Intervention de Michel Billout, président du groupe d’amitié "France-Hongrie" du Senat. BUDAPEST, 6 et 7 juillet 2011
Débat : les réformes des collectivités locales et de leur fiscalité
En 2007, Nicolas Sarkozy, alors candidat à l’élection présidentielle, avait indiquer vouloir réformer les collectivités territoriales pour encadrer et définir plus précisément les compétences de chaque échelon.
30 ans après les premières lois de décentralisation, il entendait les « rénover ».
Ainsi, les objectifs déclarés de la réforme soumise au parlement en 2010 visaient à simplifier l’architecture territoriale, à clarifier les compétences des différents échelons et à mieux prendre en compte le « fait urbain ».
Pour faire simple, la réforme prétend répondre à une triple ambition : simplifier, démocratiser, adapter.
1. Simplifier
Considérant qu’il fallait mettre fin à un empilement trop important des échelons de collectivités, le Gouvernement a souhaité regrouper les collectivités autour de 2 pôles :
un pôle départements-régions
A partir de 2014, les élus des conseils généraux et des conseils régionaux fusionneront en un mandat unique : les conseillers territoriaux. Ces conseillers territoriaux siègeront à la fois au niveau départemental et régional.
un pôle communes-communautés de communes et d’agglomérations
D’ici le 30 juin 2013, le gouvernement souhaite achever la couverture intercommunale en veillant à ce que toutes les communes françaises aient rejoint une communauté de communes ou d’agglomérations, ce que l’on appelle un établissement public de coopération intercommunale, dont les compétences vont se voir progressivement renforcées.
Des pouvoirs spéciaux sont attribués aux Préfets pour créer, étendre ou fusionner des communautés de communes après avis d’une commission départementale composée d’une représentation des élus de chaque département.
La loi encourage également la fusion de communes, de départements ou de régions.
2. Clarifier les compétences et encadrer les subventions aux collectivités
La loi détermine les compétences attribuées à chaque niveau de collectivités. Ce n’est qu’à titre exceptionnel qu’une compétence pourra être partagée entre plusieurs collectivités. Alors qu’auparavant tous les niveaux pouvaient décider de leurs domaines d’intervention et de leur niveau financier.
Seuls le sport, la culture, le patrimoine et le tourisme, considérés comme spécifiques, resteront des compétences partagées entre les trois niveaux de collectivités.
Une loi future doit préciser comment seront organisées les compétences des départements et des régions.
3. Prendre en considération le « fait urbain »
Le Gouvernement a souhaité que soit prise en considération l’urbanisation croissante de notre pays. Il s’agit ainsi de créer de grandes agglomérations pouvant concurrencer d’autres grandes zones urbaines européennes et mondiales.
Ainsi, des nouveaux cadres institutionnels ont été créés :
la métropole, qui devra constituer un ensemble d’un seul tenant de plus de 500 000 habitants aura des compétences renforcées.
Les métropoles disposeront de compétences déléguées de plein droit
• par les communes en matière de développement et d’aménagement économique, social et culturel, d’aménagement de l’espace métropolitain, de politique locale de l’habitat, de politique de la ville, de gestion des services d’intérêt collectif, de protection et de mise en valeur de l’environnement ;
• par le département en ce qui concerne les transports scolaires, la gestion de la voirie, les zones d’activités économiques ;
• par la région à travers la promotion à l’étranger du territoire et de ses activités économiques
Par voie conventionnelle, d’autres compétences communales, départementales ou régionales pourront être déléguées à la métropole comme la gestion des écoles, des collèges et des lycées.
Le Gouvernement a accompagné la réforme de l’organisation et des compétences des collectivités d’une profonde réforme des finances et de la fiscalité des collectivités locales.
Ainsi la taxe professionnelle, qui imposait les artisans, les commerçants et les entreprises a été supprimée. Le taux de cette taxe était fixée par les élus de chaque collectivité et représentait, en moyenne, la moitié des ressources des collectivités. Elle a été remplacée par une Contribution économique territoriale composée de deux éléments :
le plus petit, une cotisation foncière des entreprises assise sur les bases foncières dont le taux reste fixé par les élus locaux ;
le plus important, une cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dont le niveau est fixé par le parlement et redistribué aux collectivités par de savants calculs.
Mais cette réforme ne se fait pas sans difficulté.
Outre la réforme de la fiscalité locale, la réforme des collectivités, il faut le souligner, a été adoptée par une très faible majorité au Sénat, qui est la chambre représentant les collectivités territoriales françaises.
En effet, elle suscite d’importantes inquiétudes car la libre administration des collectivités peut être remise en cause. Or, ce principe de libre administration des collectivités est consacré par la Constitution à l’article 72 troisième alinéa et les élus locaux y sont profondément attachés.
En ce qui concerne les communautés de communes et d’agglomérations, nous passons de la libre construction des regroupements de communes à un régime plus contraignant que peut imposé le représentant de l’Etat dans les départements.
Le mouvement de recentrage en deux grands pôles de collectivités : département-région et communes-communautés de communes, auquel il faut rajouter l’effet de la création des métropoles, peut avoir comme conséquence la disparition de certains niveaux de collectivités.
Par exemple, la création du conseiller territorial qui administrera la région et le département risque de doner la primauté à l’une des deux, très probablement la région, le département devenant un niveau de gestion administrative mais plus un niveau d’exercice de la démocratie.
Il en va de même pour certaines communes, qui, poussées par la mutualisation des services et les contraintes budgétaires, pourraient fusionner avec d’autres.
La création des métropoles peut préfigurer également à terme la disparition de certaines régions. La fusion des deux régions Normandie – Basse et Haute Normandie – est ainsi déjà évoquée.
Ou de certains départements comme la Savoie et la Haute -Savoie.
Et ce risque de disparition de certaines collectivités sera accentué par la pression budgétaire qui leur est imposée.
En effet, non seulement la libre administration des collectivités est fragilisée du point de vue des compétences qu’elles sont amenées à exercer, mais leur situation financière qui se dégrade amenuise leurs marges de manoeuvres.
Par phases successives d’exonérations fiscales compensées par des dotations de l’Etat, puis par la supression de la taxe professionnelle, l’autonomie fiscale des collectivités territoriales est en très net recul. Selon les points de vue et les niveaux de collectivités, elle se situerait aujourd’hui entre 10 et 40%. Les autres recettes dépendant exclusivement du budget de l’Etat.
Il y a une vingtaine d’années, les taxes locales représentaient la majorité des recettes. Les collectivités sont donc de plus en plus placées sous tutelle de l’Etat.
Il faut d’ailleurs noter une véritable contradiction. Alors que l’Etat reprend la main sur l’organisation budgétaire des collectivités afin de les faire contribuer à la réduction des déficits publics, qu’elle n’ont d’ailleurs pas creusé, les transferts de charges de l’Etat sur les collectivités s’accroissent fortement et régulièrement. Le grand mouvement de réduction du nombre de fonctionnaires d’Etat renforce encore cette situation puisque les collectivités se voient contraintes d’exercer, avec leur personnel, des missions ou des services confiés auparavant à l’Etat.
L’Autonomie fiscale qui se réduisant, les transferts de charges de l’Etat de plus en plus importants, la part de dépenses obligatoires dans les budgets locaux s’accroît donc mécaniquement.
Le rôle des élus risque donc de s’affaiblir s’ils n’ont plus les marges de manoeuvre financière nécessaire à la mise en place des politiques pour lesquelles ils ont été élus.
Il y a donc, avec ces réformes, un enjeu de démocratie locale considérable.
Comme vous le savez très certainement, nous sommes à l’aube d’importantes élections en France.
D’abord, en septembre prochain, la chambre des collectivités territoriales, le Sénat sera renouvelé de moitié. La majorité actuelle devrait se voir réduite.
Ensuite, auront lieu les élections présidentielle et législatives au printemps 2012.
Or, d’ores et déjà, la Gauche s’est engagée, si elle venait à remporter ces élections, à revenir sur un certain nombre de dispositions importantes de la réforme des collectivités locales dont je viens d’énoncer les grands principes.
La question que l’on peut donc légitimement se poser est celle de savoir si cette réforme, dont les débuts d’application rencontrent de forte résistance, tant au niveau local qu’au niveau constitutionnel, ira jusqu’au bout de ses objectifs et même si elle résistera à un éventuel changement politique en 2012.