Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,
Vous me permettrez tout d’abord d’élever une protestation vigoureuse à l’encontre d’un calendrier parlementaire intenable qui nous soumet à un rythme préjudiciable à la sérénité qui devrait guider notre travail de réflexion, surtout sur des sujets aussi fondamentaux que ceux qu’aborde ce projet de loi sur la bioéthique. C’est un travail bâclé que nous faisons là à notre corps défendant.
Je voudrais également revenir sur les propos de notre rapporteur, M. Francis Giraud qui nous affirmait, en commission des affaires sociales, que « le législateur avait atteint un point d’équilibre ». Toujours selon vous, Mon Cher Collègue, nous serions d’accord sur les sujets les plus importants de ce projet de loi. Peut-être avez-vous oublié l’opposition sénatoriale qui est loin de partager ce satisfecit et qui ne va pas manquer de vous faire connaître sa façon de penser.
Le nombre élevé d’amendements déposés, y compris par le gouvernement, 119, en seconde lecture sur des points majeurs du projet de loi atteste que nous ne sommes pas allé au bout des questions posées. Effectivement, certaines questions sur lesquelles le Sénat avait exprimé un sentiment très négatif, voire un refus strict, ont disparu en cours de navette. Je pense en particulier au transfert post-mortem d’embryons mais aussi, à l’évaluation préalable de toute technique nouvelle de PMA, alors que le précédent de l’ICSI continue d’interroger.
Loin de moi l’idée, pourtant, de faire de l’opposition systématique, et je dirai bien entendu l’accord du groupe "Communiste, Républicain et Citoyen" sur certains des axes de ce texte. Mais je dirai de la même façon nos propositions sur les points qui méritent largement d’être précisés, à la lumière des travaux scientifiques dont nos auditions nous ont fourni la matière.
Je ne tairai pas non plus les désaccords profonds qui, à notre grand regret, nous conduiront à rejeter ce projet de loi en l’état.
Le principal point d’accord est bien entendu l’incrimination du clonage reproductif. Le présent texte vise à un renforcement du dispositif de prévention et de répression que nous ne pouvons qu’approuver.
S’agissant en cas de maladie génétique de l’obligation d’informer pesant sur le patient vis-à-vis de sa famille, nous sommes d’accord avec la commission pour ne pas pénaliser le refus de prévenir les proches. Comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement. Comme nous le disait le professeur Axel Kahn lors de son audition devant notre commission, il convient de privilégier la discussion avec le médecin à toute injonction législative « plus contre productive que bénéfique ».
Nous nous satisfaisons de la confirmation législative du rôle et du statut autonome du comité national consultatif d’éthique introduite par les députés. Nous proposerons d’aller plus loin en l’ouvrant aux représentants des associations directement concernées par les questions de bioéthique, sur le modèle de la modification très positive introduite par l’Assemblée nationale dans la composition de l’agence de biomédecine. En plus, pour mieux contribuer à l’information et à la consultation des citoyens sur les problèmes soulevés par les progrès de la biomédecine, meilleure façon de se prémunir contre les interprétations hâtives, l’ignorance et l’obscurantisme qu’elle est à même d’engendrer, nous tenons à ce que soit acter dans la loi le rôle majeur en ce domaine du comité national consultatif d’éthique.
Par ailleurs, par nos amendements, nous vous proposons d’améliorer ce texte sur de nombreux points :
Concernant l’Agence de biomédecine : Nous pensons qu’il est nécessaire de lui confier le pouvoir d’autoriser les nouvelles techniques de PMA et de lui permettre d’assurer un suivi effectif de l’état de santé des enfants nés sous AMP.
La récente actualité fait que la question du diagnostic préimplantatoire permettant la naissance d’un enfant indemne d’une maladie génétique immunologiquement compatible avec un aîné atteint de cette même maladie tient une place importante dans nos débats : selon le conseil national consultatif d’éthique, cette pratique serait acceptable si l’objectif de soin vient après le souhait d’avoir cet enfant. Notre commission laisse la porte ouverte à cette possibilité. Nous considérons quant à nous que le désir de l’enfant pour lui-même doit être dûment constatée de façon à prévenir les graves risques d’instrumentalisation du corps humain dans lequel cette pratique pourrait aisément tomber.
Maintenant J’en viens à un autre point, le don d’organes, sur lequel le dispositif envisagé n’est peut être pas à la hauteur des enjeux.
Nous savons tous que les organes à greffer manquent cruellement. Pourtant, nous sommes loin d’avoir tout mis en œuvre pour améliorer cette situation. Pourquoi alors, concernant le prélèvement post mortem, sans aller jusqu’à remettre en cause le principe du consentement présumé et le registre des refus, ne pas préférer positiver davantage cet acte du don qui, avant tout est un acte personnel de générosité. Il pourrait être consigné sur le permis de conduire, la carte vitale ou tout autre document officiel, la volonté positive exprimée sereinement du vivant de la personne.
Quant au don d’organes entre vifs, nous sommes favorables à la mise en place d’une procédure d’urgence et à l’élargissement de la liste des donneurs potentiels.
En ces domaines, des associations sont force de proposition et nous leur reconnaissons un grand mérite : celui de mettre en avant la gratuité, le bénévolat, l’anonymat sans lesquels le don d’organe ne reposerait pas sur des bases légitimes et sereines.
Notre collègue François Autain précisera tout à l’heure sa conception - qui avait d’ailleurs fait l’objet d’une proposition de loi de « testament de vie ». Nous sommes favorables à ce que toute liberté soit donnée à la personne de définir les conditions de sa fin de vie. Ici, le maître mot est l’information.
Après ces modifications, améliorations que nous proposons, j’en viens à des désaccords fondamentaux qui vont fonder notre rejet de ce texte.
La recherche sur l’embryon tout d’abord. Contrairement à notre rapporteur, dont je regrette la frilosité, nous sommes favorables à ce qu’elle soit, par principe, autorisée de manière pérenne, c’est-à-dire qu’elle ne soit pas subordonnée à l’obtention de progrès thérapeutiques majeurs, sans bien sûr nier les exigences de son encadrement.
Compte tenu du retard pris par ce texte et des délais de mise en place de l’agence de biomédecine, nous vous proposerons tout à l’heure par amendement de créer une structure chargée d’examiner très rapidement les demandes des chercheurs.
Cette problématique, comme celle d’ailleurs des nouvelles techniques de PMA, touche au cœur un point sensible, celui du statut de l’embryon. Et là, je dois dire ne pas être surpris du positionnement du Sénat.
D’aucuns ici oublient que le débat concernant le statut de l’embryon et la définition de l’humain a été tranché depuis la loi sur l’IVG en 1974. Le fort peu courageux amendement Garraud, adopté au détour de l’examen du projet de loi sur la grande criminalité, avait déjà pour objectif de remettre en cause la législation qui a constitué une avancée importante dans le droit à disposer de son corps.
Je me réjouis toutefois de voir que le gouvernement a reconsidéré sa position en ne reprenant pas cet amendement dans son texte. Reste que la recherche sur l’embryon est enterrée.
S’agissant ensuite du clonage à visée scientifique, nous réfutons votre incrimination. Certes, il ne peut guère être dissocié du clonage à visée reproductrice, dans la mesure où la recherche sur l’une pratique pourra faire avancer l’autre. Toutefois, nous préférons grandement parier sur la responsabilité de nos chercheurs en leur permettant - avec un encadrement strict - de travailler au traitement de maladies aujourd’hui incurables.
S’agissant enfin, de la brevetabilité des éléments du corps humain, notamment de son génome, mais plus largement, du vivant dans sa totalité, Nous sommes toujours résolument opposés à la position que vous avez prise tout au long de l’examen de ce texte. Vous êtes bien embarrassés et je vous comprends. Comment en effet pouvez-vous, comme le fit M. Matteï, comme vient de le faire M. Douste-Blazy, comme l’a exposé notre rapporteur - avec tout le respect que je lui dois - affirmer à la fois qu’il y a incompatibilité entre la loi française et la directive européenne, sans pour autant avoir le courage politique de revenir sur celle-ci. En cela, les scientifiques vous renvoient dos à dos mes Chers Collègues en disant qu’il appartient au pouvoir politique de renégocier la directive européenne. Au lieu d’en étudier la faisabilité, vous faites de la « haute voltige » pour éviter d’affirmer que vous n’entendez pas revenir sur une directive pourtant largement incriminée par la communauté scientifique et une grande partie des formations politiques.
Résultat, quel retour en arrière ! Le texte de la loi de 1994 disposait : « Le corps humain, ses éléments et ses produits ainsi que la connaissance de la structure totale ou partielle d’un gène humain ne peuvent, en tant que tels, faire l’objet de brevets ». Dès les premières lois de bioéthique, comme le soulignait à l’Assemblée nationale ma collègue et amie Jacqueline Fraysse, l’expression « en tant que tels » avait soulevé nos réticences.
Par la suite, l’adoption de la directive sur la protection juridique des inventions biotechnologiques en 1998 venait confirmer la menace d’une autorisation de breveter des gènes humains. Nous savons tous que M. Jean-François Mattei, alors député, fut à l’initiative d’une pétition pour sa renégociation. Bien sûr, à l’époque, nous l’avions cosignée. Cela signifie-t-il, Mes Chers Collègues, que les charges gouvernementales puissent faire varier les positions éminemment respectables d’hommes et de scientifiques ? Croyez que j’en suis profondément attristé.
En revanche, je puis dire, sans fausse modestie, que les parlementaires communistes avaient, dès la première lecture de ce texte, fait adopter un amendement stipulant qu’ »un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gène, ne peut constituer une invention brevetable ».
Aujourd’hui, je souhaite revenir sur les propos de mon collègue Jean-Claude Lefort à l’Assemblée nationale qui préconise de mettre à profit l’arrivée depuis mai dernier de dix nouveaux membres dans l’Union européenne pour proposer aux vingt-cinq un nouveau projet de directive. Je réaffirme avec lui qu’il faut renégocier au plus vite et, si besoin était, créer une nouvelle exception française au lieu de se cacher derrière la complexité et la lourdeur des décisions européennes.
Avant de conclure, je voudrais rappeler notre inquiétude concernant les risques de discrimination qui pourraient être engendrés par l’usage des caractéristiques génétiques d’une personne. Monsieur le Ministre, je souhaiterais que vous puissiez nous rassurer sur ce point et j’ose faire le lien avec ces dérives potentielles et votre volonté d’instaurer la nouvelle carte vitale aux informations partagées. Partagées par qui ? A quelles fins ?
A travers ce projet de loi, il nous a été donné d’aborder des sujets essentiels dans la mesure où ils concernent l’intégrité de la personne humaine, son devenir, les bases que nous sommes capables de jeter pour permettre aux générations à venir de poursuivre cette réflexion et prévenir les tentations mercantiles en tous genres, la recherche de profit qu’aucune considération humaniste ne peut retenir. Je crains pour ma part que l’immédiateté qui caractérise notre époque ne menace parfois la nécessaire réflexion sur de tels sujets de société. Aujourd’hui, à une question, même fondamentale, la réponse devrait suivre immédiatement, sans considération de hiérarchie des sujets traités. A l’opposé, je crois que nous devons être vigilants pour que demeure la puissance de la réflexion qui précède l’action et qui fait la différence entre l’homme et les autres espèces vivantes. En cela, l’ouverture de la réflexion aux usagers et aux associations, au sein de certains organismes nous semble une excellente garantie d’éducation du citoyen à la vigilance.
Mes Chers Collègues, je vous disais en première lecture sur ce texte que je recherchais les points d’équilibre entre le principe de primauté de la personne humaine, l’inviolabilité du corps humain et l’intégrité de l’espèce humaine avec la liberté de la science et de la recherche, ainsi que le droit de chacun à bénéficier des progrès thérapeutiques. Je n’ai en rien changé ma façon de voir et je constate aujourd’hui que cet équilibre ne se trouve dans le projet de loi que nous examinons.
C’est pourquoi , en renouvelant avec force mon opposition à ce travail bâclé , j’ai le regret de vous faire savoir que le groupe "Communiste, Républicain et Citoyen" se prononcera contre ce texte à défaut de prise en considération de ses amendements.