Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,
Au nom des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen et du parti de gauche, je défendrai, la motion d’irrecevabilité contre le projet de loi : « Entreprise publique La Poste et activités postales ».
Les motifs d’inconstitutionnalité ne manquent pas. Mais depuis que ce projet est envisagé les dirigeants de notre pays essaient de créer l’illusion que La Poste restera une entreprise publique alors que rien dans le projet de loi ne garantit expressément une participation majoritaire, pérenne, de l’Etat au capital de la nouvelle société anonyme créée. J’espère mes chers collègues que vous ne vous laisserez pas abuser par ce mensonge martelé. L’expérience et le contexte devraient nous y aider.
Le changement de statut de l’exploitant public et sa soumission au droit commun des sociétés, s’inscrit dans un contexte de désengagement de l’Etat et d’ouverture à la concurrence du secteur postal déjà largement engagée en vertu de politiques communautaires, politiques que vous avez expressément soutenues en votant, au sein du conseil des ministres, la dernière directive postale. Fort de cela, la direction de l’entreprise n’a eu de cesse de réduire les coûts pour faire des bénéfices au détriment des usagers et des personnels. Cette lecture mercantile du service public n’est pas acceptable. Et si on ne peut soulever l’inconstitutionnalité de toutes les décisions qui ont mis à mal le service public postal, nous allons faire la démonstration aujourd’hui que ce projet de loi qui tend à donner le coup de grâce à l’opérateur historique postal est inconstitutionnel et doit à ce titre être rejeté.
Tout d’abord, le projet de loi contrevient à l’alinéa 9 du Préambule de 1946. En effet, selon cette disposition « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».
La question est donc de savoir si La Poste exploite un service public national ou constitue un monopole de fait.
Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de revenir sur ces notions concernant la loi relative au secteur de l’énergie, loi qui privatisait GDF en dépit des belles promesses du ministre de l’économie devenu président de la république entre temps. Mais c’est une jurisprudence plus ancienne du Conseil qui explicite les notions de monopole de fait et de service public national.
La Poste revêt les deux caractères et à ce titre l’alinéa 9 du Préambule de 1946 doit être respecté.
D’une part, le Conseil Constitutionnel dans sa décision des 25 et 26 juin 19861, a jugé que le monopole de fait doit s’entendre « compte tenu de l’ensemble du marché à l’intérieur duquel s’exercent les activités des entreprises ainsi que de la concurrence qu’elles affrontent dans ce marché de la part de l’ensemble des autres entreprises ».
La Poste que ce soit à travers l’administration des PTT ou la création de l’établissement public en 1991 a toujours eu le monopole de l’activité postale. Elle détient donc une position prépondérante, pour ne pas dire exclusive, sur le secteur de l’activité postale que ce soit les activités de collecte, de tri, de transport et de distribution des envois postaux ; et ce secteur représente la majorité de son activité globale.
D’autre part, La Poste exploite un service public national du fait du législateur et une partie de son activité peut être rattaché au service public constitutionnel de la Justice.
Sur ce dernier point, on sait que la jurisprudence constitutionnelle est très restrictive en ce qui concerne la qualification de services publics constitutionnels. Ces services publics qui sont pour l’essentiel des services publics régaliens ne peuvent faire l’objet d’une privatisation. Or, certaines activités postales doivent être regardées comme se rattachant à des services publics nationaux constitutionnels et je pense ici au service public de la Justice.
Ainsi, la lettre recommandée est une formalité légale obligatoire créatrice d’effets juridiques (en terme de délai et de preuve), elle constitue également une formalité obligatoire dans la citation en justice (baux ruraux, tribunaux d’instance, prud’hommes…). Or, l’article 19 du projet de loi en supprimant l’article L.3-4 du code des postes et des communications électroniques confirme la volonté du gouvernement de privatiser cette activité de La Poste et de la faire échapper à tout contrôle même réglementaire.
Monsieur le rapporteur vous ne serez pas insensible à cette question, puisque vous aviez défendu vous-même, lors de débats de la loi de 2005, un amendement visant à réserver cette activité à La Poste. 2L’article 1 du projet de loi qui ouvre la voie à la privatisation de La Poste combiné à son article 19 constituent une violation de l’alinéa 9 du Préambule de 1946.
De plus, il existe des services publics nationaux, autres que constitutionnels, qui tombent sous la protection du Préambule de 1946.
Il ressort de la jurisprudence de 1986 et notamment de son considérant 53, que « si la nécessité de certains services publics nationaux découlent de principes ou de règles à valeur constitutionnelle, la détermination des autres activités qui doivent être érigées en service public national est laissée à l’appréciation du législateur ou de l’autorité réglementaire selon le cas ». Nous pensons que La Poste fait partie de la catégorie des services publics nationaux par détermination de la loi.
Ainsi, en 2004, le Conseil Constitutionnel a considéré qu’ « en maintenant aux sociétés nouvellement créées les missions de service public antérieurement dévolues aux personnes morales de droit public EDF et GDF […] le législateur a confirmé leur caractère de services publics nationaux ». En ce qui concerne La Poste : l’organisation du service public postal a été fixée historiquement au niveau national et confiée par le législateur à une seule entreprise. Et, aujourd’hui encore la Poste reste, et cela est confirmé par l’article 14 du projet de loi, le seul prestataire du service universel postal. Le service public postal est toujours confié à titre exclusif à une seule entreprise : La Poste. L’entreprise exploite donc un service public national.
Il s’agit maintenant de déterminer si en dépit du changement de statut de l’exploitant public La Poste reste la propriété de la collectivité. La réponse est non car même avec une privatisation partielle La Poste cesse d’appartenir à la Collectivité.
La modification apportée au texte en commission qui passe de « personnes morales appartenant au secteur public » à « personnes morales de droit public », ne garantit pas que le capital reste majoritairement entre les mains de l’Etat. Parmi les parts détenues par le public, l’Etat ne sera pas majoritaire au regard de l’ensemble.
Une pluralité d’indices montre que La Poste va cesser d’appartenir à la collectivité : le défaut de majorité garanti à l’Etat, la privatisation du statut, les incertitudes quand au régime applicable aux personnels. Tout cela va dans le sens d’une gestion privée de La Poste.
Rien ne garantit dans le texte une nouvelle intervention du législateur en cas de privatisation de La Poste, privatisation qui est tout à fait envisageable si l’Etat ou les personnes morales visées cèdent leur part du capital conformément aux règles applicables aux sociétés anonymes.
Avec le changement de statut de la Poste en société anonyme, la logique de rentabilité qui sous tend de telles structures conçues pour faire des bénéfices, la possibilité de diviser le capital et la gestion privée de l’ensemble, le poids des intérêts privés va être déterminant dans la gestion de l’entreprise (comme en témoigne d’ailleurs la composition du conseil d’administration). Si les intérêts privés deviennent déterminants dans le fonctionnement de La Poste, non seulement ils ne répondent pas aux besoins des usagers, mais on peut en conclure sans détour que ce service public ne sera plus la propriété de la collectivité. Il en découle que l’article 1er du projet de loi est contraire à l’alinéa 9 du Préambule de 1946.
Ce projet de loi entre également en contrariété avec les principes constitutionnels d’égalité devant les services publics, d’égalité des salariés, de liberté syndicale.
Dans sa décision du 16 juillet 20093relative à la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, le Conseil a examiné la compatibilité de cette loi avec le principe à valeur constitutionnel d’égalité devant les services publics, issu de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. La décision précise que « les établissements de santé privés exerçant des missions de service public seront tenus, pour l’accomplissement de ces missions, de garantir l’égal accès de tous à des soins de qualité […]4 ». Le Conseil juge que les dispositions critiquées ne portent pas atteinte au principe d’égalité car les établissements privés qui exerceront des missions de service public sont tenus en vertu du code de la santé public de garantir l’égal accès à des soins de qualité. Or le projet de loi ne garantit pas l’égal accès à un service postal de qualité.
L’article 2 du projet de loi sur la Poste décline les missions de service public à la charge de la Poste et précise que la nouvelle société anonyme contribue par son réseau de points contacts à l’aménagement et au développement du territoire. Réseau (même avec la mention des 17000 points contact de l’article 2ter) qui est déjà en dessous des exigences d’un service public de qualité, et qui est mis en danger par le changement de statut de la Poste et l’absence de consolidation du fonds postal national de péréquation territoriale.
Le statut de société anonyme, la fin du contrôle de l’Etat risque d’aggraver une situation d’inégalité qui existe déjà sur le territoire, notamment en terme d’accessibilité.
On le sait, le contenu même de l’activité postale varie énormément selon la structure proposée ne serait-ce qu’en raison du statut des agents ou du commerçant et donc des opérations qu’ils sont en droit de réaliser.
Ainsi, en ce qui concerne les lettres recommandées si le dépôt se fait dans un relais poste, la preuve de dépôt est envoyée sous enveloppe à l’expéditeur par l’établissement de rattachement dont dépend le relais poste. Dans ce cas, la seule date de dépôt valable est celle saisie par l’établissement de rattachement sur la preuve de dépôt. L’usager n’est donc pas traité de la même manière selon que les missions de service public sont confiées à un relais poste ou à un bureau de poste. Dans les relais poste pour un retrait sur un CCP et un livret A dématérialisé, le titulaire du compte dématérialisé, domicilié dans la ou les communes de la zone, ne peut disposer que de 150 euros par période de 7 jours consécutifs.
Le principe constitutionnel d’égalité devant les services public ne doit pas être conçu comme une idée abstraite que seul le juge constitutionnel ou le législateur serait à même de comprendre, il s’agit des droits de nos concitoyens. On parle ici de situations concrètes et de problèmes injustifiables auxquelles sont confrontées plus durement les habitants des zones rurales et des zones urbaines sensibles.
Les usagers ne sont pas les seuls qui sont touchés dans leurs droits par le projet de loi. Les personnels sont également mis à mal. L’article 8 du projet de loi supprime dans l’article 31 de la loi de 1990 revisitée par le législateur en 2005.
L’article 8 du projet de loi prévoit que La Poste peut, comme toute société commerciale employer des agents contractuels. L’article fait référence à l’article 31 de la loi de 1990 auquel elle soumet les nouveaux agents de la société anonyme. Cependant, cet article 315précise que ni les dispositions du code du travail relatives aux comités d’entreprise, ni celles relatives aux délégués du personnel et aux délégués syndicaux ne sont applicables aux agents contractuels. Et cet article renvoi à un décret en conseil d’Etat pour définir les conditions dans lesquelles les agents de La Poste sont représentés dans des instances de concertation chargées d’assurer l’expression collective de leurs intérêts, notamment en matière d’organisation des services, de conditions de travail et de formation professionnelle. Or, à ce jour ce décret n’a toujours pas été publié.
En d’autres termes, les agents contractuels de la poste société anonyme, contrairement à n’importe quel salarié de droit privé ne sont protégés, dans ces domaines, ni par le code du travail, ni par d’autres textes en raison de la carence du pouvoir réglementaire. En soumettant dans le projet de loi les salariés de la poste à un régime moins favorable que tout autre salarié d’une société anonyme, le législateur se rend coupable d’une violation du principe d’égalité des salariés.
De plus, cette absence de réglementation concerne les conditions dans lesquelles la représentation individuelle des agents de droit privé est assurée, les règles de protection, au moins équivalentes à celles prévues par le code du travail pour les délégués du personnel. L’article 8 constitue également à ce titre une violation de la liberté syndicale6 principe à valeur constitutionnel qui découle de l’alinéa 6 du préambule de1946 qui dispose que :"tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ».
Enfin, le gouvernement se rend coupable d’un détournement de la procédure constitutionnelle aux seules fins de servir ses intérêts et au mépris de l’intérêt général.
L’article 3 de la Constitution dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Mais, la Constitution prévoit également dans son article 11 que le Peuple a un droit d’initiative s’agissant des consultations populaires. Depuis le vote de cette faculté constitutionnelle il y a eu deux évènements majeurs : Tout d’abord, le Gouvernement a délibérément retardé le dépôt du projet de loi organique permettant d’exiger la consultation référendaire. Mais, dans nos communes, mes chers collègues, la résistance s’est organisée et plus de deux millions de personnes se sont déplacées pour rejeter le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui.
Ce rappel des faits est d’une importance majeure pour comprendre l’empressement du gouvernement à faire passer sa réforme. En effet, l’inscription de la procédure accélérée qui prive le Parlement d’une seconde lecture et raccourcit les délais concernant les travaux préparatoires ne se justifie aucunement au regard des exigences communautaires. Le droit communautaire n’impose pas le changement de statut comme préalable à l’ouverture totale du secteur postal à la concurrence et même si c’était le cas la directive du 20 février 2008 fixe l’échéance du 1er janvier 2011. Rien de ce côté pour justifier que les débats parlementaires soient achevés avant la fin de l’année.
On est donc légitimement en droit de se demander ce qui justifie tant de hâte. En réalité le but unique du gouvernement est d’éviter la présentation du projet à un moment où la consultation populaire pourrait être exigée par nos concitoyens. Nous sommes confrontés à un détournement grossier de la procédure constitutionnelle.
On fait débattre en urgence un projet de loi dans le seul but de tenir en échec une révision constitutionnelle déjà votée mais non encore totalement exécutoire du fait du retard même du gouvernement qui nous a saisi de l’urgence ! En bref la procédure accélérée a pour seul objet d’éviter la procédure constitutionnelle autorisant la consultation populaire. Ce retard volontaire constitue un détournement de pouvoir qui est manifestement contraire à la volonté du constituant.
La nouvelle rédaction de l’article 11 de la Constitution a été présentée comme une contrepartie de la diminution des prérogatives du Parlement dont la généralisation de la procédure accélérée ou l’amputation du droit d’amendement constitue quelques exemples.
Mais moins d’un an après l’adoption de la réforme constitutionnelle Nicolas Sarkozy a pu s’exprimer devant les parlementaires à Versailles, en revanche le Peuple lui est muselé !
« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » (les animaux et la peste)
Mes chers collègues, les inconstitutionnalités du projet de loi sont nombreuses, la motion d’irrecevabilité ne doit pas être regardée comme un exercice de style qui voudrait qu’on laisse éventuellement le conseil constitutionnel se prononcer. C’est ici, et maintenant que chacun d’entre nous doit prendre la responsabilité de faire respecter les droits de notre peuple, de nos concitoyens, des usagers, des salariés. C’est pourquoi je vous demande de voter pour cette motion.