Intervention colloque : Quelle solution politique à la question kurde en Turquie ?

Publié le 30 mai 2011 à 16:36 Mise à jour le 8 avril 2015

Assemblée nationale, le 30 mai 2011

table ronde : Quelles solutions pour la reconnaissance de l’identité kurde ?

Mesdames, Messieurs

Comme cela a déjà été évoqué à plusieurs reprises dans ce colloque, le peuple kurde se trouve placé devant un déni d’existence. C’est une donnée particulièrement vive en Turquie puisqu’après de nombreuses tentatives d’assimilation par l’Empire Ottoman au XIXe siècle et une brève lueur d’espoir avec le Traité de Sèvres de 1920, après le Traité de Lausanne de 1923, les Kurdes se sont trouvés face au décret-loi du 3 mars 1924 de Mustafa Kemal Atatürk qui interdit l’enseignement en langue kurde dans toutes les écoles, de même que toutes les associations et publications kurdes.

Depuis cette époque, tous les gouvernements turcs successifs ont nié l’existence des Kurdes.

Le discours officiel a toujours prétendu qu’il n’y avait pas de problème kurde puisque « les Kurdes n’existent pas ». Pourtant, la Turquie décrétait en 1932 la loi martiale sur tous les territoires peuplés par les Kurdes. En même temps, Ankara promulguait une loi de déportation et de dispersion des Kurdes (5 mai 1932) ; cette loi visait la déportation massive des Kurdes vers l’Anatolie centrale ; puis c’est la Loi sur l’établissement forcé du 14 juin 1934. Parmi les raisons invoquées de cette loi, il est écrit que le travail le plus important à accomplir par la révolution kémaliste est « d’inculquer la langue turque et d’astreindre toute population n’étant pas de langue maternelle turque à devenir turque ». Enfin une autre loi, adoptée en 1980, autorise même la déportation des membres de la famille d’un prisonnier politique « jusqu’au quatrième degré ».

Du point de vue officiel, les Kurdes n’existeraient donc plus en Turquie : ils sont considérés comme des « Turcs montagnards » (par Mustafa Kemal). Non seulement la langue kurde a-t-elle été interdite, mais aussi le mot kurde, de même que la musique kurde et le costume traditionnel .

Il y a pourtant bien un problème kurde, un problème d’existence d’un peuple kurde qui revendique légitimement une identité propre.
Toutes les tentatives pour assimiler le peuple kurde, particulièrement les solutions de contraintes et de violences ont toutes échouées, il est vrai au prix de nombreux sacrifices. Depuis 1923, on a compté 29 insurrections kurdes. Depuis 1984, 4000 villages kurdes ont été rasés par l’armée turque, trois millions de personnes ont été déplacées de force, la guerre aurait fait 27 000 morts dont 10 000 soldats de l’armée turque.

Aujourd’hui, la question kurde devient pourtant un élément incontournable de toute évolution politique de la Turquie en ce sens où elle n’est plus niée. D’abord parce que la guerre coûte cher mais surtout parce que cette situation ternit l’image que veut se donner la Turquie au moment où celle-ci veut jouer un rôle diplomatique important notamment au moyen-orient mais également au sein de du Conseil de l’Europe, de l’OSCE et qu’elle souhaite intégrer l’Union europénne.

Pour autant que de chemin reste-t-il à parcourir pour que les kurdes ne soient plus considérés comme de citoyens de second ordre, pour que la langue kurde soit reconnue et enseignée dans les écoles, y compris et surtout aux enfants, pour que la liberté d’expression puisse exister avec des medias en langue kurde.

Tout cela peut-il exister sans règlement politique global ? Sans reconnaissance de l’existence du peuple kurde et sans qu’il puisse avoir les moyens politiques de peser sur son avenir ? Je ne le crois pas.

Une des premières conditions à remplir est un changement profond de la constitution actuelle. Celle-ci stipule notamment à l’article 42 qu’“aucune autre langue que le turc ne peut être enseignée dans les institutions d’enseignement en tant que langue maternelle à des citoyens turcs. Les règles régissant l’enseignement des langues étrangères sont déterminées par la loi”. Les kurdes étant considérés comme des Turcs dans la constitution, il faudrait enseigner le kurde en tant que langue étrangère. Mais qu’est-ce qu’une langue étrangère parlée par plus de 20 % de la population d’un pays ?

Au delà de cette question importante, la constitution doit reconnaître tout simplement l’existence du peuple kurde avec tous ses droits à la citoyenneté.

Dans la perspective de l’adhésion de la Turquie à l’UE, une ouverture avait été réalisée par le gouvernement de l’AKP pour résoudre politiquement la question kurde, quelques avancées avaient été accordées comme des programmes en langue kurde à la télévision publique.

Mais cette ouverture s’est enlisée à l’automne2009, la Cour constitutionnelle dissolvant le parti parlementaire kurde DTP à la suite de son important succès aux élections municipales. Par la suite, cet échec s’est confirmé avec les arrestations massives de responsables politiques kurdes et la reprise de la violence dans le sud-est de la Turquie.

Les résultats du référendum du 12 septembre dernier semblent avoir changé la donne et ouvert une nouvelle opportunité à la solution politique de la question kurde. En effet, l’AKP et le parti kurde BDP sont apparus comme les deux grands bénéficiaires de ce scrutin.
Il a été fait état de contacts entre des représentants du gouvernement turc et des dirigeants du PKK.

Pour autant le début de l’année 2011 la répression contre les militants kurdes s’est accrue. Au moins 2 788 personnes ont été arrêtées pendant les quatre premiers mois de l’année 2011, selon un rapport de l’Association des droits de l’homme (İHD), rendu public le 13 mai, ce qui porte à 3559 le nombre d’arrestations depuis début de l’année. Les arrestations sont multipliées par deux et les cas de torture et de mauvais traitements ont brutalement augmenté, dénonce l’association.

Que penser alors des commentaires dans la presse à l’occasion des prochaines élections ?

Ainsi "Résoudre la question kurde est bien entendu la condition sine qua non d’une véritable démocratisation de la Turquie", souligne Sahin Alpay, le chroniqueur du quotidien Zaman, proche du gouvernement. Et même le Parti républicain du peuple donne des signes de sa volonté de soutenir des réformes en faveur d’une solution à la question kurde et soutient les pourparlers avec Öcalan. Les Kurdes veulent notamment que la nouvelle Constitution [prévue pour après les élections] respecte le pluralisme ethnique de la Turquie, que la langue kurde soit reconnue et que les militants du PKK bénéficient d’une amnistie. Des réformes dans ce sens, dès lors qu’elles consolident l’unité du pays, devraient recueillir l’assentiment des Turcs".

Hasan Cemal dans Milliyet considère néanmoins que les Kurdes de Turquie se sentent très proches du PKK. "L’erreur serait de croire que l’on peut dresser un mur entre le PKK et la question kurde. Cela aurait peut-être été possible dans les années 1980 et 1990, mais on a laissé passer l’occasion. En effet, le PKK est une organisation qui a désormais pris racine parmi les masses kurdes. C’est ce parti qui donne désormais au mouvement kurde la direction à suivre. L’erreur du Premier ministre Erdogan est d’avoir déclaré pendant cette campagne électorale que "la question kurde était finie". S’agit-il de propos électoralistes ou croit-il vraiment ce qu’il dit ?"

Dans ce contexte, Rusen Cakir critique dans Vatan ceux qui refusent de voir la réalité d’une certaine symbiose entre les Kurdes de Turquie et le PKK et qui tentent de l’expliquer en recourant à la théorie du complot. "Les obsèques des militants du PKK tués récemment par l’armée ont eu lieu à Diyarbakir [le 4 mai] en présence de dizaines de milliers de personnes. On voit très bien sur les photos qui ont été prises à cette occasion la détermination de ces dizaines de milliers d’hommes et de femmes, de jeunes et de personnes âgées, et les raisons qui les ont poussés à être là."
Reconnaître la question kurde comme un problème crucial des élections, considérer le PKK comme une force politique majeure et non plus comme une organisation terroriste, constituent des avancées importantes dans l’opinion publique turque qui sont dues à la force de l’action du peuple kurde et à son choix d’action politique pacifique. Je ne peux qu’encourager le PKK à prolonger sa décision de cessez le feu unilatéral.
Je crois donc que dans ce contexte, la pression que pourrait exercée sur le gouvernement turc la communauté internationale pourrait et devrait jouer un rôle considérable.

Mais hélas ce n’est pas le cas. Les Etats Unis restent trop préoccuper de conserver en la Turquie un allié dans une région du monde particulièrement difficile pour l’administration Obama. Le stationnement des troupes et l’utilisation des de l’espace aérien sont des questions à leurs yeux bien plus importante que celle de l’identité kurde.
L’Union Européenne, si elle se dirigeait vraiment vers un processus d’intégration de la Turquie pourrait jouer un rôle positif mais on la voit trop se diriger vers la proposition d’un compromis visant à ce que la Turquie soit un partenaire économique privilégié sans pour autant intégrer l’UE. Cette position ne permet guère de faire pression.
Quant à la France, elle qui a une responsabilité toute particulière avec la Grande Bretagne, dans l’échec du Traité de Sèvres, elle s’honore peu quand, écrit le journal Le Monde, faisant référence à sa rencontre avec Abdullah Güll : « Le président français a cherché ses notes du regard pour souligner "le soutien de la France à la lutte contre le terrorisme en Turquie". Il voulait parler de la lutte contre le PKK, dont 28 membres sont actuellement détenus en France.
« En soutenant une politique répressive d’Ankara contre le mouvement kurde, et en évitant de parler de "l’ouverture démocratique" du gouvernement, en panne depuis des mois, la France tente d’apaiser les relations franco turques, quitte à fermer les yeux sur la question kurde. »
fin de citation

Nous avons donc en France une responsabilité particulière à l’égard du peuple kurde qu’il va nous falloir tôt ou tard assumer afin de permettre à ce peuple d’exister pleinement.

Michel Billout

Ancien sénateur de Seine-et-Marne
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