Assistants maternels et familiaux

Publié le 19 mai 2004 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Odette Terrade

Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes chers Collègues,

Indiscutablement, comme l’a rappelé le Haut Conseil de la population et de la famille dans son rapport de janvier 2003, « En un siècle, une question qui ne se posait pas - comment faire garder ses enfants ? - est devenue une préoccupation de premier plan pour la majorité des familles », voire un parcours du combattant pour une majorité de femmes actives professionnellement, une question douloureuse pour les familles monoparentales.

Les parents des 2,3 millions d’enfants de moins de trois ans expriment des besoins nécessairement évolutifs, eu égard notamment aux contraintes liées à leur emploi, à l’évolution des modes de vie. Mais avec constance, ils portent l’exigence de la qualité de l’accueil de leurs jeunes enfants.
Exigence somme toute légitime, la petite enfance étant un moment clé pour la structuration de l’individu.

En retour, les réponses apportées par l’Etat, les collectivités locales, les associations, le régime de protection sociale, restent insuffisantes, très disparates selon le territoire, trop inégalitaires. De nombreuses études le montrent, la liberté de choix des modes de garde n’est que théorique et souvent illusoire.
Je sais, mes chers collègues, qu’il est confortable de penser que si nos concitoyens optent majoritairement pour l’accueil par un assistant maternel, c’est parce qu’ils considèrent ce mode de garde comme le meilleur. Au moins ainsi, cela évite de réfléchir aux responsabilités qui sont les nôtres pour encourager, sans exclusive, l’offre des différents modes de garde et pour véritablement solvabiliser les parents.
La réalité, concernant le choix des familles, mes chers collègues, c’est qu’il est largement contraint par la pénurie quantitative et qualitative des modes de garde disponibles.

C’est aussi, que ce choix est fortement prédéterminé par le niveau de revenus des foyers.
C’est en tenant compte de l’ensemble de ces éléments, qu’aujourd’hui nous abordons la mise en débat du projet de loi relatif aux assistants maternels et assistant familiaux.
On ne peut faire grief au gouvernement de vouloir avancer dans ce domaine, tant il est vrai qu’un réel consensus existe autour de la nécessité de faire évoluer le statut des assistants maternels, tel qu’il résulte de la loi de 1992 ; « statut dérogatoire et contesté » pour reprendre l’intitulé d’une étude publiée en 1999 dans « l’actualité juridique - fonction publique ».

Comment, en effet, se satisfaire plus longtemps du fait que le statut des assistants maternels fasse « référence à un droit mixte » à savoir « dépendant pour partie du droit privé et pour partie du droit public » ; qu’il diffère selon la qualité de l’employeur et soit source d’instabilité et de fortes inégalités, notamment en matière de rémunération ?
De même, comment continuer plus longtemps à justifier la place singulière, au sien de la fonction publique, faite aux assistants maternels qui ne bénéficient ni du statut de fonctionnaire, ni pleinement du statut de droit commun des agents non titulaires de droit public des collectivités locales ?

Enfin, comment rester sourd aux revendication anciennes et légitimes des héritières des nourrices - assistants maternels accueillant à titre permanent des mineurs extrêmement fragiles, maillons essentiels de la politique sociale à l’enfance - assistants maternels accueillant à la journée des enfants - exerçant toutes une activité sociale, certes particulière, car mêlant intimement un espace privé, familial et un investissement professionnel mais essentiel pour la société ?

En 2001, le gouvernement précédent, par l’intermédiaire de Ségolène Royal, s’était à juste titre saisi de ces questions touchant à la réforme du statut des assistants maternels et, plus globalement, à la professionnalisation des métiers de la petite enfance, gage de fidélisation des intervenants et de qualité pour les parents.
Votre prédécesseur, Madame la Ministre, a poursuivi la concertation avec la profession.

Pour autant, on ne peut pas dire que le gouvernement Raffarin ait tout mis en œuvre pour lever les obstacles pour faire aboutir les propositions convergentes des organisations syndicales visant à terme à concevoir des cadres de métiers pour les assistants familiaux et assistants maternels employés par les collectivités.
Auditionnée par la Commission des affaires sociales, la semaine dernière, Madame la Ministre, vous vous êtes ouvertement déclarée défavorable à l’intégration des assistants maternels dans la fonction publique territoriale, « estimant qu’un tel statut serait incompatible avec la nécessaire souplesse de l’accueil ».
Si vous concédez qu’il « convient désormais de leur reconnaître - aux assistants maternels - toutes les caractéristiques d’un véritable métier de l’enfance », vous n’en tirez pas toutes les conséquence. Autant dire dans ces conditions que la reconnaissance des personnels accueillants restera partielle.

On ne peut pas dire non plus que ce gouvernement ait fait preuve d’une réelle volonté politique pour structurer et développer un vrai service public d’accueil des jeunes enfants, en l’occurrence un service diversifié, de qualité.
Je dois dire, que la rupture dans la conception même des modes de garde est largement consommée.

Au lieu de gommer la concurrence existant de fait entre les différents modes de garde, par le biais d’aides fiscales, par la création d’équipements ou par l’allocation de prestation, vos choix traduits dans le PLFSS pour 2004, comme dans la loi relative à la protection de l’enfance, illustrent votre volonté de privilégier l’accueil individuel par des assistantes maternelles, la plupart du temps trop isolées ou par des employées de maison échappant, elles, aux exigences minimales de professionnalisation.
L’objet de mon propos n’est pas de stigmatiser tel mode de garde, de dévaloriser certains accueillants. Il s’agit uniquement de dénoncer les options de garde ne satisfaisant pas au préalable pourtant incontournable en ce domaine, l’extrême professionnalisation des intervenants, en l’occurrence.

Cette condition pour que l’accueil soit réussi dans un mode de garde est essentiel comme l’a rappelé Sylviane Giampino, psychanalyste et psychologue (Réalités familiales mars 2001). Sont évidemment nécessaires, des connaissances approfondies en puériculture, en psychologie et pédagogie ; la formation permanente et le travail en réseau pluri-professionnel.
Les structures collectives ne sont pas à l’abri de ce problème qualitatif, dans la mesure où, la réactualisation du décret de 2000 est justement voulue pour revoir à la baisse certaines exigences en terme de qualification des personnels et normes d’encadrement.

Vous l’aurez compris, je l’espère, mes chers collègues, nous ne sommes pas, par principe, comment l’être d’ailleurs, opposés à tout développement quantitatif de l’offre de garde privée. Par contre, nous ne pouvons cautionner que, pour des raisons « idéologiques » mais surtout budgétaires, ce gouvernement cède en quelque sorte, ou ne soit pas assez ambitieux, sur le développement qualitatif de l’offre de garde et favoriser ainsi l’accueil le moins coûteux pour la collectivité.
Vous me répondrez, mes chers collègues, que le gouvernement bénéficiant de votre soutien a créé la PAJE dont le complément de libre choix de mode de garde est censé solvabiliser l’ensemble des familles, y compris les plus modestes.

Je tiens néanmoins à nouveau, à vous faire observer que la PAJE n’est qu’un pis aller, un leurre. D’abord, elle ne concerne pas les parents dont les enfants sont accueillis dans un équipement public. Ensuite, cette prestation, censée permettre aux parents de choisir librement le mode de garde de leur enfant incite justement les mères à rester au foyer. Enfin, faute de construire des structures collectives nouvelles, la pauvreté persistante du choix en matière d’offre, conjuguée au peu d’avancées concrètes induites pour les assistants maternels par le présent texte, conduira les familles à devoir augmenter davantage leur taux d’effort pour le financement de la garde de leurs enfants.

Dois-je également vous rappeler, mes chers collègues, que jamais le gouvernement n’aura autant pesé pour pousser l’envol des structures collectives privées. Ces dernières peuvent, désormais, largement bénéficier et des fonds d’investissement et de fonctionnement des CAF, et du complément du mode de garde versé au parents. Sans oublier les aides défiscalisées des employeurs !
Mes chers collègues, décidément tout dans la politique familiale de ce gouvernement semble aller à rebours des besoins du plus grand nombre.
Que dire, du contexte économique et social d’une violence sans précédent pour le pouvoir d’achat, l’emploi, le logement des familles ?

On ne peut prétendre d’un côté, tenir au principe d’égalité entre les hommes et les femmes, vouloir aider à la conciliation entre l’activité professionnelle et la vie familiale et privilégier parallèlement les formes de travail précaire, dont le travail à temps partiel ou envisager le dynamitage des 35 heures.
Pour apprécier à sa juste valeur le texte que nous examinons ce jour, je crois, que les précédents développements, replaçant ce dernier dans le cadre plus global de la politique familiale suivie depuis deux ans s’imposaient.

Sans entrer véritablement dans le détail des articles, nous y reviendrons lors de la présentation de notre vingtaine d’amendements, je tiens maintenant à vous livrer les premières impressions des sénateurs communistes sur le texte lui-même.
Elles sont moins tranchées, plus en demi-teinte, que nos remarques portant sur les orientations de la politique familiale du gouvernement ou, sur la méthode choisie, parcellaire et sous dimensionnée pour traiter, au détours de texte épars, de la protection de l’enfance et ce, alors même que les professionnels attendent une loi - cadre -

Nous sommes conscients de la difficulté de trouver le juste équilibre entre la souplesse attendue de ce mode de garde pour les parents ; la protection contre la précarité défendue par les assistants maternels et, la qualité requise pour le bien être et la dignité de l’enfant.
Reste tout de même un sentiment d’incomplète satisfaction.
Ce texte, censé permettre le franchissement d’étapes décisives pour les assistants maternels, reste muet sur des questions essentielles, telles que la protection sociale, la garantie du niveau de salaire ou, la professionnalisation des métiers.
C’est comme si les propositions formulées pour les assistants maternels exerçant dans le cadre des crèches familiales n’existaient pas.

Le rapporteur pour la Commission des affaires sociales semble, lui aussi, regretter l’absence de mesures plus détaillées, puisqu’il formule un certain nombre de vœux, dont un concernant la rémunération des assistants familiaux comme des assistants maternels.
Sur ce sujet, comme sur la retraite ou les passerelles, servant à la qualification, nous avons quant à nous jugé utile de finaliser diverses propositions d’amendements.

D’une manière générale toujours, les renvois quasi systématiques à des mesures réglementaires s’agissant de disposition ayant des incidences financières évidentes sur les départements ou les employeurs privés nous semblent préjudiciables. C’est le cas notamment de la formation antérieure à l’accueil et de la formation continue.
Concernant la délivrance de l’agrément, son contenu et son contrôle, dans l’intérêt de l’assistant maternel et de l’enfant, là encore nous proposons d’être plus précis pour assurer sur l’ensemble du territoire, une égalité de traitement et rappeler l’Etat à ses responsabilité.

Enfin, sur un autre aspect important du texte, celui de l’application des règles de droit commun du code du travail, nous divergeons plus radicalement.
Vous semblez, Madame la Ministre, ouverte aux préconisations du rapporteur visant à assouplir les limitations introduites à la durée du temps de travail notamment, alors que ce sont contreparties nécessaires mais insuffisantes à l’assouplissement des conditions de l’agrément portant à un nombre indéterminé, le nombre d’enfants pouvant être accueillis.

Au final, entre les dispositions que nous apprécions positivement et celles dont la présence ou l’absence nous semble être difficilement acceptable, le bilan reste négatif. Je crains fort que nos discussions, l’adoption de certains amendements de la majorité, ne nous obligent à nous abstenir sur un texte, je le rappelle, n’apportant pas les réponses adéquates aux enjeux de la professionnalisation des assistants maternels et assistants familiaux.
Nous suivrons donc avec attention nos débats.

Odette Terrade

Ancienne sénatrice du Val-de-Marne

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