Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous soumettons à votre approbation a un objet simple : inviter le gouvernement français, qui va présider le Conseil de l’Union européenne à compter du 1er janvier, à engager au plus vite une nouvelle initiative internationale multilatérale en vue d’aboutir à la concrétisation d’une solution à deux États passant par la reconnaissance d’un État palestinien aux côtés de l’État d’Israël.
Pourquoi cette initiative ? Et pourquoi maintenant ? Parce que, sans une telle initiative, l’inaction internationale perdurera face à la violence de la colonisation qui continue de se déployer en toute impunité, au mépris de toutes les résolutions de l’ONU votées par la France comme par la grande majorité de la communauté internationale.
Parce que, si cette violence perdure, la paix ne viendra jamais, ni pour les Palestiniens ni pour les Israéliens, et ce foyer d’insécurité régionale et internationale ne sera jamais éteint. Jamais ne sera acceptée l’annexion par Israël des terres destinées à un État palestinien, comme l’a montré en mai dernier la révolte massive de la jeunesse palestinienne dans tous les territoires, y compris en Israël. Cette révolte a envoyé un message au monde entier : la conscience nationale palestinienne est toujours là, debout.
Parce que la France, enfin, est la mieux placée pour prendre cette initiative, après le discrédit du prétendu deal du siècle scellé par l’administration de Donald Trump.
Deux ans après le vote par notre assemblée, et par l’ensemble du Parlement, d’une résolution sur la reconnaissance d’un État de Palestine, à la fin de 2014, la France était, le 15 janvier 2017, à l’initiative d’une rencontre réunissant 70 pays pour relancer une dynamique internationale en faveur d’un processus de règlement politique. C’était, à l’époque, un nouvel espoir.
Nous savons qui a brisé l’élan alors suscité : Donald Trump, investi à la tête des États-Unis à peine cinq jours après ce sommet de Paris. Il avait annoncé la couleur dès sa campagne électorale… Dès décembre 2017, malgré la désapprobation internationale, et celle de la France, il a reconnu Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël, au mépris des résolutions 181 et 242 des Nations unies et de l’accord d’armistice de 1949, et préparé le déménagement de l’ambassade alors située à Tel-Aviv.
En 2018, le président des États-Unis portait ses coups directement contre les Palestiniens en fermant la représentation diplomatique de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Washington et en divisant par deux la contribution états-unienne à l’UNRWA. Un an plus tard, la Maison-Blanche rétrogradait le niveau de sa représentation diplomatique auprès des Palestiniens, tout en entamant des discussions avec Israël autour de ce que Tel-Aviv et Washington allaient improprement baptiser le deal du siècle.
Cet accord, présenté en janvier 2020 et discuté uniquement avec le gouvernement de Benyamin Netanyahu, était une caricature, visant à enterrer une solution de paix juste et durable.
En autorisant l’annexion de la vallée du Jourdain et d’un tiers de la Cisjordanie, en légalisant les colonies du plateau du Golan syrien et de Jérusalem-Est, Washington privait les Palestiniens de 70 % de leurs territoires reconnus dans la limite des frontières de 1967 et d’une future capitale pour leur État.
En autorisant l’État d’Israël à créer un statut de résident, aux droits civiques et de circulation limités, pour les Palestiniens installés dans les territoires occupés ou annexés, et en rejetant tout droit au retour des réfugiés palestiniens, il foulait aux pieds, une fois encore, le droit international.
Ce plan, largement critiqué par la très grande majorité des États du monde, n’offrait aucune solution crédible.
Malheureusement, s’il a, plus que jamais, mené le conflit dans l’impasse, et a été compris par les gouvernements israéliens successifs comme un feu vert donné à l’accélération de l’annexion et de la colonisation, il a aussi conduit l’ensemble des acteurs internationaux, dont la France, à un attentisme coupable : il fallait attendre, toujours attendre, de voir ce que donnerait le plan américain. Aujourd’hui, on a vu et il faut sortir d’urgence de cet immobilisme, qui devient sinon une complicité de fait, malgré nos déclarations officielles, avec la politique d’annexion des autorités israéliennes.
L’élection de Joe Biden a tourné une page, dans la mesure où le plan Trump n’est plus la feuille de route officielle de l’administration américaine. Mais tout le monde sait que l’administration Biden ne prendra pas d’elle-même, pour le moment, d’initiative majeure. C’est pourquoi la France doit le faire, comme elle l’avait fait en 2017. C’est ce que le ministre palestinien des affaires étrangères et la nouvelle ambassadrice de Palestine en France sont venus dire à la France lors du Forum de la paix et, ici même, au président du Sénat lors d’une entrevue à l’occasion de ce Forum. La France est attendue. Elle peut jouer un rôle essentiel. Le Sénat, en adoptant cette résolution, peut contribuer à ce déblocage.
Car nous ne pouvons détourner le regard. Sur place, la situation est plus dramatique que jamais.
Une fois la page Netanyahu tournée, la colonisation repart de plus belle, avec la nouvelle coalition menée par Naftali Bennett. Fervent défenseur de la colonisation et de l’annexion, ce dernier accélère la politique agressive de son prédécesseur.
Les enquêteurs dépêchés par l’ONU, mais aussi la quasi-totalité des nombreuses organisations non gouvernementales présentes dans les territoires palestiniens, attestent tous de cette augmentation des violences, des expulsions, des déplacements forcés et illégaux de populations palestiniennes.
Le rapport de l’organisation non gouvernementale Breaking the Silence paru en juillet dernier est très clair : « Cette violence est un instrument pour s’approprier plus de terres. […] La frontière est très mince entre les colons, pour certains armés par le ministère de la défense, et les soldats qui, parfois, vivent eux-mêmes dans les colonies ou partagent la même idéologie. » Le résultat est un système où l’armée « au mieux ignore, au pire se fait complice de la violence des colons » avec des soldats devenant « les gardes du corps de colons qui violent la loi ».
Les violences ont atteint un tel stade que ce sont aujourd’hui la Cour pénale internationale et une commission d’enquête spéciale de l’ONU qui mènent des investigations contre Israël pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et atteintes aux droits humains.
Qu’est devenu le projet de David Ben Gourion qui, dans sa déclaration du 14 mai 1948, proclamait : « Israël assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyances, de race ou de sexe » ? Qu’est devenu son appel à la paix, assurant qu’Israël tendait « la main de l’amitié, de la paix et du bon voisinage à tous les États » ?
Qu’ont fait les gouvernements Netanyahu et Bennett de la déclaration de Yitzhak Rabin du 4 novembre 1995 : « La violence sape les bases de la démocratie israélienne. Elle doit être condamnée et isolée. Ce n’est pas la voie d’Israël. […] Je veux dire sans détour que nous avons trouvé un partenaire pour la paix chez les Palestiniens, l’OLP. »
Le gouvernement de Naftali Bennett poursuit activement le plan de planification routière entamé par Benyamin Netanyahu. Ce vaste projet, qui a conduit à construire plusieurs centaines de kilomètres de routes dans les territoires occupés, vise un quadruple objectif : appliquer de facto une souveraineté d’Israël sur les territoires occupés, quadriller et scinder les territoires palestiniens, faire des colonies des banlieues d’où aller rapidement dans les centres économiques, et éviter aux colons la traversée de villages palestiniens.
Ce projet, inacceptable pour les Palestiniens, contraire à tous les engagements internationaux et à ceux de la France, hypothèque aussi gravement l’avenir pour les Israéliens. Les colonies ne sont pas viables économiquement, et l’avenir économique d’Israël repose aussi sur le travail de Palestiniens de plus en plus nombreux. Que veut devenir Israël ? Un régime d’apartheid ? Où mène, en fait, ce projet méthodiquement appliqué pour expulser, en toute illégalité, les Palestiniens de territoires que la communauté internationale leur reconnaît ?
Lors du débat organisé au Sénat sur notre initiative l’an dernier, l’ensemble de nos groupes, et le Gouvernement, qualifiaient le moment que nous vivions de « tournant historique ». Historique, car de la réaction internationale au plan Trump dépendraient la crédibilité de nos organisations multilatérales et la viabilité d’une perspective de paix entre Israéliens et Palestiniens.
Aujourd’hui, il est temps de reprendre le chemin de l’action, d’autant plus qu’il faudra encore du temps pour aboutir.
Notre proposition de résolution est un encouragement à l’action, pour que les paroles ne deviennent pas vides de sens. Les conditions de la réussite ne sont pas encore réunies, nous diront peut-être certains, mais c’est l’inaction qui construit chaque jour le chemin périlleux et indigne vers un point de non-retour qui signifiera inévitablement de nouvelles explosions meurtrières. Nous affirmons tous ici notre attachement à la solution à deux États. Cet attachement doit aujourd’hui se prouver par l’action. Il y va de la crédibilité de notre parole sur la scène internationale, alors que pas moins de 395 résolutions des Nations unies ont jusqu’ici été adoptées.
Mes chers collègues, le Sénat s’honorerait de voter unanimement cette résolution.