Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi constitue une étape cruciale, comme l’a dit Mme la ministre, mais il a suivi une route sinueuse avant d’arriver dans notre hémicycle : entre le projet initial avancé par le Gouvernement et le texte discuté aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose de commun.
Ainsi, c’est en prenant appui sur une disposition votée dans le cadre de la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite loi Grenelle 1, relative à l’étude de la pertinence du transfert en pleine propriété des voies navigables à VNF, que le Gouvernement a engagé sa réflexion sur la refonte du cadre organisationnel du secteur des voies navigables.
Ce secteur présente en effet une particularité institutionnelle, avec l’existence d’un EPIC, Voies navigables de France, disposant en propre de 380 agents, auquel s’ajoutent les 4 400 agents de l’État mis à disposition de cet établissement public. Cette particularité constitue, selon le Gouvernement, une anomalie mettant à mal l’efficacité de ce service. La volonté qui a présidé à l’élaboration de ce texte est donc celle de l’unification des personnels au sein d’une structure unique, en dehors – comme le soulignait notre rapporteur – de toute considération de la nature des missions confiées au nouvel établissement et de tout effort pour la relance de la voie d’eau. Ce projet de loi est donc avant tout celui de la gouvernance.
Cette question a pourtant toute son importance et mérite que nous l’examinions sérieusement. Ainsi, la démarche initiale du Gouvernement a bien été engagée dans une logique libérale d’externalisation des missions de service public, voire, à terme, de privatisation – les syndicats ne s’y sont d’ailleurs pas trompés !
Ainsi, de manière très claire, la nouvelle organisation revêtait également aux yeux de ses partisans l’avantage non négligeable de permettre une « optimisation des ressources affectées à la voie d’eau », objectif très éloigné de toute relance de la voie d’eau, de la révolution écologique prônée par le ministre de l’époque, …
M. Jean-Jacques Mirassou. Et même annoncée !
Mme Mireille Schurch. … et qui revient au contraire à livrer ce secteur, pieds et poings liés, aux politiques de rigueur et d’austérité.
Aussi, nous souhaitons saluer les avancées considérables obtenues dans le cadre des protocoles d’accord signés, respectivement, le 24 juin 2011 entre le ministère et les trois organisations syndicales représentatives des personnels d’État et le 1er juillet 2011 entre VNF et la CFDT, seule organisation représentative de ses salariés, concernant la préservation des droits des personnels dans le nouvel établissement public.
Par ailleurs, le Gouvernement a reculé en abandonnant le projet de constitution de la nouvelle agence sous la forme d’un EPIC, pour privilégier la solution de l’établissement public administratif, ou EPA. Nous sommes en accord avec cette évolution qui correspond à l’affectation normale des personnels fonctionnaires et ouvriers des parcs et ateliers de l’équipement.
Au demeurant, compte tenu du besoin de cohérence de l’ensemble des acteurs de la voie d’eau et des missions de service public de cet établissement, nous considérons que le statut le plus adapté est bien celui d’établissement public administratif, y compris au regard des compétences marginales de cette agence en termes de réglementation et de police de la navigation.
Nous sommes également satisfaits que l’État renonce, par cet accord, au transfert de la propriété des voies d’eau, mais également à la fermeture de voies navigables : il s’agit d’un acquis précieux. Nous sommes en effet particulièrement attachés à l’unicité et à l’intégrité des réseaux de transports en général, qu’ils soient ferroviaires ou fluviaux, car il s’agit d’un élément clef de l’aménagement du territoire, dont dépend la qualité du service et son niveau d’ambition.
Sur le fond, comment appréhender toute évolution, ne serait-ce qu’institutionnelle, de la voie d’eau sans tenir compte des enjeux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et donc du développement des transports alternatifs à la route, conformément aux objectifs de la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement ?
Je pourrais évoquer également les autres enjeux liés au développement de la voie d’eau, comme la gestion de la ressource aquatique – notamment la régulation des plans d’eau pour assurer l’équilibre hydraulique et hydrologique du système complexe des voies et cours d’eau – ou des questions relatives à la préservation de la biodiversité.
Pour concrétiser cette ambition, des pistes étaient évoquées, notamment par l’article 11 de la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement indiquant que le réseau fluvial magistral ferait l’objet d’un plan de restauration et de modernisation dont le montant financier devra être clairement établi. Mais il n’est plus question de cet engagement dans nos débats et nous le regrettons !
Comme nous le pensons tous, le principal problème dont souffre la voie d’eau tient au sous-investissement chronique qui la frappe et qui a conduit à un délabrement du réseau, principalement des digues. Ainsi, selon un diagnostic mené par VNF, une part importante des ouvrages est aujourd’hui en fin de vie ou d’une qualité fonctionnelle médiocre : 54 % des écluses et 63 % des barrages présentent au moins un risque majeur de dégradation de performance et un risque important de perte complète de fonction assurée. La performance du réseau est ainsi fragilisée et insuffisante pour offrir le niveau de sécurité de fonctionnement hydraulique et la qualité de service indispensable au développement du transport fluvial.
À cette étape, je vous ferai remarquer que nous comprenons mieux pourquoi, au travers des lois de décentralisation, l’État a voulu se défausser sur les collectivités, au moins pour le réseau dit secondaire, de ce fardeau devenu trop lourd à porter. Notons que les tentatives d’expérimentation menées mettent au moins en lumière un élément : l’importance des investissements à réaliser, ne serait-ce que pour entretenir ce réseau et, a fortiori, pour le régénérer.
Concernant les engagements financiers, nous prenons acte de l’annonce d’investissements dans les voies d’eau à hauteur de 840 millions d’euros d’ici à 2013 – Mme la ministre vient d’en faire état. Toutefois, nous serons extrêmement vigilants quant au provisionnement concret de ces crédits, notamment dans la loi de finances : nous sommes en effet malheureusement habitués à ce que des annonces fracassantes de la part du Gouvernement ne soient finalement que peu suivies d’effets. Je tiens aussi à rappeler que, d’ici à 2018, d’après le schéma national d’infrastructures de transport, plus de 2,5 milliards d’euros devraient être investis dans la régénération des voies navigables, pour l’aménagement à grand gabarit des liaisons Seine-Nord Europe, Bray-Nogent, Saône-Moselle et Saône-Rhin.
Comment réussir ce tour de force, alors même que les ressources des collectivités territoriales, comme celles de l’État, sont restreintes par les politiques gouvernementales ?
Nous craignons alors le renforcement du recours au partenariat public-privé, type de marché public alléchant alors même que les collectivités se trouvent asphyxiées.
Pourtant, et nous déposerons un amendement sur ce thème, les partenariats public-privé ont fait la démonstration de ce qu’ils étaient une sorte de miroir aux alouettes et que, loin de soulager les collectivités, ils se révélaient être sur le long terme une forme de marché public plus coûteuse que les marchés traditionnels tout en laissant craindre pour la sécurité des infrastructures, des personnels et des usagers – et ce sans compter la perte de compétence de la maîtrise d’ouvrage publique.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas vrai !
Mme Mireille Schurch. Nous sommes en conséquence défavorables au recours à cette forme de marché qui met à mal le principe d’unité du réseau par une privatisation des infrastructures.
Mais revenons au cœur du présent projet de loi. Comme je l’ai indiqué, la volonté initiale du Gouvernement de libéralisation et d’externalisation s’est ici confrontée très directement au mouvement social du printemps dernier. D’ailleurs, je tiens à vous alerter sur le signal particulièrement négatif qui serait envoyé aux agents de l’État intégrant la nouvelle structure si le nom avancé et reconnu dans les protocoles d’accord n’était pas celui qui est retenu par la loi.
Vous nous parlez de psychologie, monsieur le rapporteur, mais les symboles sont importants. En effet, la grande majorité des personnels de la nouvelle agence seront des fonctionnaires et ouvriers des parcs et ateliers qui ne souhaitaient pas être simplement « aspirés » par Voies navigables de France. Je vous incite donc, en la matière, à la prudence. Nous avons d’ailleurs déposé un amendement sur ce point.
Nous considérons également que le texte qui nous est soumis aujourd’hui, à la suite des travaux de la commission, doit encore évoluer pour que l’unification des services dépasse des considérations organisationnelles, tout en respectant les acquis des différents agents, pour aller vers un renforcement des missions de service public confiées à cette agence.
Pour cette raison, nous continuons de formuler en séance publique les exigences que nous avons présentées en commission. Celles-ci sont de deux ordres : le statut des personnels et de leur représentation, ainsi que les missions de service public.
Sur le premier point, par respect pour le modèle choisi qui est celui de l’établissement public administratif, l’EPA, nous souhaitons supprimer tous les éléments qui feraient de cet établissement un établissement public sui generis, qui sont à nos yeux des éléments de fragilisation de ce statut et de contentieux, allant à l’encontre des considérations qui ont prévalu à la naissance de ce texte.
Plus largement, nous souhaitons également, par nos amendements, interdire pour l’avenir tout recrutement de personnel contractuel de droit privé, conformément au principe reconnu, y compris de manière jurisprudentielle, selon lequel les besoins permanents d’un EPA doivent être pourvus par des agents de droit public.
Nous considérons par ailleurs que le regroupement des personnels au sein de l’EPA doit être l’occasion d’une clarification des missions de service public, en conformité avec les engagements du Grenelle.
Ainsi, si nous souhaitons que la part des modes alternatifs à la route dans le transport de marchandises atteigne 25 %, il faut donner les moyens à ce nouvel établissement de remplir ses missions.
Pour cette raison, la première des mesures devrait être de stopper l’hémorragie de la révision générale des politiques publiques dans ce domaine. En effet, depuis vingt ans, nous ne pouvons que regretter la perte de 2 000 emplois dans le secteur des voies navigables, secteur qui a trop longtemps été considéré comme l’un des secteurs clefs de contraction et de restriction des personnels publics. Les objectifs pour la période 2011-2013 sont à ce titre éloquents puisqu’ils prônent la suppression de 271 emplois équivalents temps plein. Nous y sommes, pour notre part, opposés.
Par ailleurs, nous voulons, par nos amendements, réaffirmer l’importance d’une complémentarité renforcée avec les modes ferroviaire et maritime. Il serait en effet incohérent de penser le développement fluvial en termes de concurrence avec le transport ferroviaire ou maritime.
À ce titre, je voudrais indiquer au rapporteur que, contrairement à ce qu’il a indiqué en commission et au début de la séance, l’ensemble des voies d’eau du réseau magistral et secondaire peut être utilisé pour le transport de fret. Dédier le réseau secondaire exclusivement au tourisme est, à ce titre, un non-sens au titre du respect des objectifs du Grenelle de l’environnement.
M. Christian Bourquin. Bravo, madame !
Mme Mireille Schurch. Nous avons également souhaité, en commission, poser la question de la sécurité des installations en ce qui concerne tant les digues que les ouvrages hydrauliques. Nous sommes satisfaits que cette préoccupation ait été reprise dans le texte. Il en va de même pour les missions d’intérêt général de bonne gestion de la ressource aquatique.
Nous sommes également satisfaits que le rapporteur ait repris notre proposition de faire figurer dans les missions de l’établissement la conservation du patrimoine, qu’il soit bâti ou paysager.
À l’inverse, nous restons circonspects sur la possibilité offerte par le présent projet de loi à la nouvelle agence de valoriser tant le domaine public qui lui est confié que son domaine privé en procédant à des opérations d’aménagement complémentaires à ses missions par le recours à la création de filiales. Nous craignons que l’élargissement de ces missions ne revienne à sortir le nouvel établissement de son cœur de métier.
Par ailleurs, nous craignons que la valorisation du domaine par le biais de filiales privées ne se transforme finalement en une faculté donnée à l’Agence de privatisation des installations et de leurs dépendances, comme de leur gestion. Nous déposons un amendement tendant à réserver cette possibilité à la participation dans des opérations d’intérêt général, avec des acteurs publics ou sous contrôle de personnes morales de droit public.
De manière plus générale, comme je le mentionnais au début de mon intervention, nous souhaitons que l’État et l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, apportent à l’Agence les moyens de son développement et de la réalisation des missions de service public.
Cela passe notamment par des concours financiers à la hauteur des actions et des projets prévus pour les voies navigables par le schéma national des infrastructures de transport. Nous attendons ainsi que les engagements financiers qui ont été pris soient honorés ; il s’agit de l’élément fondamental pour une relance effective de la voie d’eau.
Concernant le débat qui a eu lieu en commission et qui se prolongera probablement en séance publique sur les modalités de représentation des personnels au sein d’un comité technique, à la suite de l’avis du Conseil d’État et de la décision du Conseil constitutionnel du 28 janvier 2011 ayant conduit à la réécriture du projet de loi, nous estimons qu’il est important de conserver une structure unique pour l’ensemble des personnels.
Dans ce cadre, l’amendement prévu en commission par le rapporteur semblait concilier plusieurs exigences : le respect des protocoles d’accord, la constitutionnalité de la mesure proposée et une structure unique ayant la souplesse nécessaire pour s’adapter aux situations des différents personnels. Nous sommes persuadés que le texte évoluera favorablement sur ce point en séance publique.
Nous avons également souhaité intégrer dans notre réflexion, au travers de nos amendements, la Fédération des associations et usagers de la voie d’eau par la création d’un comité de service aux usagers, comme les syndicats de la batellerie l’ont proposé.
Au regard des incertitudes qui pèsent encore sur l’évolution du présent texte, nous attendrons l’issue du débat en séance avant de déterminer notre vote. Nous espérons que nos amendements comportant des exigences sur les missions de service public de l’établissement seront adoptés.
Les membres de mon groupe ne cesseront en effet d’affirmer la nécessité d’un service public de la voie d’eau de qualité, fort d’une ingénierie publique, de moyens renforcés et modernisés au sein du nouvel établissement, capable ainsi de résister aux logiques de privatisation, de morcellement du réseau conduisant à son abandon pour défaut de rentabilité économique.