La mort, dans des circonstances tragiques, de quatre de nos soldats en Afghanistan donne une signification toute particulière au projet de loi que nous examinons cet après-midi.
Il nous rappelle qu’un soldat français, envoyé par le gouvernement de la République, meurt toujours pour la France.
J’ai une pensée particulière pour la douleur des familles de ces hommes qui ont été lâchement abattus, alors qu’ils étaient venus dans ce pays avec la conviction de défendre des valeurs universelles.
Dans de telles circonstances, l’examen de ce projet de loi inciterait à ce qu’il soit consensuel.
Méfions nous cependant de ces lois adoptées sous le coup de l’émotion.
J’éprouve en effet quelques réticences aux appels au rassemblement, à l’union nationale, aux bons sentiments quand ils sont lancés en temps de crise et en période électorale.
Pourtant, il pourrait sembler naturel et logique de faire évoluer les cérémonies anniversaire de l’armistice de 1918 afin d’éviter que la commémoration du 11novembre ne tombe en désuétude.
Mais quelle urgence y a-t’il donc à légiférer sur l’organisation et la signification de ces cérémonies, dix mois avant les prochaines commémorations, et deux ans avant le centenaire de la guerre de 14 ?
Cette précipitation autorise vraiment à penser que ce texte traduit implicitement la volonté du Président de la République d’ajouter cette profonde modification de nos traditions à l’édifice de l’histoire nationale, avant la fin de son quinquennat.
Comme sur d’autres sujets tout aussi importants, cette décision sent l’électoralisme car il s’agit à l’évidence de donner satisfaction à une partie de nos concitoyens sensibles à ces questions avant l’élection présidentielle.
Cette façon empressée, précipitée, de transformer la signification d’une de nos grandes commémorations nationales, laisse la désagréable impression que le gouvernement ne souhaite pas, en tout cas, un véritable débat sur la politique de mémoire.
Il contribue même, en entretenant la confusion et le nivellement des évènements, à un travail de démolition des diverses mémoires.
Légiférer sereinement sur le sens à donner aux manifestations du souvenir aurait nécessité de débattre publiquement avec l’ensemble de la société, plus longuement et de manière plus approfondie.
Ce débat aurait pourtant toute sa raison d’être, comme je viens de le dire, puisqu’il permettrait d’évoquer tant de périodes, souvent douloureuses de notre histoire, dont les causes et la signification sont différentes.
Et je puis en témoigner, en particulier dans une région comme la mienne qui a tant souffert.
Dans ces conditions, la décision du Président de la République de fixer au 11 novembre la commémoration de tous les « morts pour la France » pour donner plus de solennité à ces cérémonies, comme vous le suggérez monsieur le ministre, et permettre d’inclure les soldats tombés en opérations extérieure en reliant par le souvenir toutes les générations du feu, cette décision n’est pas, à notre avis, à la hauteur des valeurs qu’elle pourrait mettre en cause.
Par ailleurs, l’Assemblée nationale a renforcé l’obligation d’inscrire ces sur les monuments aux morts de nos communes, et notre commission des Affaires étrangères et de la Défense a, à juste titre pour dissiper tout malentendu, clairement rajouté à la loi que cet hommage transformé ne se substituait pas aux autres journées de commémoration nationale.
Mais pourtant des questions importantes surgissent et des problèmes de fond n’ont pas été clairement tranchés par les débats à l’Assemblée ni dans notre commission.
Car le diable se cache dans le détail.
La modification du caractère mémoriel de la commémoration du 11 novembre, en rendant hommage à l’ensemble des « morts pour la France » et en amalgamant, de fait, les dates et les conflits, risque d’accréditer l’idée qu’au final peu importe les raisons pour lesquelles des militaires et des civils ont perdu la vie, et en même temps de faire perdre sa spécificité à cette commémoration.
Est-ce le meilleur moyen faire vivre le devoir de mémoire et d’entretenir le souvenir ?
La Première Guerre mondiale est, par le drame qu’elle a représenté, un élément fondateur du siècle dernier.
Sa dimension est aussi historique par le nombre d’Etats qui ont été engagés dans ce conflit. Sa dimension inédite, c’est également d’avoir redessiné la carte de l’Europe et profondément influencé l’histoire géopolitique du XXe siècle.
Mais le 11novembre doit, peut-être avant tout, rester l’évocation de ce terrible carnage qui a touché toutes les familles françaises et fait plus de dix millions de morts de toutes nationalités, dont un million et demi de jeunes français, si bien dépeint dans « Le Feu » d’Henri Barbusse.
De ce conflit particulier, nous devons continuer de tirer les enseignements.
Il y a donc un grand risque, en confondant les mémoires et les évènements, en amalgamant des engagements multiples qui n’ont pas la même portée historique et humaine, de tout fondre dans une même condamnation abstraite de la guerre qui empêche de réfléchir sur les causes.
En ne distinguant plus les choses, en confondant les conflits, on aboutit à une vision aseptisée de l’Histoire et de la mémoire collective, qui ne permet plus de comprendre le passé et de construire lucidement l’avenir.
Je ne remets bien sûr nullement en cause la forte légitimité de la mention « mort pour la France » portée sur les actes de décès. Un soldat, qui a été envoyé par le gouvernement de la République, est toujours tué au nom de la France.
En revanche, je conteste l’idée que tous les conflits soient de même nature et qu’ils puissent être mis sur le même plan. Tous les conflits dans lesquels la France a été engagée n’ont pas toujours délivré le même message de défense de nos valeurs et de notre sécurité à l’extérieur des frontières.
Et je doute vraiment que ce soit ce message qui ait été délivré par le corps expéditionnaire envoyé en Indochine, par le bataillon français qui a combattu en Corée dans les années cinquante, ou bien encore lors de la période de la décolonisation.
Autant nous sommes d’accord pour rendre un hommage particulier aux soldats qui, dans ce qu’on appelle aujourd’hui « les opérations extérieures » sous mandat de l’ONU oeuvrent pour le respect du droit international et assurent le maintien de la paix, autant nous refusons de mélanger tous les conflits en un même souvenir pour les raisons que je viens d’exposer.
Cet amalgame risquerait d’ailleurs, au fil des ans d’ôter leur signification aux autres cérémonies commémoratives et d’altérer le contenu du nécessaire devoir de mémoire qui est aujourd’hui en jeu avec la disparition des derniers témoins.
Cette confusion et cette dilution des mémoires combattantes aurait aussi pour effet d’endormir la vigilance des jeunes générations pour que ne se répète pas les tragédies de l’Histoire.
Parce que nous pensons que ce projet de lois recèle des arrière-pensées et de graves ambiguïtés, nous ne le voterons pas.