En réalité, la France ne veut plus, mais surtout ne peut plus, jouer le gendarme de l’Afrique

Conventions internationales instituant des partenariats de défense

Publié le 1er mars 2011 à 10:05 Mise à jour le 8 avril 2015

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de ces quatre projets de loi autorisant la ratification d’accords de défense renégociés avec le Cameroun, le Togo, la République centrafricaine et le Gabon montre un certain tournant dans l’évolution des relations entre la France et les pays africains.

En effet, ces accords sont censés traduire les nouveaux principes de notre politique de sécurité en Afrique, principes que le Président de la République avait exposés dans son discours du Cap en février 2008.

L’importance de cette évolution aurait mérité, comme nous l’avions demandé avec nos collègues du groupe socialiste, une discussion globale sur la politique de sécurité et de défense que nous menons dans cette partie du monde et même, plus largement et puisque ces accords sont du ressort du ministre des affaires étrangères, un débat sur les grandes orientations de notre politique étrangère en Afrique.

M. Didier Boulaud. Nous en sommes loin !

M. Michel Billout. Monsieur le ministre, nous regrettons donc que vous vous soyez cantonné à la présentation de ces accords.

En outre, discuter d’accords signés un an, voire deux ans auparavant avec quatre pays seulement ne permet pas de prendre en compte toute la mesure de l’évolution de la situation sécuritaire dans la région. D’ailleurs, monsieur le rapporteur, vous avez vous-même interrogé M. le ministre sur la situation au Tchad, ce qui démontre que le cadre de notre discussion aurait dû être moins étriqué.

Je pense précisément aux menaces auxquelles nous sommes confrontés dans le Sahel et au Sahara, car elles appellent de notre part des relations particulières avec la Mauritanie, le Mali ou le Niger.

Je regrette ainsi, monsieur le ministre, que nous n’ayons pas vraiment la possibilité d’évoquer la stratégie mise en œuvre par votre gouvernement pour protéger nos intérêts dans la région, pour riposter quand nos compatriotes sont pris en otages, mais aussi pour aider ces pays à se développer, seule solution efficace pour lutter durablement contre le terrorisme.

Cela étant dit, de prime abord, la conclusion de ces nouveaux accords semble constituer un changement d’attitude appréciable en matière de coopération de défense et de sécurité avec les pays africains.

Le premier élément positif est une logique qui permet un appui au développement des capacités militaires de ces pays, en particulier par la formation, et une aide pour tenter de mettre sur pied un système de sécurité collective qui leur soit propre.

En outre, il faut relever qu’un certain nombre de clauses d’un autre âge ont – enfin ! – disparu de ces accords, comme celles qui autorisaient les interventions pour maintenir l’ordre intérieur ou pour garder au pouvoir des dirigeants, ou encore celles qui prévoyaient notre assistance en cas d’agression extérieure. C’est tout simplement la reconnaissance de la souveraineté des peuples et des États.

Enfin, au-delà du nouveau contenu de ces accords types, sur lesquels le Parlement est maintenant appelé à se prononcer, nous apprécions qu’ils soient désormais rendus publics, puisque le texte du traité figure en annexe du projet de loi.

Nous notons également avec satisfaction que le Président de la République s’est engagé à ce qu’il n’y ait plus d’accords secrets et nous espérons que cet engagement sera tenu.

M. Jean-Louis Carrère. Ce sera difficile à vérifier !

M. Michel Billout. En revanche, d’une manière générale, il me semble que ces accords ont pour vocation de refléter le nouveau type de relations que le Président de la République a déclaré vouloir entretenir avec les pays africains ; bien qu’il ait une approche différente de celle que trahissaient les anciennes pratiques de la « Françafrique », je suis très sceptique quant à sa volonté de nouer de véritables partenariats permettant le développement économique et social de ces pays.

Le discours qu’il avait prononcé à Dakar, en prétendant que l’homme africain n’était pas suffisamment entré dans l’histoire,…

M. Daniel Reiner. Quelle horreur !

M. Michel Billout. … avait profondément choqué en Afrique…

M. Roland Courteau. C’est sûr !

M. Michel Billout. … parce qu’il était révélateur d’un état d’esprit dénotant une conception condescendante et paternaliste du développement des sociétés. (MM. Jean-Louis Carrère et Jean-Étienne Antoinette applaudissent.)

M. Didier Boulaud. Exactement !

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Michel Billout. Lors du dernier sommet franco-africain, bien qu’il ait proclamé sa volonté de rompre avec l’image d’une France pilleuse des richesses minières ou pétrolières de l’Afrique en nouant des partenariats « gagnants-gagnants », son combat contre la perte de notre « pré carré » au bénéfice des Chinois ou des Américains avait donné l’impression de n’avoir pour objectif que la seule préservation des intérêts économiques de notre pays, de nos marchés et de nos approvisionnements en uranium ou en pétrole.

Je suis donc sans illusions sur les raisons profondes qui motivent l’évolution des relations de défense que le Président de la République veut maintenant entretenir avec les pays d’Afrique. Elle procède tout simplement du pragmatisme dont il se réclame volontiers.

En réalité, la France ne veut plus, mais surtout ne peut plus, jouer le gendarme de l’Afrique. C’est la raison pour laquelle vous avez décidé, dans le domaine militaire, de rompre notre tête-à-tête avec les pays africains et d’agir soit dans le cadre des Nations unies – bien ! –, soit dans celui de l’OTAN – c’est plus discutable – ou d’un dispositif de l’Union européenne. C’est ce que vous avez fait en République démocratique du Congo ou avec l’opération EUFOR Tchad.

Cependant, vous agissez ainsi également par souci d’économie et de redéploiement de nos forces et de nos crédits, puisque vous êtes contraints par nos engagements dans d’autres parties du monde. C’est, bien sûr, la création d’une base à Abou Dhabi et c’est surtout la très importante mobilisation d’hommes et de moyens en Afghanistan, conséquence malheureuse de notre réintégration dans le commandement militaire de l’OTAN.

MM. Didier Boulaud et Roland Courteau. Très bien !

M. Michel Billout. En conséquence, malgré des progrès en matière de transparence et de contrôle par le Parlement, mais en l’absence de tout débat précisant les orientations actuelles de la France, notamment en faveur d’une véritable politique de coopération avec les pays africains, les membres du groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche voteront contre les accords de défense qui nous sont soumis.

Michel Billout

Ancien sénateur de Seine-et-Marne
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