Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, il y a un an, je regrettais, depuis cette tribune, que le premier projet de loi de financement de la sécurité sociale d’un gouvernement de gauche ne marque pas de rupture suffisante avec ceux des gouvernements précédents.
Aujourd’hui, avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, je voudrais que ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 ne soit pas celui d’un peu plus de désespérance.
Devant l’explosion du chômage et de la précarité, l’accroissement des inégalités salariales, sociales, territoriales et sanitaires, nous avons collectivement une exigence : assurer à toutes et à tous un haut niveau de protection sociale.
Cet objectif ambitieux demeure inatteignable en l’état. Comment pourrait-il en être autrement quand ce PLFSS est écrit à l’encre de l’austérité, sous l’influence du pacte de stabilité et de croissance européen, aux termes duquel les besoins des citoyens en matière de santé et de protection sociale comptent moins que la réduction aveugle des déficits publics et l’abaissement du coût du travail ?
Madame la ministre, l’étude d’impact jointe à votre projet de loi s’inscrit dans cette perspective : il y est rappelé à plusieurs reprises que les mesures proposées n’auront pas pour effet d’augmenter le coût du travail. En intégrant le discours du MEDEF, de la droite et des libéraux sur la nécessité d’accroître la compétitivité des entreprises, vous vous engagez dans une impasse ; cela n’est pas sans avoir d’importantes conséquences économiques, sociales et sanitaires.
La réforme des retraites que vous avez engagée, dans la foulée de celle qui a été mise en œuvre par MM. Woerth et Sarkozy, en est l’exemple le plus frappant. Votre refus d’élargir l’assiette des cotisations sociales des entreprises à leurs revenus financiers vous conduit à allonger la durée de cotisation des salariés, et donc à multiplier les futures décotes, tout en gelant pendant six mois les pensions de retraite de prétendus privilégiés, gagnant plus de 780 euros par mois…
Quant à la hausse de la part patronale des cotisations sociales, elle a été jugée non conforme aux promesses faites par la France devant la Commission européenne. Cette dernière s’est instituée en véritable gardienne du dogme libéral de la baisse du coût du travail, qui fait pourtant tant de mal, on le sait, aux peuples européens.
C’est pourquoi, immédiatement après avoir décidé cette hausse des cotisations versées par les entreprises au titre de l’assurance vieillesse, le Gouvernement annonçait une réduction globale des cotisations patronales. Sans grande surprise, c’est sur la branche famille, véritable variable d’ajustement budgétaire depuis une décennie, que s’est porté votre choix.
Mme Isabelle Debré. Absolument !
M. Dominique Watrin. Les salariés, eux, verront à l’inverse leurs cotisations augmenter, sans autre contrepartie que l’obligation de travailler plus longtemps, s’ils le peuvent !
Si je m’attarde autant sur le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, alors même que nous venons d’en discuter, c’est que les mesures proposées par le Gouvernement pèseront lourd dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.
La hausse des cotisations sociales devrait rapporter l’année prochaine 1,7 milliard d’euros de ressources supplémentaires, soit environ 40 % des 4,2 milliards d’euros de recettes nouvelles attendus.
Le gel des pensions engendrera quant à lui, en 2014, 800 millions d’euros d’économies, réalisées aux dépens des retraités, soit près de 20 % des mesures d’économies du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Telle n’est pas, madame la ministre, l’idée que nous nous faisons du « redressement dans la justice » que vous nous promettiez. Dans la version que vous nous présentez, le budget de la sécurité sociale pour 2014 s’apparente plus à un exercice comptable qu’à la traduction d’ambitions fortes.
J’en veux pour preuve l’ONDAM, dont la progression est inférieure à celle, déjà insuffisante, qui avait été votée lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013. Avec l’augmentation de 2,3 % prévue pour l’année prochaine, on peine à voir comment les établissements publics de santé pourront faire face. Sous l’effet de l’inflation, de la hausse de la TVA et de celle de la masse salariale, les dépenses des hôpitaux devraient en effet augmenter naturellement de plus de 3 %.
Si je me réjouis que votre projet de loi de financement de la sécurité sociale n’ait pas, comme l’année dernière, introduit de mécanisme de responsabilisation des patients, c’est-à-dire, en fait, des baisses de remboursements, chères à la droite, je ne peux que regretter votre choix de réduire le champ de la protection sociale aux risques les plus graves, les plus coûteux, en confiant aux organismes complémentaires la mission d’assurer le reste des remboursements.
Le président de la Mutualité française, qui s’est prononcé contre l’adoption du présent texte, l’a d’ailleurs clairement démontré : en dehors de la prise en charge des pathologies les plus lourdes, la sécurité sociale ne rembourse plus, aujourd’hui, que 50 % des dépenses de santé. Certes, le niveau global de remboursement des patients reste stable, mais, en contrepartie, ces derniers voient chaque année augmenter le montant de leurs cotisations à des organismes complémentaires. Je note par ailleurs que le projet de loi de finances pour 2014 prévoit de soumettre à l’impôt sur le revenu les salariés bénéficiant de contrats mutualistes souscrits par les employeurs, alors que ceux-ci se voient attribuer, depuis l’entrée en vigueur de l’accord national interprofessionnel, une exonération de cotisations sociales : ce que vous avez donné aux employeurs il y a quelques mois, vous le reprenez aujourd’hui aux salariés !
En outre, je tiens à exprimer notre perplexité devant les mesures que vous proposez concernant le bénéfice de l’aide à la complémentaire santé, l’ACS. L’accès à celle-ci est certes élargi aux personnes âgées disposant de faibles ressources, mais, plutôt que de renforcer la CMU et la CMU-C en modifiant les critères d’attribution de l’ACS, en instaurant une forme de régulation des organismes complémentaires par la concurrence, ne croyez-vous pas qu’il aurait été à la fois plus simple et plus juste de prévoir avant tout, pour ces publics, une réelle prise en charge à 100 % par la sécurité sociale ? Cette réorientation aurait été un acte fort de réaffirmation de la sécurité sociale comme socle intangible de notre système de protection sociale.
Concernant le champ médico-social, force est de constater que les attentes des différents acteurs seront une nouvelle fois déçues.
L’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux, l’UNIOPSS, souligne elle-même l’insuffisance du taux d’évolution de l’ONDAM médico-social, qui s’élève à 3 %, contre 4 % l’an passé. Concrètement, les établissements médico-sociaux auront du mal à faire face à l’inflation et à l’augmentation de la TVA. Nous craignons que les salariés n’en fassent les frais, en jouant de nouveau le rôle de variable d’ajustement au regard de l’équilibre financier de ces établissements. Or la dévalorisation du travail au sein de ces derniers, comme dans les services médico-sociaux ou d’aide à domicile, se traduit toujours par une baisse de la qualité du service rendu aux usagers.
De plus, nous le savons tous, d’immenses progrès restent à accomplir au titre de la médicalisation des EHPAD ou pour une meilleure prise en charge des malades d’Alzheimer et de leurs familles. Sans moyens suffisants, ces besoins ne seront satisfaits qu’au compte-goutte.
D’une manière générale, je regrette que ce projet de loi de financement de la sécurité sociale n’esquisse pas plus que le précédent un financement pérenne et solidaire, pour une meilleure prise en charge de la perte d’autonomie. Les fruits de la taxe injuste sur les revenus des retraités que vous avez instituée l’année dernière seront une nouvelle fois détournés de leur objet : sur les 700 millions d’euros collectés, près de 600 millions d’euros n’iront pas à l’accompagnement de la perte d’autonomie. Les retraités soumis à la CASA, à qui vous expliquez le sacrifice requis par cette exigence de solidarité, apprécieront !
Madame la ministre, vous venez certes d’annoncer, avec Mme Delaunay, les objectifs prioritaires et le calendrier de mise en œuvre de la future loi dite d’adaptation de la société au vieillissement. Je serais tenté de dire « enfin », tant la responsabilité de la droite est immense,…
M. René-Paul Savary. C’est faux !
M. Dominique Watrin. … elle qui n’a cessé de reporter aux calendes grecques la mise en œuvre de la promesse d’une grande loi d’accompagnement de la perte d’autonomie faite par Nicolas Sarkozy lui-même. C’est la vérité, monsieur Savary ! Vous n’avez rien fait !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Absolument !
M. Dominique Watrin. Il n’en reste pas moins que les objectifs affichés semblent plus modestes que prévu. Surtout, aucune traduction budgétaire ne serait possible avant 2015.
Pourtant, nous le constatons tous sur le terrain, il est urgent de revaloriser l’APA et d’augmenter la valeur du point de la convention collective. L’emploi dans le secteur de l’aide à la personne, pour peu qu’il soit qualifié et correctement rémunéré, peut être une chance pour notre pays. Selon l’Association des directeurs au service des personnes âgées, l’AD-PA, ce sont près de 25 000 emplois qui pourraient être créés dans ce domaine. Ce chiffre confirme que la solidarité, c’est aussi du développement territorial.
Quant à la branche famille – dont le déficit est estimé à 3 milliards d’euros pour 2014 –, elle verra cette année encore sa part de financement assurée par l’impôt croître de manière importante. Il s’agit là de la branche la plus fiscalisée de la sécurité sociale. Il faut dire que les revendications historiques du MEDEF sont claires : réduire à néant le financement socialisé de cette branche en le remplaçant par des taxes, des prélèvements et des impôts de toute nature. On comprend la stratégie du MEDEF : pousser toujours plus loin cette logique, pour qu’en définitive le maintien de cette branche dans la sécurité sociale n’ait plus aucun sens au regard de la structure de son financement.
C’est pourquoi nous contestons l’abaissement du plafond du quotient familial prévu à l’article 3 du projet de loi de finances pour 2014, mesure qui répond plus à une logique d’économies qu’à une logique de justice. À nos yeux, la branche famille n’est pas censée, en tant que telle, jouer un rôle redistributif. Le haut niveau de natalité de notre pays est une chance. La politique familiale ne doit distinguer entre les enfants nés en France ni en fonction de leur origine ni selon la richesse de leurs parents. Nous estimons en outre que si une redistribution des revenus doit être opérée, c’est d’une véritable réforme fiscale que nous avons besoin ! Pour notre part, nous serions prêts à accompagner une telle démarche, ambitieuse, pour autant que le Gouvernement soit prêt à la mettre en œuvre… Or aujourd’hui, l’abaissement du quotient familial et la modulation de l’allocation de base de la PAJE selon le niveau de ressources des parents touchent non seulement les familles riches, mais aussi les foyers aux revenus moyens.
De la même manière, nous sommes opposés à la baisse des cotisations patronales au titre de la branche famille. Non seulement cette faveur est injuste au regard des efforts demandés aux salariés, mais elle engendre de l’instabilité pour la branche. Ma collègue Isabelle Pasquet l’a déjà montré.
De plus, les mécanismes choisis complexifient grandement le financement et la gestion de la branche famille, alors même que l’on parle ici de simplification. L’instauration de ces mesures aboutit au gel du montant des composantes de la PAJE et des allocations de logement, qui touchera toutes les familles : je le répète, il ne s’agit pas des seules familles riches !
Faute de temps, je passerai rapidement sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles, me bornant à m’associer aux propos de M. Godefroy : l’État n’a pas à se désengager du financement du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, étant donné qu’il assume, à cet égard, une double responsabilité.
Madame la ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 souffre à nos yeux d’une réelle insuffisance. La sécurité sociale sera, l’an prochain plus encore que cette année, victime des choix du Gouvernement en matière de financement. Ce n’est pas à la Commission européenne de dicter ses impératifs et de peser en faveur d’une harmonisation par le bas des différents systèmes de protection sociale.
Notre pays doit rester fidèle au programme du Conseil national de la Résistance et à l’œuvre fondatrice d’Ambroise Croizat. Notre système de protection sociale a prouvé, en 2008 et en 2009, qu’il pouvait être un formidable amortisseur de crise.
Toute mesure de restriction des prestations familiales ou d’austérité imposée à l’hôpital, tout retard pris dans la correction des inégalités sociales et territoriales de santé ou dans l’accompagnement de la perte d’autonomie sont des reculs qui nous plongent chaque année un peu plus dans la crise. C’est pourquoi nous aurions souhaité que ce PLFSS donne un nouveau souffle à notre sécurité sociale, et qu’il relève d’une tout autre ambition !