Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher(e)s collègues,
En rappelant que les députés de la précédente législature avaient adopté, en janvier 2002, le projet de loi dont le Sénat se saisit aujourd’hui, je voudrais tout d’abord m’élever avec force contre les détestables conditions de travail que nous impose le gouvernement.
Situation d’autant plus regrettable que les sujets évoqués touchent aux fondamentaux de l’espèce humaine et que l’appropriation citoyenne de ces questions est loin d’être une réalité.
Pour éviter - soi-disant - de perdre du temps, Monsieur le Ministre, vous avez fait le choix de garder comme socle le texte de l’ancien gouvernement, tout en ne cachant pas votre désaccord sur des volets importants : recherche sur l’embryon ; clonage thérapeutique…
Résultat : Nous n’avons découvert que le vendredi 24 au soir vos 77 amendements sans parler des 60 autres, au lieu de nous présenter un projet de loi différent, réécrit.
Par ailleurs, contrairement à l’examen à l’AN, il n’y a pas eu de commission spéciale de créée.
De plus, aucune des instances consultatives n’a été consultée sur ce nouveau texte qui se devait d’être partagé par le plus grand nombre. Voilà le cas que l’on fait de la représentativité nationale et des instances créées pourtant pour donner des avis éclairés sur des questions aussi fondamentales !
Enfin, puisque notre rapporteur, Francis Giraud a déclaré partager pleinement les orientations de M. Mattei, pourquoi cette gymnastique contraignante de 137 amendements, entre le gouvernement et la commission, qui se recoupent, s’annulent.
Je voudrais enfin préciser l’approche que mon groupe et moi-même faisons de ce texte. Nous avons auditionné, réfléchi, et nous avons l’honnêteté de dire que nous n’avons pas de positions définitives sur certains sujets. Je pense notamment au clonage thérapeutique et à l’évaluation des techniques de procréation médicalement assistée.
Concernant la brevetabilité, je souhaite partir de cet aspect fondamental car elle est révélatrice des contradictions dans lesquelles s’enferre le gouvernement.
Cet aspect du projet de loi est porteur du plus grand danger de marchandisation que les amendements du gouvernement réintroduisent dans un texte qui avait eu le grand mérite de l’écarter clairement.
Je vous rappelle que les dispositions prohibant la brevetabilité d’élément du corps humain ont été introduites à l’Assemblée Nationale à l’initiative des députés communistes. Mon collègue Jean-claude Lefort avait déposé un amendement visant à exclure tout "élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gène" de l’autorisation de brevetage.
Cet amendement avait alors été voté à l’unanimité, y compris par le député que vous étiez alors, Monsieur le Ministre.
Or, force est de constater que les choses n’ont pas évolué positivement depuis, puisque vous nous invitez, en quelque sorte, à transposer la directive incriminée.
Pour nous, seule la renégociation de cette directive européenne est envisagée, et ce, pour deux raisons majeures :
1- Tout d’abord, par souci de clarté ; nous affirmons ainsi que lorsqu’une directive européenne porte atteinte à des droits ou principes fondamentaux - comme c’est le cas - le principe de subsidiarité doit s’appliquer. Nous revendiquons notre droit à rejeter au plan national ce qui est proposé au plan européen.
2- Dans la mesure où cette directive est loin de faire l’unanimité, que notre position serait en rien préjudiciable pour l’Europe, seuls quatre pays de l’Union européenne sur quinze ont aujourd’hui transposé la directive. Cette situation va clairement dans le sens d’une renégociation et il me semble que la France gagnerait à en prendre l’initiative.
C’est pourquoi ce débat me semble constituer l’occasion de redire avec force que le vivant ne peut en aucune façon faire l’objet d’une appropriation par quiconque. C’est un patrimoine commun de l’humanité. Il est, à ce titre, inaliénable et inbrevetable.
C’est le sens d’un de nos amendements qui visent à protéger, non seulement la personne humaine, mais les espèces végétales et animales de toute marchandisation.
J’en viens à présent aux autres points importants de ce projet de loi.
Concernant tout d’abord le clonage reproductif
Après l’annonce d’un hypothétique clonage humain, c’est sans doute le seul point de ce texte qui est devenu audible pour l’opinion publique. On ne peut d’ailleurs que déplorer que les médias, privilégiant les effets d’annonce à sensation, n’aient pas eu le souci de donner à nos concitoyens une information globale sur les enjeux du texte dans son ensemble. Il semble pourtant évident que l’assistance médicale à la procréation, pour ne citer que cet exemple, intéresse concrètement de nombreux couples.
Dans les amendements de la commission, comme dans ceux du gouvernement, je ne puis que souscrire à la prohibition formelle et à l’incrimination de crime contre l’espèce humaine de cette pratique. Pour notre part, nous incriminons le clonage à visée reproductive de crime contre le genre humain.
Une observation tout de même, Monsieur le Ministre, on ne peut dire à la fois - me semble-t-il - une chose et son contraire. Ceci me ramène à mon point précédent, concernant la brevetabilité du vivant.
Puisque vous choisissez d’incriminer clairement cette pratique, comment pouvez-vous, dans le même temps, aligner notre pays sur une directive européenne qui entraîne de facto la brevetabilité du vivant, donc la marchandisation, la porte ouverte à tous les débordements qui existent déjà dans les pays anglo-saxons ? Je souhaiterais vous entendre sur cette contradiction qui n’est peut-être qu’apparente !
Concernant ensuite, le clonage thérapeutique, les recherches sur l’embryon et l’AMP.
J’ai volontairement regroupé ces sujets car c’est bien, dans tous les cas, de recherche qu’il s’agit, de recherches que nous avons la responsabilité d’autoriser ou d’interdire en prenant comme objectif premier l’intérêt des malades qui fondent des espérances sur les progrès des thérapies géniques, des couples en souffrance qui ont de la peine à mener à bien un projet de procréation, de l’utilité et de du nécessaire encadrement de la recherche appliquée à ces problématiques, enfin, de l’indispensable accompagnement des couples et des enfants, dont il n’est guère fait état dans la réécriture que vous nous présentez du texte.
Vous interdisez le clonage thérapeutique par transfert nucléaire et vous l’incriminez.
L’incrimination n’est-elle pas excessive - ou du moins mal différenciée - eu égard aux différents objectifs de recherche qui peuvent pousser un scientifique à cette pratique ? Pour soigner ou pour répondre à la loi du marché ? autrement dit, cette incrimination n’est-elle pas un peu « simpliste », excusez-moi, en ne distinguant pas les objectifs de la recherche en question ? Comment fermer définitivement des portes à la recherche fœtale, s’interdire des pistes de recherche sur l’embryon constitué par clonage, alors que des perspectives thérapeutiques existent ?
Vous faites une exception pour ne pas apparaître trop figé à l’interdiction de recherche sur l’embryon, en permettant, pour une période limitée à cinq ans, que des recherches sur des embryons surnuméraires conçus dans le cadre de l’AMP.
Je ne puis m’empêcher de relever une certaine hypocrisie dans la formulation de cette position. Vous êtes là encore dans la même contradiction que lorsque vous approuvez la non brevetabilité du vivant et que vous avalisez la directive européenne.
Le crime, à mon avis, serait de réimplanter in vivo un embryon ; in vitro, il n’a pas la finalité de devenir un enfant. Je voudrais sur ce point évoquer la définition très claire qui a été faite du statut médical de l’embryon humain par un groupe de travail de l’Académie nationale de médecine, auquel vous apparteniez, Monsieur le Ministre, et qui a rendu ses conclusions en date du 8 janvier 2002.
Le statut médical de l’embryon humain, est-il dit, suppose deux caractéristiques :
1- qu’il soit issu de la fusion de deux gamètes ;
2- qu’il s’inscrive dans un projet parental.
Ces condition lui confèrent le statut de "patient", pour lequel, naturellement, tout doit être fait pour lui assurer les meilleurs soins possibles.
Si, en revanche, le projet parental est abandonné, il devient "un organisme" de surcroît voué à la destruction.
Ce groupe de travail s’étonnait que cet âge de la vie ne puisse bénéficier d’aucune recherche - il est le seul dans ce cas.
Il donnait aux recherches sur l’embryon trois objectifs : d’améliorer les techniques de l’assistance médicale à la procréation ; de comprendre et éviter les anomalies ; de développer nos connaissances fondamentales sur la fécondation.
Il développait la contradiction fondamentale à laquelle nous sommes confrontés, à savoir que ces recherches impliquent le sacrifice de l’embryon… en même temps qu’elles profitent directement à cette catégorie qu’est l’âge initial de la vie.
Voilà de quoi nous rendre modestes et subordonner nos décisions à l’écoute de tous, des scientifiques notamment, de ceux qui appliquent le principe de précaution et confrontent toujours la finalité de leurs recherches aux risques qu’elles font courir à l’espèce humaine.
Je pense que c’est de la qualité de l’encadrement que dépend la dignité que l’on accorde à ces embryons humains, c’est à dire la différence avec un simple matériau biologique.
Il me semble que c’est là le maître mot à considérer concernant cette très délicate question de recherche, de clonage thérapeutique et d’AMP. Prenons l’exemple de l’ICSI (injection intracytoplasmique de sperme).
Par amendement du Rapporteur, l’Assemblée Nationale avait mis en place un dispositif spécifique d’évaluation des nouvelles techniques d’AMP justifié par les inquiétudes soulevées par cette nouvelle pratique passée dans la PMA sans évaluation préalable.
Selon vous, Monsieur le Ministre, cette disposition serait source de difficultés dans la mesure où le texte, par ailleurs, interdit la conception in vitro d’embryons humains à des fins de recherche et qu’elle implique l’existence de lots d’embryons témoins. Là est bien , à mon sens, le problème crucial et la contradiction que vous n’affrontez pas.
J’en viens maintenant aux greffes et dons d’organes
Alors que l’Assemblée nationale avait ouvert la possibilité de don d’organes entre vifs, la commission resserre les conditions du don. Certes, je ne nie pas que les pratiques du don d’organes et de tissus humains requièrent un solide encadrement. En effet, nous touchons là à un sujet qui fait encore l’objets de nombreux tabous ; par ailleurs, c’est toujours dans des circonstances douloureuses que les familles sont confrontées à ce choix.
L’Association Française pour l’Information sur le don d’organes ou de tissus fait des propositions qui me semblent pertinentes.
L’idée générale est de développer le civisme, d’une part, de permettre au corps médical de gagner du temps, d’autre part. Ainsi, ne serait-il pas juste de se ranger sur la position de cette association, qui préconise une vaste campagne d’information visant à permettre le positionnement du citoyen, positionnement contre, ou positionnement pour.
Concernant enfin, la création de l’Agence de biomédecine que vous nous proposez, Monsieur le Ministre.
Certes, il existe actuellement neuf agences de santé publique, dont les compétences se superposent dans certains cas. Nous vous rejoignons donc sur la nécessaire simplification des instances de contrôle et d’évaluation.
Ce sera, je pense, notre seul point d’accord avec vous. En effet, vous souhaitez la création d’une super-structure de toute évidence omnipotente. Cela nous paraît particulièrement grave pour la démocratie. Sous votre seule tutelle, un directeur général aux pouvoirs exorbitants décidera des recherches à autoriser et les contrôlera, élaborera la réglementation, … prendra au nom de l’Etat toutes les décisions, sans aucune possibilité de recours hiérarchique.
Vous allez bien sûr me répondre que l’Agence est dotée d’un conseil d’orientation médical et scientifique. Le problème, c’est que la composition de cette dernière est loin d’être satisfaisante. Les familles de malades ne sont même pas spécifiquement prévues. Les scientifiques sont majoritaires. Drôle de conception de la démocratie que de réserver des débats majeurs à un cercle étroit de spécialistes ! Pour montrer le peu de cas que vous faites de la représentation nationale, vous supprimez purement et simplement la possibilité offerte au Parlement de se pencher sur la révision de la loi que nous examinons.
Au cours de ce débat, notre réflexion sera guidée en permanence par l’intérêt général, celui des femmes, des enfants nés ou à naître, de l’homme en général.
Les réponses que nous cherchons à apporter aux problèmes engendrés par le développement des sciences et des techniques ne sont ni évidentes ni définitives.
Ces choix de société sont d’autant plus difficiles que ces décisions échappent aujourd’hui à tout véritable débat public.
Quelles que soient nos questionnements en la matière, ce qui nous importe au premier chef est la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, afin d’éviter son instrumentalisation. Ce principe constitutionnel duquel découlent les principes de la primauté de la personne humaine, de l’inviolabilité du corps humain, ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine doit aussi pouvoir être concilié, combiné avec ceux de la liberté de la science, de la recherche, et le droit de chacun à bénéficier des progrès thérapeutiques.
C’est ce point d’équilibre que, dans notre contribution à ce débat, nous essayerons en permanence de rechercher.