement les exonérations de cotisations sociales. Selon M. Vasselle, le rythme que nous proposions était trop rapide. Nous en tiendrons compte pour le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, afin que la majorité UMP du Sénat ne puisse pas s’abriter derrière un tel argument.

Pour autant, nous ne partageons pas l’idée selon laquelle la suppression de telles exonérations nuirait à l’emploi. Au contraire, nous savons que ce sont ces exonérations, parce qu’elles portent essentiellement sur les emplois peu ou pas qualifiés, qui créent des mécanismes dits de « trappes à bas salaires », donc de la précarité.

D’ailleurs, il serait intéressant que le Gouvernement nous remette prochainement un rapport effectuant le rapprochement entre les entreprises qui bénéficient le plus de ces exonérations et les dividendes qu’elles reversent à leurs actionnaires. Ces résultats pourraient nous surprendre. Nous pourrions ainsi découvrir que les « assistés », puisque le terme est à la mode, ne sont pas nécessairement celles et ceux auxquels on pense… auxquels vous pensez, monsieur le ministre.

Nous avons également proposé, là encore en vain, de responsabiliser socialement les entreprises, en modulant leur taux de cotisations sociales en fonction de leur politique salariale. Le principe est simple : les entreprises qui favorisent l’emploi et le rémunèrent correctement paieraient moins de cotisations sociales que celles qui préfèrent distribuer massivement les productions de richesses aux actionnaires.

Selon la Commission européenne, entre 1993 et 2009, le volume des cotisations sociales a augmenté de 19 %, tandis que le PIB, notamment en raison des gains de productivité, augmentait de 33 % et que les revenus financiers des entreprises et des banques progressaient de 143 %.

Par ailleurs, la part des produits financiers dans la valeur ajoutée des entreprises est désormais près de deux fois supérieure – 29 % contre 15 % – à celle de leurs cotisations sociales. Il faut donc inverser la logique. Pourquoi ne pas réfléchir à l’instauration d’une cotisation sociale sur les dividendes ? Est-il acceptable que les salariés paient les pots cassés de la crise alors que la ponction sur la richesse produite opérée par les actionnaires continuerait comme avant ? Pour qu’il n’en soit pas ainsi, nous pouvons élargir l’assiette des cotisations aux profits non investis ou établir une contribution spécifique sur les profits distribués.

De la même manière, et pour mettre fin aux techniques de contournement de financement de la sécurité sociale, nous avons proposé, là encore sans succès, de soumettre tous les revenus du travail, y compris les revenus indirects, à cotisations sociales.

Par là je vise, notamment, l’intéressement, la participation – vous avez eu l’occasion, il y a un instant, monsieur le ministre, de nous dire tout le bien que vous en pensiez – l’épargne salariale, le plan d’épargne retraite populaire, le PERP, ou le plan d’épargne pour la retraite collectif, le PERCO, qui sont exonérés, tout du moins partiellement, de cotisations sociales ; c’est d’ailleurs leur seule raison d’être.

Si ceux qui soutiennent la participation veulent parler répartition des richesses, qu’ils prévoient des mécanismes d’augmentation des richesses et de plafonnement de distribution des dividendes. N’oublions pas qu’en pleine crise, alors que des milliers d’emplois étaient détruits, les groupes du CAC 40 ont dégagé 75 milliards d’euros de bénéfices. Sur cette somme, 35 milliards d’euros ont été versés aux actionnaires sous forme de dividendes.

Les salariés ont l’impression qu’ils ont permis, par leurs efforts ou par les licenciements dont ils ont été victimes, à une minorité de personnes d’accaparer la majorité des dividendes produits.

Tout cela nous conduira, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, à voter contre ce projet de loi, non que nous entendions priver de cette prime les rares salariés concernés par elle,…

M. Alain Gournac. Quatre millions !

Mme Annie David. … mais parce que nous considérons que, loin de cette logique de communication, il serait possible d’instaurer un juste partage des richesses qui profiterait aux comptes sociaux, aux salariés et à l’investissement des entreprises. C’est ainsi que nous pourrons faire augmenter le pouvoir d’achat des salariés.

Annie David

Ancienne sénatrice de l'Isère
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