Motion tendant à opposer la question préalable (n ° 497)
Annie DAVID
le 5 octobre 2010
Monsieur le Président
Messieurs, les ministres,
Mes chères, chers collègues,
Nous entendons soumettre à vos voix cette motion tendant à opposer la question préalable, pour qu’ensemble nous constations et décidions qu’il n’y a pas lieu de poursuivre l’examen du projet de loi portant réforme des retraites.
Les raisons sont pour nous très nombreuses qui nous conduisent à vous proposer de ne pas poursuivre l’examen de ce texte en l’état et le rassemblement de ce midi devant le Sénat ne fait que nous conforter dans notre position.
Messieurs les Ministres, mes chers collègues, vous devriez écouter ce que les salarié-es, actifs ou demandeurs d’emploi, les retraité-es mais aussi les étudiantes et les étudiants vous crient ! – Ils et elles ne veulent pas de votre réforme ! Ils et elles veulent une réforme qui renforce notre système de retraites par répartition en lui apportant de nouvelles recettes !
Il n’y a pas lieu à débattre de ce texte car votre contre réforme est injuste, brutale mais aussi inefficace. Elle est un coup de poignard contre les droits sociaux. Injuste, votre contre-réforme, car ce sont les salarié-es, déjà durement touchés par la crise et notamment les femmes qui vont la payer au prix fort : 22,6 milliards d’euros, soit plus de 85% de son coût alors que dans le même temps, le capital est à peine mis à contribution pour 4,4 milliards d’euros ! Pourtant, les profits des groupes du CAC40 ont bondi de 85% au cours du premier semestre 2010 ! Je n’aime pas les longues litanies de chiffres, mais quand même : 41,5 milliards d’euros de résultats nets, pour un chiffre d’affaires de 631 milliards d’euros…. J’ai l’impression que nos entreprises ont bien surmonté la crise…
Brutale aussi, car elle se met en œuvre en 8 années seulement, avec une dégringolade de 16% du taux de remplacement ! Votre contre réforme sera la plus brutale d’Europe !
Inefficace enfin, car elle ne résout en rien les déficits que vous dénoncez et prétendez résorber ! Elle ne propose aucune solution pérenne puisque de l’aveu même de ses auteurs, il faudra entreprendre un nouveau chantier sur la question dès 2018, c’est à dire demain. Et il manquera encore 4 milliards à la CNAV à cette même date… Guy Fisher vous a brillamment exposé tous ces arguments lors de son intervention, j’insisterai donc pour ma part sur les arguments que vous mettez en avant pour nous faire croire qu’il n’y a pas d’autre solution que celle que vous voulez imposer !
Vous prétendez donc qu’il y a un « problème » démographique : « nous vivons de plus en plus vieux, il est donc inévitable que nous devions travailler plus longtemps » ; ce à quoi je réponds, nous vivons plus longtemps, oui, nous sommes plus nombreux, aussi quel est donc votre problème ? Vous devriez plutôt vous réjouir ! Mais de là à parler d’une espérance de vie à 120 ans, monsieur Woerth, c’est ignorer ou faire semblant d’ignorer que l’espérance de vie en bonne santé est de 64 ans pour les femmes et de 62 ans pour les hommes, et parmi eux les ouvriers ont une espérance de vie en bonne santé de 59 ans… Et une récente étude fait état d’une régression de cette espérance de vie en bonne santé. En effet, si le nombre des maladies infectieuses diminue, d’autres maladies chroniques se développent et notamment celles dues aux nouvelles habitudes de vie (obésité, diabète, etc..). D’après les scientifiques, l’augmentation actuelle de l’espérance de vie à la naissance est due essentiellement aux personnes nées au débat de XX è siècle et elle va se tasser.
Et puis, Monsieur le Ministre, si les progrès de la science, l’amélioration des conditions de travail, qui ont plutôt tendance à se détériorer ces dernières années et on en voit la conséquence immédiate, ont permis d’allonger la durée de vie, elles ont aussi permis d’améliorer la productivité : un salarié aujourd’hui produit cinq fois plus qu’en 1960 ! Et les projections, mais vous ne nous en parlez pas de ces projections là, montrent un doublement de cette productivité pour les années 2050… Ou va donc toute cette richesse produite ? Pas au financement du travail en tout cas, sinon nos caisses de protection sociale se porteraient mieux…
En outre vous voulez faire travailler les salarié-es jusqu’à 62 ans, mais vous savez pertinemment que 6 salariés sur 10 sont hors emploi à l’heure de la retraite ! Les seniors sont écartés de l’emploi à 58,5 ans. Il y a un fossé entre les discours des politiques, des confédérations syndicales ou du patronat sur le vieillissement actif et la réalité dans les entreprises, dénonce le sociologue Xavier Gaullier en parlant de consensus paradoxal, et Guillaume Huyez-Levat, chercheur au centre d’étude de l’emploi en parlant lui de faux consensus…
Et dans le même temps, nos jeunes actifs de moins de 24 ans sont 23% en recherche d’emploi ….
Enfin vous oubliez aussi de nous parler du taux de natalité, de notre pays, le meilleur d’Europe…
Par conséquent, réformer notre système de retraites pour des raisons démographiques ne résiste pas à l’analyse et repose sur un argument obsolète. D’ailleurs certains évoquent déjà votre position sur ce point comme une erreur stratégique qui rappelle celle de l’état major de l’armée française, qui croyait aux vertus de sa ligne Maginot sans voir que l’environnement avait changé depuis le précédent conflit…
Il ne s’agit donc pas d’un problème de démographie mais bien d’un problème de plein emploi ! C’est dans cette voie là qu’il faut chercher à résoudre le manque de cotisations sociales pour notre système de retraite par répartition !
Plein emploi, sans précarité ni temps partiel subi, justement rémunéré, car la question qui se pose est bien celle de la valeur que vous accordez au travail et donc sa rémunération, avec un parcours professionnel sans rupture, en instaurant enfin cette sécurité sociale de l’emploi que nous vous proposons depuis de nombreuses années, prenant en compte les années d’étude, de formation professionnelle et de rupture involontaire du travail, ….Voilà une première raison pour laquelle il n’y pas lieu de débattre ce soir de votre texte, car vous n’avez pas voulu prendre en compte ces propositions et vous n’y avez pas répondu !
Il n’y a pas lieu à débattre, encore, parce qu’à aucun moment vous ne vous posez la question de savoir si notre système de retraite par répartition pouvait être conservé et consolidé en puisant dans d’autres ressources.
La seule solution que vous avancez est le recul de l’âge légal de départ à la retraite et l’allongement de la durée de cotisation.
Jamais jusqu’à présent, vous n’avez voulu admettre que le déficit de notre système de retraite est avant tout dû au système capitaliste, qui détourne toujours plus de richesses produites de la rémunération du travail vers celui du capital !
Et sous couvert de déficit, votre gouvernement, qui s’exonère au passage de sa responsabilité en la matière, s’attaque au régime des retraites alors que la dette de la sécurité sociale représente 8 % de la dette publique soit 1,5% du PIB et la part retraite, seulement 0,7% ! Il y a bien d’autres dépenses fiscales auxquelles vous pourriez vous attaquez mais vous faites le choix délibéré de vous attaquer au monde du travail, à celles et ceux qui créent les richesses, qui profitent à vos amis, tout en sachant que cela impactera le déficit public à la marge, alors que cela aurait eu du sens de s’attaquer à ce qui creuse vraiment le déficit : le chômage, le bouclier fiscal, les multiples exonérations…
Ainsi, après avoir agité l’épouvantail de la démographie, vous agitez celui du déficit public, mais plus personne n’est dupe !
En effet, au cours de ces 20 dernières années, nous avons assisté à un doublement des richesses, alors que dans le même temps, la rémunération du travail à progressé moins vite que la richesse nationale : 10 % de la richesse créée, cela a été dit tout à l’heure, est détourné de la part travail à la part capital ! Cela représente 8 fois le déficit de la caisse vieillesse…C’est donc un vrai débat sur la répartition des richesses et sur le financement de nos retraites qui aurait dû s’ouvrir. Une profonde discussion sur les choix de société que nous souhaitons et nous combattons celui que vous nous imposez dans cette contre réforme ; car derrière les retraites, ce qui est en jeu, c’est la place du travail et du temps libéré dans la vie, c’est la répartition des richesses, c’est enfin la place des travailleurs et des retraités à qui il n’est reconnu que le devoir d’exister comme subordonnés à l’exigence du capital !
Il n’y a pas lieu à débattre, toujours, car le gouvernement aurait dû poser sur la table l’ensemble des questions qui doivent être résolues et l’ensemble des réponses qui peuvent y être apportée.
C’était d’ailleurs le sens du rendez vous de 2012
Le président Sarkozy le rappelai encore récemment : « Je n’ai pas mandat pour réformer la retraite »
Ce n’était donc pas dans son programme. En revanche la réforme du système de retraite était bel et bien dans le programme du MEDEF « Changer d’ère » et ce programme là nous voyons bien que vous l’appliquez consciencieusement texte après texte.
Au final la seule parole que vous défendez dans tous vos textes est celle du MEDEF, au point que nous savons maintenant qui gouverne véritablement notre pays.
Oui nous avons un président et un gouvernement qui agissent en tout, comme les VRP du patronat. Et ceci est vrai tout particulièrement pour ce texte sur les retraites.
En effet tout le Titre V ter est consacré à l’épargne retraite, et vous faites ainsi, un pas supplémentaire vers un système de retraite par capitalisation. Tout est prêt pour la migration. Les pensions du système par répartition deviennent dérisoires ou inatteignables. La faillite que vous organisez est accompagnée d’une promotion de la capitalisation.
Nous assistons donc à une privatisation des retraites et au partage d’un très juteux marché sur lequel vos amis, les banques et les assurances, lorgnent depuis longtemps.
Pensez donc, entre 230 et 275 milliards d’Euros chaque années, un énorme marché (l’or gris) et qui est appelé à grossir.
Ces 230 milliards, qui échappaient encore aux marchés, vous êtes avec ce texte en train de les livrer sur un plateau d’argent, et là sans aucune négociation !
Il n’y a pas lieu à débattre, enfin, car la démocratie sociale a été encore bafouée ; je ne reviendrais pas sur le texte dont nous avons débattu dans l’après midi sur le dialogue social dans les TPE, mais vous avez une façon particulière, monsieur le Ministre, de pratiquer ce dialogue social…
En effet ce texte a été présenté par le gouvernement au début de l’été sans qu’aucune réelle négociation avec les partenaires sociaux n’ait eu lieu. Certes pour sauver les apparences et pouvoir communiquer sur vos échanges avec eux, vous avez organisé quelques rencontres.
Mais quelle était déjà leur feuille de route ? Ah oui, ne pas toucher aux bornes d’âge ni à celle du nombre d’années de cotisations. A cette fin, vous leur avez adressé un courrier, le 24 août, dans lequel vous précisiez les seuls points sur lesquels vous accepteriez d’éventuelles améliorations : chacun s’en souvient, il s’agissait des poly-pensionnés, des carrières longues et du sujet hautement sensible de la pénibilité… alors que le 24 juin déjà, plus de 2 millions de manifestants vous avaient fait savoir leur exigence d’ouverture de vraies négociations sur l’ensemble des questions posées en matière de retraite.
Or, des négociations étaient en cours sur la pénibilité, et nous le savons toutes et tous, ces négociations étaient en cours depuis 5 ans et faisaient suite à la précédente réforme sur les retraites ! Chacun s’en rappelle, c’est sous cette condition qu’en 2003, un de vos partenaires sociaux avait accepté l’idée de l’allongement de la durée de cotisations, c’était l’article 12 de ce texte…
Vous ne pouvez donc pas au détour d’un texte sur les retraites, porter là encore la seule parole du MEDEF et introduire sa seule vision individualiste de la pénibilité ! Car vous le savez bien, ce que le MEDEF refuse, c’est de reconnaitre la pénibilité différée, et vous l’approuvez en imposant au salarié de prouver à partir d’un avis médical, et d’une invalidité déclarée, le lien entre son invalidité et son travail ! c’est inadmissible, et c’est cela que nous contestons ! Non, Monsieur Le Ministre, votre individualisation de l’invalidité n’est pas un progrès social.
En outre, au cours du débat à l’assemblée nationale, vous avez de nouveau bafoué les partenaires sociaux en faisant adopter un amendement réformant en profondeur la médecine du travail ! Là encore, un cavalier gouvernemental ! Après la remise en cause des prud’hommes, cet après midi, nous assistons à une réforme en profondeur de la médecine du travail sans qu’aucun accord n’est été trouvé sur ce dossier !
Et pour cause, car malgré tous vos propos rassurant sur leur métier, je doute que les médecins du travail puissent exercer en toute indépendance pour mettre en œuvre des objectifs qu’ils n’auront pas définis !
De plus, les quelques mesures concernant l’emploi sont tout à fait injustes, qu’il s’agisse du traitement des inégalités concernant les pensions des femmes, et Isabelle Pasquet vous a tout à l’heure fait une démonstration claire, ou des séniors, je vous rappelle le consensus paradoxal de Xavier Gaullier, et votre réponse n’est autre que de nouvelles exonérations, qui contribuent au déficit que vous prétendez vouloir combler !
Quant à notre jeunesse, elle est la grande oubliée de votre réforme, ce que nous ne pouvons accepter !
Ainsi vous le voyez, le manque de démocratie sociale est flagrant, il vous faut donc remettre votre ouvrage sur le métier, car votre texte ne répond à aucun des problèmes que pose notre système de retraite. Il n’assure pas pour l’avenir un socle sur lequel la solidarité nationale pourrait s’enraciner.
Et l’opinion publique ne s’y trompe pas. Elle refuse massivement votre contre réforme. 7 français sur 10 ne veulent pas de votre texte et vous réclament de le retirer. Mais vous persistez à nier l’évidence.
Malgré vos affirmations et vos dénégations, chaque jour qui passe voit la mobilisation contre votre projet, grandir et s’amplifier.
Le premier rôle d’un gouvernement est de chercher à assurer l’intérêt général et non satisfaire à le diktat d’un seul (qui a fait de ce dossier un plébiscite pour sa politique).
La sagesse et l’intelligence c’est de savoir revoir sa copie quand elle est mauvaise.
Il est encore temps Monsieur Le Ministre d’écouter la colère qui monte. La contestation est grandissante. Si vous y restiez sourd, elle risquerait de vous emportez tout entier.
Pour toutes ces raisons nous vous demandons de voter pour notre motion.
Je vous remercie