Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le manque de transparence de l’industrie agroalimentaire, animée par la recherche de la compétitivité maximale et le profit, ainsi que les différents scandales qui ont défrayé la chronique ces dernières années ont favorisé l’émergence des circuits courts dans le débat public et la réflexion collective. Notre collègue Joël Labbé a pris l’exemple d’Auray, et je me félicite que la population de cette ville soit aussi éclairée.
Ainsi, le retour à des relations directes entre producteurs et consommateurs serait un gage de sécurité quant à la qualité des produits consommés et donnerait la possibilité aux producteurs d’échapper, en partie du moins, au pouvoir de la grande distribution et, surtout, de développer le marché intérieur.
Si la description est certes succincte, aujourd’hui, nos concitoyens sont de plus en plus sensibles à la qualité nutritive et sanitaire des aliments qu’ils consomment, mais aussi, et surtout, aux conditions de vie des agriculteurs.
C’est pourquoi je salue l’initiative des auteurs de cette proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation. En effet, ce texte reprend des préoccupations chères aux parlementaires de mon groupe, et que nous avons eu l’occasion de défendre à maintes reprises par voie d’amendements lors des débats sur la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche ou la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, à savoir la qualité de notre alimentation et des repas servis dans la restauration collective, et celui de la relocalisation des productions agricoles.
À cet égard, dans un courrier adressé au ministre au mois de novembre 2014, j’avais relevé les incohérences de notre système. En effet, l’essor de ces filières courtes reste encore modeste. Les achats réalisés grâce à un circuit court représentent 6 % à 7 % des courses alimentaires en France.
De plus, selon les chiffres communiqués par la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, bien que la France soit le premier pays producteur européen de volailles, elle n’arrive pas à endiguer le flot des importations sur le marché de la restauration collective, dont la proportion s’élève à 87 %, comme l’a souligné M. le président de la commission, en provenance majoritairement d’Allemagne, de Belgique, des Pays-Bas et de Pologne.
De même, malgré l’importance de l’élevage bovin en France, entre 55 % et 60 % de la viande bovine consommée seraient importés, en provenance d’Allemagne, d’Angleterre, d’Irlande, et, hélas !, de plus en plus souvent, des États-Unis, d’Espagne, d’Argentine ou du Brésil.
Dans le secteur des fruits et légumes, nous le savons également, il existe encore des distorsions au sein de l’Europe quant à l’utilisation des pesticides et à l’emploi de main-d’œuvre à bas coût qui permettent à certains pays d’avoir des coûts de production moindres et donc de proposer des prix plus abordables ou plus bas.
Ce texte dont nous débattons aujourd’hui va donc dans le bon sens puisqu’il a pour objet de concrétiser, d’une certaine manière, la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui avait fait de l’ancrage territorial de la production l’un des enjeux de la politique agricole et alimentaire.
Ainsi, comme l’a souligné le rapporteur, cette proposition de loi vise à atteindre l’objectif de 40 % de produits issus de l’agriculture durable, locaux ou liés aux saisons dans la restauration collective publique dès 2020.
À cet égard, il est regrettable que le seuil de 20 % de produits issus de l’agriculture biologique ait été supprimé en commission.
Pour parvenir à l’objectif de 40 % de produits relevant de l’alimentation durable, le texte confie à l’Observatoire de l’alimentation la mission de veiller au développement des circuits courts et de proximité. Il ajoute un volet alimentaire aux plans régionaux d’agriculture durable, afin que les régions aident à la structuration des filières locales par l’installation de légumeries et d’abattoirs – nous avons déposé un amendement concernant les abattoirs – et insère les questions alimentaires au cahier des charges de la responsabilité sociale et environnementale des grandes entreprises. Nous ne pouvons qu’adhérer à cette ambition.
Toutefois, nous savons, hélas !, que la question de la promotion des circuits courts ne sera pas réglée que par cette proposition de loi, qui ne comporte, du reste, aucune sanction en cas de non-respect de ces objectifs. Quoi qu’il en soit, il faut donner une impulsion forte dès maintenant.
En effet, comment parler de développement des circuits alimentaires de proximité sans parler de l’accès au foncier, des politiques d’installation ou de reconversion des agriculteurs, des outils de planification, de régulation, de maîtrise des volumes produits, ou encore de l’étiquetage ?
Comment parler des circuits courts sans aborder les questions de la structuration des filières alimentaires et de la production agricole comme de l’adaptation nécessaire des petites structures agricoles aux contraintes imposées par la restauration collective en termes, notamment, de volumes, de régularité, de calibrage, de qualité et de prix ?
Comment, enfin, parler des circuits courts en passant sous silence la situation difficile dans laquelle se trouvent aujourd’hui les communes en raison de la très forte baisse de la dotation globale de fonctionnement, une situation qui confine à la catastrophe pour les plus pauvres d’entre elles ?
Il est difficile de croire que, en l’absence de moyens financiers et humains, les collectivités publiques et les agriculteurs s’inscriront spontanément, et surtout massivement – car tel est bien l’enjeu –, dans les démarches visant à favoriser les productions de proximité, saisonnières ou sous signe d’identification de la qualité et de l’origine. Car rejoindre ces démarches a un coût !
De plus, aucune mention n’est faite des dangers du traité de libre-échange en cours de négociation, alors que ses clauses vont à l’opposé des notions de qualité, de proximité et de traçabilité. De fait, elles nous encouragent à nous tourner vers des exportations et des importations accrues, ainsi que vers un productivisme exacerbé, en imposant des logiques financières à notre agriculture déjà affaiblie. Nous pensons au contraire qu’il faut soustraire l’agriculture, de manière raisonnable, pragmatique et efficace, aux logiques purement marchandes, en commençant par le périmètre des négociations sur l’accord transatlantique de libre-échange, mais aussi sur l’accord France-Canada.
Si nous voterons cette proposition de loi, nous continuerons d’affirmer que, selon nous, la promotion des circuits courts va de pair avec celle des petites et moyennes exploitations et que toute politique favorable aux circuits de proximité doit être conditionnée à des pratiques agricoles socialement et écologiquement soutenables. Une telle politique répond à la demande des syndicats agricoles pour ce qui concerne le développement du marché intérieur. Songez, mes chers collègues, que, d’après ce que ces syndicats nous ont expliqué au cours d’une réunion à laquelle, d’ailleurs, M. le rapporteur participait, la restauration collective dans son ensemble représente 30 % de ce marché intérieur !