« Le Sénat a pris deux décisions avec lesquelles le Gouvernement n’est pas en accord. Nous aurons, je pense, l’occasion de revenir sur ces sujets en deuxième lecture » : c’est par ces mots, madame la secrétaire d’État, que vous avez conclu votre intervention après que notre assemblée eut adopté ce projet de loi en première lecture.
Au cours de l’examen en deuxième lecture par l’Assemblée nationale, compte tenu des amendements déposés par les députés de la majorité, le Gouvernement n’a pas eu à intervenir. C’est en réalité sous une double pression que nos collègues du Palais-Bourbon sont revenus sur les deux dispositions adoptées au Sénat, concernant, d’une part, la recherche sur l’embryon et, d’autre part, l’accès à la procréation médicalement assistée pour les couples composés de deux femmes.
La première pression, celle du Gouvernement, a été clairement exercée par vous-même, madame la secrétaire d’État. La seconde, qui rejoint la première, l’a, elle, été par des groupes à caractère religieux, organisés et disposant de réseaux, voulant imposer leur vision de la science et de la vie. Il en résulte que ce projet de loi de révision des lois de bioéthique est totalement étanche aux évolutions de notre société ; croyez bien que je le regrette !
Pour les sénatrices et sénateurs du groupe CRC-SPG, la science et l’éthique médicale sont par nature en évolution constante. Les progrès scientifiques font naître, sur le plan technique, de « nouveaux possibles » qu’il nous revient de confronter à ce que nous considérons comme conforme à l’éthique. Mais les principes éthiques ne sont pas absolus et intangibles ; ils sont eux-mêmes mouvants, soit parce que des progrès scientifiques apportent des garanties nouvelles, soit en raison des évolutions de la société. Car, au final, la médecine, la recherche, la science en général ont-elles un autre sens que d’être au service de nos concitoyens ?
En première lecture, j’affirmais devant vous : « Il s’agit de trouver ce subtil équilibre entre ce que la science peut faire techniquement et peut faire philosophiquement, éthiquement ». Je ne retire rien à ces propos. Mais peut-être devrais-je ajouter qu’il convient également de nous interroger sur la manière dont les progrès techniques peuvent être utiles au quotidien pour nos concitoyens. Le domaine scientifique n’est pas un monde clos. La recherche n’est pas la propriété de ceux qui la pratiquent, et la formidable mobilisation autour des états généraux de la bioéthique en a été la preuve.
C’est pourquoi nous regrettons que l’Assemblée nationale ait supprimé une disposition adoptée par le Sénat permettant aux couples lesbiens de profiter d’une procréation médicalement assistée. Certains considèrent que la PMA n’a qu’une vocation médicale. Nous considérons, pour notre part, qu’elle doit permettre de répondre aux cas d’infertilité sociale, le « M » de PMA devant se référer non plus à une finalité « médicale », mais aux moyens mis en œuvre pour permettre la procréation, c’est-à-dire ceux qu’offre la médecine, ce qui est souligné par l’emploi de l’adverbe « médicalement ».
De la même manière, nous regrettons que l’Assemblée nationale soit revenue sur la rédaction de l’article 23, qui traite de la recherche sur l’embryon et qui constitue le cœur de ce projet de loi. Si nous nous satisfaisons du fait que la commission des affaires sociales du Sénat ait proposé une nouvelle rédaction de cet article, permettant le basculement du régime d’interdiction avec dérogations à un régime d’autorisation contrôlée, nous demeurons inquiets. Nous redoutons, en effet, que cette disposition, cette avancée majeure pour la recherche, ne disparaisse à la suite de la réunion de la commission mixte paritaire ou, peut-être, au cours de nos débats.
M. Jean Desessard. Oh non !
M. Guy Fischer. Le débat que nous avons eu à ce sujet a été très nourri et très intéressant. Je voudrais toutefois revenir sur certains points.
S’il est évident que la recherche en la matière est particulière, en raison même des éléments sur lesquels elle porte, nous ne devons pas perdre de vue certains principes.
Tout d’abord, la recherche ne portera que sur des embryons qui ne font plus l’objet d’un projet parental, c’est-à-dire des embryons qui ne sont voués à rien d’autre qu’à la conservation ou à la destruction.
Rappelons que l’embryon n’est pas, à nos yeux, un être humain, et c’est ce qui nous différencie de certains de nos collègues.
M. Bruno Sido. Il est vivant !
M. Guy Fischer. Ce n’est qu’une potentialité de vie. Or cette potentialité ne se réalisera jamais dès lors qu’il s’agit d’embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental.
Certains, à l’image de M. Jean Leonetti, considèrent que le régime actuel d’interdiction avec dérogations n’a pas limité la recherche. S’il est vrai que la quasi-totalité des demandes de dérogation ont été accordées, il n’en demeure pas moins que ce régime repose sur un postulat que nous réprouvons : la recherche sur l’embryon serait par nature non conforme à l’éthique.
Par ailleurs, les scientifiques en conviennent, si toutes les demandes de dérogation sont satisfaites – ce qui constitue une véritable hypocrisie ! –, la constitution des dossiers entraîne des retards et des complexités dommageables pour la recherche française. Il arrive d’ailleurs que, pour les éviter, les chercheurs se censurent eux-mêmes et renoncent à certains projets.
Enfin, dernier argument développé sur ce sujet par la majorité et contre lequel je m’inscris en faux, le régime d’autorisation contrôlée servirait les intérêts des laboratoires pharmaceutiques et des grands groupes industriels. Ainsi, Jean Leonetti a récemment confié au journal La Croix : « Pour Marc Peschanski, le principe d’interdiction constitue un obstacle pour les investissements financiers des grands groupes industriels. »
Mes chers collègues, cette déclaration pourrait prêter à sourire si le sujet n’était pas si grave et, surtout, s’il n’émanait pas d’un député appartenant à la majorité parlementaire qui a autorisé l’utilisation de sang humain obtenu contre rémunération, une majorité qui a également, avec la grippe A et l’ensemble de sa politique du médicament, servi les intérêts des grands laboratoires et porté atteinte à la recherche publique, comme cela n’avait jamais été fait auparavant,…
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
M. Guy Fischer. … notamment avec le crédit d’impôt recherche.
M. Jean Desessard. Très bien !
M. Bruno Sido. Un peu de modération, mon cher collègue !
M. Guy Fischer. Bien évidement, la question de la recherche publique se pose, mais elle se pose d’abord et avant tout en termes de moyens !
Permettez-moi de revenir un instant pour conclure sur un sujet qui nous semble fondamental : l’instauration, dans notre pays, d’un registre positif des donneurs d’organes.
Il est légitime que notre droit positif protège la volonté de celles et ceux qui, pour des raisons personnelles, refusent de donner leurs organes. Il est, en revanche, inacceptable que ce même droit prive d’effet la volonté de celles et ceux qui se sont clairement exprimés en faveur de ce don.
Si la loi reconnaît le droit aux uns de refuser ce don sur la base de l’autonomie de la volonté, elle ne peut, dans le même temps, avoir pour conséquence de nier aux personnes souhaitant participer au don de vie le droit de le faire.
Nous estimons que la volonté des uns vaut celle des autres et que les proches doivent accepter de respecter la volonté exprimée du vivant, quelle qu’elle soit. Nous considérons que la vie n’appartient à personne d’autre que soi-même,…
M. Jean-Pierre Raffarin. Ce n’est pas vrai !
M. Guy Fischer. … et que personne, ni aucune considération, ne peut faire obstacle au libre arbitre dès lors que celui-ci a été clairement exprimé et qu’il est strictement encadré. Tel est le sens d’un amendement que nous présenterons tout à l’heure.
Compte tenu du temps de parole limité qui m’a été imparti, je ne puis développer plus longuement les positions et les propositions de mon groupe. Je dirai donc simplement que, comme en première lecture, nous arrêterons notre vote sur l’ensemble du projet de loi en fonction de ce qu’il en adviendra au cours de nos travaux, et nous serons, bien entendu, particulièrement attentif au sort que connaîtra l’amendement déposé par notre collègue Jean-Claude Gaudin, président du groupe UMP.