Ratification du traité de Lisbonne

Publié le 7 février 2008 à 12:03 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réunion du Sénat cette nuit en toute hâte est la parfaite illustration du mot d’ordre passé entre les chefs d’État et de gouvernement : se débarrasser au plus vite de l’étape de la ratification en contournant soigneusement les peuples !

Eh oui, monsieur le secrétaire d’État, vous avez au moins raison sur ce point, le mot d’ordre a été respecté : tout est allé très vite !

L’élaboration du traité, orchestrée par les États membres sans consulter ni informer les citoyens européens, a été particulièrement rapide entre mai et mi-octobre 2007. Même la méthode conventionnelle est passée à la trappe, monsieur Haenel, au nom de calculs politiques, partant du postulat d’une opposition de principe entre l’Europe et les peuples d’Europe. Ensuite, la signature du traité de Lisbonne, le 13 décembre 2007, a lancé le top du départ de la course à la ratification.

Dans notre pays, après la révision constitutionnelle adoptée le 4 février dernier à la va-vite, le Gouvernement revient devant notre assemblée pour nous faire enregistrer le projet de loi de ratification, trois jours après.

Alors que le projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne a été adopté hier en conseil des ministres et voté cet après-midi à l’Assemblée nationale, la commission des affaires étrangères du Sénat n’a pas hésité à se réunir, dès ce matin, avant le vote du texte à l’Assemblée nationale,...

M. Guy Fischer. Elle a anticipé !

M. Robert Bret.... faisant fi de l’article 42 de la Constitution française de 1958,...

M. Guy Fischer. Ce n’est pas bien !

M. Robert Bret.... qui dispose : « La discussion des projets de loi porte, devant la première assemblée saisie, sur le texte présenté par le Gouvernement. Une assemblée saisie d’un texte voté par l’autre assemblée délibère sur le texte qui lui est transmis. » Je vous l’ai d’ailleurs fait remarquer, monsieur de Rohan.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur Bret, puis-je vous interrompre ?

M. Robert Bret. Je vous en prie, mon cher collègue.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l’autorisation de l’orateur.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Je tiens à préciser que, ce matin, la commission n’a fait qu’adopter le rapport de M. François-Poncet, ce qui est parfaitement son droit. Ce n’est que, lorsque nous nous sommes réunis une deuxième fois, à dix-sept heures, que nous nous sommes prononcés sur le texte. En effet, comment aurions-nous pu nous prononcer sur un texte qui n’avait pas encore été adopté et dont nous ne connaissions pas la teneur ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Dominique Braye. Monsieur Bret, il ne faut pas travestir la vérité !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Bret.

M. Robert Bret. La réunion de dix-sept heures a été provoquée par la remarque que j’ai faite ce matin, remarque que vous avez d’ailleurs taxée de « juridisme », monsieur le président de la commission. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Cette réunion était déjà programmée ! Vous êtes de mauvaise foi !

M. Robert Bret. On voit comment notre Constitution est appliquée !

Quelle précipitation pour ratifier un traité qui ne doit entrer en vigueur qu’au début de 2009 ! Un tel empressement à liquider l’étape de la ratification atteste du renoncement à combler le déficit démocratique qui gangrène la construction européenne. Ainsi, une fois de plus, l’Union européenne se trouve confrontée à ses contradictions.

L’ambition affirmée de la « relance » de l’Europe est poursuivie coûte que coûte, tandis que l’adhésion des peuples au projet européen est censée découler des bénéfices que les citoyens européens seront supposés tirer des politiques européennes. Vous l’avez d’ailleurs redit ce soir, monsieur le secrétaire d’État.

Or un tel raisonnement place les citoyens européens en position d’extériorité par rapport à la construction européenne. Selon cette vision, l’histoire européenne se construit sans eux.

Les citoyens européens sont alors strictement cantonnés à une posture passive. Cette conception témoigne surtout du peu de cas que les dirigeants européens font de la parole du peuple, qui s’est pourtant massivement et clairement exprimée le 29 mai 2005.

Je rappelle que, par cet acte de souveraineté, le peuple a signifié de la manière la plus forte qui soit son rejet de l’Europe libérale consacrée par la « Constitution européenne » et, à présent, par le traité de Lisbonne. J’insiste sur le fait que ce refus portait sur une conception marchande de l’Europe sans que cela remette en cause l’adhésion populaire à l’aventure européenne. Oui, les peuples ont envie de plus d’Europe, mais pas celle d’aujourd’hui ni celle du traité de Lisbonne !

Aussi, le choix d’accélérer le calendrier et de recourir à la voie parlementaire pour éviter d’avoir à affronter un débat public ne nous semble pas digne d’une démarche démocratique. La démarche poursuivie soustrait l’étape de la ratification au débat public, pourtant inhérent à une telle procédure.

L’autorisation donnée par les parlementaires à la ratification est alors assimilée à un exercice de pure forme expédié en quelques heures loin de tout véritable débat susceptible d’aller dans le sens d’une politisation et d’une démocratisation de la construction européenne. Or, vous le savez, subtiliser le traité de Lisbonne au débat citoyen ne va certainement pas dans le sens d’une réappropriation du projet européen par le peuple ni du renforcement de la légitimation du processus européen.

Dès lors, je déplore que la perspective de la réalisation d’une Europe politique s’éloigne encore un peu plus, et cela parce que le traité de Lisbonne doit passer coûte que coûte et à n’importe quel prix démocratique. Telle est l’idée commune à tous les tenants de la « Constitution européenne » et de son prolongement, le traité de Lisbonne, qui voient là une revanche contre le peuple.

Et dire que l’argument d’une Europe plus démocratique avait été avancé pour faire accepter la Constitution européenne ! Quelle ironie !

Mesurons bien que le choix de la ratification par la voie parlementaire est éminemment politique. Il exprime le manque de courage de soumettre la question directement au peuple.

Chacun doit bien comprendre que l’utilisation de la démocratie représentative pour échapper à l’expression directe du peuple dénature le rôle du Parlement, qui se trouve ainsi, une nouvelle fois, instrumentalisé par l’exécutif. Pourtant, pour se revendiquer de la démocratie, il faut que le peuple soit susceptible d’avoir le dernier mot.

Dans ces conditions, que l’on soit favorable ou défavorable au traité, peut-on passer outre la décision du peuple de mai 2005 en l’annulant par un vote du Parlement ?

Pour reprendre l’expression de Didier Mauss, président de l’association française de droit constitutionnel, le Parlement peut-il désavouer le peuple ? Politiquement, c’était inconcevable ; juridiquement, c’est pratiquement fait !

Tel est donc l’enseignement tiré du « non » français de 2005. Le peuple ayant manifesté un vif intérêt pour la construction européenne et ayant rejeté le traité constitutionnel en toute connaissance de cause, il faut aujourd’hui être prudent et contourner le peuple, l’écarter de la construction européenne pour adopter une copie de la défunte « Constitution européenne ».

Ce déni de démocratie est d’autant plus inquiétant que l’avenir dessiné par le traité de Lisbonne est sombre. On le sait, ce sont malheureusement les peuples et les salariés qui continueront à subir les conséquences.

En prônant la concurrence libre et non faussée, qui reste, monsieur François-Poncet, la référence de toutes les politiques - même si elle n’apparaît plus dans le corps du traité, elle est reprise dans un protocole annexe qui a la même valeur juridique que le traité -, en prônant la libre circulation des capitaux, la liquidation des services publics et l’indépendance de la Banque centrale européenne à l’égard des État, vous soumettez nos concitoyens aux quatre volontés d’une Europe ultralibérale au sein de laquelle les crises se sont multipliées : désordres financiers périodiques, crise de la dette, fuite des capitaux, expansion des flux financiers internationaux, opacité croissante des flux spéculatifs, krachs boursiers à répétition.... Comment cette Europe de l’argent roi, et même de l’argent fou comme l’illustre le scandale de la Société générale, pourrait-elle répondre aux attentes des peuples, monsieur le secrétaire d’État ?

Elle ne le peut pas. Vous le savez et nos concitoyens le savent. C’est la raison pour laquelle vous avez soigneusement évité tout débat public avec le peuple.

Ne poussez pas trop vite un « ouf » de soulagement. La page ne se tournera pas si facilement, car ce passage en force va laisser des traces. Si vous imaginez que l’Europe peut continuer comme cela longtemps, sans les citoyens, vous vous trompez. Tôt ou tard, ils demanderont des comptes.

Pour le groupe communiste républicain et citoyen, ratifier le traité par voie parlementaire, c’est nuire au peuple. C’est un déni de démocratie, car, vous le savez, ce choix est uniquement déterminé par la volonté de bâillonner le peuple.

Ratifier le traité par voie parlementaire, c’est creuser encore plus le fossé existant entre citoyens et pouvoir politique.

Monsieur le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, ce que vous avez appelé à l’Assemblée nationale un « acte majeur » du Président de la République n’est en réalité qu’un acte de frilosité, pour ne pas dire de lâcheté. Cela traduit la peur que vous avez de vous livrer à un débat public sur le contenu de ce traité, et l’on sait bien pourquoi.

Ratifier le traité par voie parlementaire, c’est nuire au Parlement, car, une fois encore, il se place en position de subordonné par rapport au Gouvernement.

Enfin, ratifier le traité par voie parlementaire, c’est nuire à l’Europe, car une Europe construite sans les peuples, voire contre la volonté des peuples, n’a pas d’avenir.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, vous comprendrez que notre groupe ne participe pas à ce hold-up démocratique et vote contre ce projet de loi.

Robert Bret

Ancien sénateur des Bouches-du-Rhône
Contacter par E-mail

Ses autres interventions :

Sur les mêmes sujets :

Europe
Institutions, élus et collectivités