Intervention de Michel Billout lors de la séance de la commission des affaires européennes du 14 octobre 2008.
"Participant pour la première fois aux travaux de la commission des affaires européennes, je regrette, comme notre collègue Nicole Bricq, les modalités d’organisation de ce débat décidées par la conférence des présidents.
Compte tenu des circonstances présentes, il aurait été souhaitable que ce débat préalable au Conseil européen se tienne dans l’hémicycle. Monsieur le président de la commission, même si vous considérez que la formule retenue offre une plus grande souplesse, symboliquement, le choix d’organiser ce débat dans ce « petit hémicycle » pourrait laisser accroire que, pour le Sénat, les questions européennes seraient devenues secondaires. C’est pourquoi le groupe CRC regrette vivement ce choix de la conférence des présidents.
Sur le fond, je formulerai des questions simples, que nous sommes une minorité à nous poser, et qui paraîtront peut-être à certains iconoclastes.
Monsieur le secrétaire d’État, la crise actuelle est-elle le simple dévoiement d’un système économique performant ou bien assiste-t-on à une remise en cause plus globale de ce système ? Pensez-vous réellement que le capitalisme puisse se réguler, voire être moralisé ?
À l’inverse, la crise financière mondiale ne doit-elle pas nous pousser à réorienter la construction européenne ?
Les sénateurs du groupe CRC estiment que les valeurs au cœur de la construction européenne, qui sont celles de la concurrence libre et non faussée et de la libéralisation de tous les secteurs de l’économie, conduisent mécaniquement à ce type de crise.
La crise que nous vivons n’est d’ailleurs pas la première. Dans les années 2000, le même genre de phénomène s’était produit après l’explosion de la bulle Internet. Il s’agit donc non pas seulement d’une crise de confiance, mais également d’une crise profonde du système économique lui-même, d’un système qui proscrit l’intervention de l’État, sous quelque forme que ce soit, qui abandonne à la main dite « invisible » du marché la régulation du système, qui place la course au profit comme unique objectif de développement.
Dans ce cadre, le traité de Lisbonne confirme la règle de la libre circulation des capitaux et de l’indépendance absolue de la Banque centrale européenne, dont la seule mission réside dans la lutte contre l’inflation et pour la stabilité des prix, indépendamment de toute politique sociale d’emploi et de développement.
Pourtant, la crise que nous connaissons confirme que les marchés financiers sont aujourd’hui complètement déconnectés de l’économie réelle, de l’économie de production. Tout cela conduit les tenants du libéralisme, défenseurs des privatisations en chaîne, à en appeler aujourd’hui aux États et à l’Europe pour répondre à cette grave faillite. Ce sont ainsi des sommes énormes que les États ont débloquées, notamment 65 milliards d’euros pour la seule Grande-Bretagne, temple du libéralisme, et ce alors même que les aides d’État sont prohibées par les traités. Ce n’est pas une mince contradiction !
Cette recapitalisation des banques, telle qu’elle a été proposée par l’Eurogroupe dimanche, et lancée hier par les États, démontre, s’il le fallait, que les caisses ne sont pas vides. Les États membres ont donc, je tiens à le souligner, les moyens de financer une autre politique européenne. On aurait pu en douter, ces derniers mois, en écoutant les discours d’austérité budgétaire de nos différents gouvernants.
Les décisions qui seront prises par les chefs d’État et de gouvernement lors du Conseil européen ne devront pas se résumer à de simples correctifs, comme ceux qu’a proposés la Commission européenne concernant l’encadrement des agences de notation, la modération salariale et la réforme des normes comptables. Quant au groupe de haut niveau qui a été créé au sein de la Commission pour réfléchir au système de surveillance des marchés financiers, il est confié aux plus zélés partisans de l’ultralibéralisme, notamment Charlie McCreevy.
Pour le groupe CRC, cette crise devrait au contraire inciter les institutions européennes à abandonner tous les mécanismes libéraux en faillite aujourd’hui : pacte de stabilité, marchandisation de l’ensemble des activités humaines, prohibition de toute aide d’État, indépendance de la Banque centrale européenne ; lorsque les banques sont en situation de faillite, il est très difficile de faire comprendre aux citoyens les bienfaits de l’indépendance de la Banque centrale européenne.
Le moment n’est donc pas venu de demander à l’Irlande comment elle pense contourner le vote de ses citoyens pour ratifier le traité de Lisbonne.
Bien au contraire, il convient de lancer un véritable processus constituant démocratique pour une Europe fondée sur des valeurs de solidarité et de justice sociale. À défaut - je livre cet exemple, puisque ce point sera lui aussi à l’ordre du jour du Conseil -, les objectifs affichés en termes de sécurité énergétique et de développement durable resteront lettre morte. Sans maîtrise publique, et en laissant les prises de décision aux seuls investisseurs privés, le défi énergétique ne pourra pas être relevé, sauf à prévoir une augmentation toujours plus importante des prix des hydrocarbures, du gaz et de l’électricité.
Voici un an et demi, Marcel Deneux, Jean-Marc Pastor et moi-même étions rapporteurs de la mission commune d’information sur la sécurité d’approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver, laquelle a rendu un rapport intitulé Approvisionnement électrique : l’Europe sous tension. Ce rapport, dont les conclusions ont été adoptées à la quasi-unanimité, insistait sur la nécessité de renforcer la maîtrise publique du secteur énergétique. Nous n’avons pas le sentiment d’avoir été très écoutés, puisque, peu après, a eu lieu la fusion entre Gaz de France et Suez. L’actualité a remis cette question sur le devant de la scène avec beaucoup d’acuité.
Le groupe CRC formule donc des propositions pour réorienter la construction européenne.
Nous pensons qu’il faut procéder à une nationalisation pérenne des banques pour sortir de ce processus de privatisation des profits et de socialisation des pertes, ainsi que la démonstration vient encore une fois d’en être faite. À notre sens, il est hors de question que les citoyens payent pour les aventures spéculatives des banques et des sociétés d’assurance. C’est pourquoi chaque État devrait pouvoir compenser l’aide apportée à un établissement financier en péril par une nationalisation durable de ses actifs sains, en vue de travailler à la constitution d’un pôle financier public entièrement voué au financement d’investissements socialement utiles.
De plus, selon les propositions de l’Eurogroupe, les prêts interbancaires seraient garantis.
Mais que fait-on de l’ensemble des déposants ?
Leur épargne sera-t-elle également et suffisamment garantie ?
Nous proposons, en outre, qu’évoluent les rôles respectifs de la BCE et de la BEI, la Banque européenne d’investissement, pour répondre aux besoins de l’économie réelle.
Avant toute chose, une véritable réflexion sur la politique de titrisation, dont on connaît aujourd’hui les méandres, doit être entreprise. Il faut aider l’économie réelle par une nouvelle et ambitieuse politique du crédit.
Tout d’abord, la BEI devrait être chargée - et dotée des moyens adéquats pour ce faire - de garantir aux PME l’accès à tous les crédits dont elles ont besoin pour développer leurs productions, à condition qu’elles créent de vrais emplois, correctement rémunérés, et qu’elles respectent les droits de leurs salariés. À cet égard, la décision prise sur l’initiative de Gordon Brown d’aider les PME à hauteur de 30 milliards d’euros d’ici à trois ans est intéressante, mais très insuffisante.
Quant à la BCE, n’est-ce pas le moment de la soumettre au contrôle du Parlement européen, seul organe légitime, et d’adapter sa mission aux besoins vitaux de l’économie et de nos sociétés en orientant l’argent non plus vers les marchés financiers, mais vers l’économie réelle, notamment au moyen du crédit sélectif, en le rendant très cher s’il est destiné aux opérations financières et, à l’inverse, très accessible lorsqu’il favorise l’emploi, la formation et tous les investissements utiles ?