Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes chers Collègues,
Le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis en première lecture vise à habiliter le gouvernement à transposer par voie d’ordonnances, partiellement ou en totalité une vingtaine de directive ainsi que deux règlements.
Il nous est donc demandé, dans un délai très bref, de nous prononcer, par un vote unique, sur un ensemble de textes concernant une très grande variété de sujets touchant la consommation, l’environnement, le domaine économique et financier, les transports, l’harmonisation des diplômes. Ainsi les directives que l’on soumet à transposition, ne feront pas faire l’objet d’un débat parlementaire classique. Le parlement se voit donc privé de la possibilité de débattre des sujets contenus dans ces directives, sujets dont il ne faudrait pas négliger l’importance puisqu’il est question :
- des nuisances sonores et de leur mesurabilité, ce qui concerne la vie de nos concitoyens.
- de la transparence des relations financières entre Etats membres et entreprises publiques à l’égard desquelles l’on fait régner la suspicion alors que se multiplient les défaillances de grandes entreprises comme Enron ou Parmelat révélant l’opacité d’une gestion privée, ce qui se démontrent être bien souvent un outil d’attaque contre les services publics à la française.
- de la mise en place d’un marché de quotas d’émission de gaz à effets de serre, ou comme certains le qualifient d’un marché de véritables droits à polluer,
ou encore
- de la construction d’un réseau transeuropéen ferroviaire par le biais de la réalisation de l’interopérabilité technique sans que l’on puisse débattre des moyens financiers nécessaire ni même des questions sociales liées à ce projet.
Ou encore
- de modification des conditions de travail dans les transports.
Cela ne peut nous convenir !
Une telle procédure de transposition de directives ne respecte pas les droits de la représentation nationale et court-circuite le processus démocratique normal en ne permettant pas au parlement d’en débattre. Les dangers pour le fonctionnement même de notre démocratie sont réels, surtout si une telle procédure était amenée à être répétée comme cela semble se profiler dans un horizon proche.
Les arguments invoqués dans l’exposé des motifs pour justifier la procédure de l’article 38 de notre constitution ne sont guère convaincants. La charge de travail qui pèse sur les assemblées est essentiellement liée à une véritable boulimie gouvernementale qui se traduit par la production de textes visant à casser rapidement les acquis de notre République plutôt que réfléchir en profondeur sur l’amélioration de ce qui existe.
Quant au retard accumulé en matière de transpositions, ou le fait que la France serait exposée, en cas de dépassement des délais de transposition à des procédures de précontentieux ou de contentieux et à des sanctions pécuniaires, bien que recevables, ces remarques ne peuvent suffire et elles sont même bien faibles par rapport aux exigences exprimées par le Conseil Constitutionnel et rappelées par le rapporteur de la Commission des Affaires économiques. Nous ne pouvons admettre une telle procédure qui prive le parlement de ses propres droits, d’autant que nous n’avons pas les éléments pour porter appréciation sur le contenu des ordonnances, sur leur impact.
Même si des précisions ont été ici ou là apportées par les rapporteurs, il n’empêche qu’il s’agit bien d’un dessaisissement du pouvoir législatif. Ceci d’autant que pour nombre d’entre elles, et ce fut signalé en commission, le délai de transposition n’est pas dépassé ou qu’il n’y a pas véritablement urgence, au point de recourir aux ordonnances.
Ne doit-on pas d’ailleurs nous interroger sur une telle procédure et ses effets comme le fit Monsieur Daniel Hoeffel lorsque, à la fin de l’année 2000, sous gouvernement de gauche. Ayant à rapporter pour la Commission des lois sur un texte de transposition des directives, il nous expliquait que, je cite, « c’était un peu notre démocratie qui était en cause ». Il poursuivait, je cite toujours, « on peut parfois se demander si l’inscription d’une multitude de textes à l’ordre du jour des assemblées parlementaires n’est pas, à la limite, le meilleur instrument inventé par les pouvoirs exécutifs pour pouvoir gouverner en toute tranquillité ».
J’ai l’impression qu’il décrit exactement la situation que nous vivons depuis plusieurs mois, de séances extraordinaires en séances extraordinaires, de textes discutés à la va vite, sans pouvoir prendre le temps d’en apprécier véritablement leur contenu. Tel est le cas de ce texte, dont nous n’avons pu disposer des rapports particulièrement imposants que très tardivement.
Sur l’utilisation de cette procédure, nous n’avons pas changé d’attitude. Elle demeure identique à celle que nous défendions lorsque le gouvernement de gauche l’avait employée. Je tiens d’ailleurs encore à souligner que nous n’étions pas les seuls à regretter vivement qu’un gouvernement puisse recourir aux ordonnances pour transposer nombre de directives.
L’alternance changerait-elle la vision que certains avaient hier de cette procédure ?
Ainsi, ai-je bien pris note de ce que notre collègue Denis Badré, déjà rapporteur pour avis de la Commission des finances sur le texte soumis au parlement fin 2000, nous disait, je cite, « Même si à titre personnel, je préfère voir les européens dire toujours oui à l’Europe, il est bon qu’il leur soit de temps en temps rappelé qu’ils peuvent dire non. C’est précisément cette liberté de dire non qui donne toute sa force à leur oui ; c’est cette liberté qui construit l’Europe des peuples. Encore faut-il que les peuples aient la parole, que leurs parlements puissent jouer leur rôle. ».
C’était effectivement une bonne raison pour critiquer le recours aux ordonnances dans le cas de transposition de directives, c’est en tout cas une bonne raison de la rejeter surtout si ces directives donnent l’occasion d’une remise en cause des droits sociaux et engagent une régression sociale, j’aurais l’occasion d’y revenir.
Ce dont nous avons besoin aujourd’hui c’est d’un réel débat sur la construction européenne et celui-ci pourrait se mener autour de directives dont les conséquences sont lourdes en terme particulièrement social.
Quant aux arguments qui insistent sur le caractère dit techniques de ces directives, ils ne résistent guère non plus à l’analyse ?
Faut-il rappeler, ce que le rapporteur de la Commission des affaires culturelles, Philippe Richert soulignait lors de l’examen du projet de loi d’habilitation par voie d’ordonnances sous le gouvernement Jospin, je cite : « le gouvernement souligne, le caractère technique des mesures à transposer et estime que leur portée ne justifierait pas un véritable débat parlementaire. Je crois que nous devons tous nous élever fermement contre cette interprétation inédite et pour le moins surprenante de la compétence législative ! A ma connaissance, le technique n’évacue pas le politique ! », fin de citation.
On peut ici se demander si sous un prétexte de technicité des textes, on ne cherche pas précisément à évacuer le politique pour ne pas avoir à justifier des choix de société que l’on est en train de mettre en œuvre à travers un texte que l’on nous présente donc au fond comme anodin et ne nécessitant pas de débat parlementaire.
L’extension du champ de l’habilitation au-delà de la stricte transposition des directives pose en tout cas de réel problème. Elle relève de choix politiques lourds de conséquences en matière sociale !
Il ne peut en aucun cas être fait référence aux justifications douteuses précédemment invoquées. C’est même d’un véritable déficit d’argument dont il faut parler pour certaines des habilitations plus larges.
Nous ne disposons par ailleurs d’aucune information précise sur le contenu réel des ordonnances permettant ces extensions du champ de l’habilitation.
En ce qui concerne l’article 6 de ce projet de loi, par exemple, le rapporteur de la Commission des affaires sociales a d’ailleurs lui-même souhaité, en soulignant qu’il ne disposait pas d’information précise sur les mesures envisagées, à lui-même souhaité proposer de restreindre le champ de l’habilitation qu’aucune considération d’urgence particulière ne permettait de justifier.
Les syndicats routiers tiennent d’ailleurs à préserver leur législation plutôt que de s’aligner sur une réglementation européenne moins favorable à la sécurité et à la santé des chauffeurs routiers, mais aussi de nos populations.
Ainsi, le gouvernement redonne vie à une procédure, l’ordonnance qu’il entend par la même occasion utiliser pour tailler dans le système de protection sociale des français !
De la même façon, l’article 7 prend abusivement appui sur deux directives dont les objets sont bien circonscrits puisqu’il s’agit pour l’une de la réception des déchets dans les ports et pour l’autre du chargement et déchargement des vraquiers pour tenter d’imposer un choix politique d’une toute autre ampleur et portée !
En effet, il tente de réintroduire l’attaque contre les statuts spécifiques des travailleurs portuaires qui vient de subir un échec retentissant au niveau européen ! Ainsi, le gouvernement réintroduit certains aspects de la directive sur la libéralisation des services portuaires que le parlement européen a en novembre dernier rejetée. Les grèves récentes des travailleurs portuaires et dockers, coordonnées au niveau européen, les manifestations à Rotterdam et à Barcelone regroupant des milliers de dockers de plusieurs pays ont montré l’opposition de tous les intéressés. Cette réaction a permis le rejet du compromis passé entre la Commission et le parlement européen ! Le gouvernement français prendrait donc le relais avec notamment comme objectif, le libre accès aux services d’assistance aux navires comme le remorquage et le lamanage.
Cela se ferait comme semble l’indiquer le rapport de la Commission des affaires économiques, pour assurer « un niveau de sécurité élevé dans les ports ». Or, les motifs des mouvements sociaux portaient précisément sur les risques pour la sécurité qu’entraîneraient de telles pratiques d’auto-assistance, en faisant régner la loi du pavillon !
Nous avons déposé un amendement de suppression sur cet article qui témoigne de la réelle volonté politique du gouvernement d’avancer plus encore dans la voie de la déréglementation sociale.
Les intéressés n’ont même pas été avertis.
On reconnaît là bien là la méthode gouvernementale qui prône sans cesse le dialogue social et la concertation sans que la pratique ne vienne corroborer le discours.
Notre amendement de suppression ne contrarie nullement l’adoption des deux directives permettant de renforcer la sécurité maritime. Après les catastrophes maritimes de l’Amoco-Cadix au Prestige, dont la répétition et l’ampleur des dégâts causés appelaient des mesures nouvelles, de grande portée.
Ce qui est en cause ici, ce sont les aspects sociaux de ce genre d’habilitation plus large. C’est bien la nouvelle attaque à l’égard des droits sociaux que l’on tente de tirer vers le bas, malgré les garanties affirmées, qui semblent avérée.
Cette réintroduction sur le plan national de dispositions qui avaient généré un mouvement social important est particulièrement inquiétante !
Ce mouvement social aurait du questionner l’ensemble des formations politiques sur la société que nous propose l’Europe en construction et sur les valeurs qui devraient présider au fondement même de la société que nous voulons construire pour nos enfants et petits enfants.
Ce que contestent ces multiples mouvements sociaux c’est précisément les coûts humains de la construction européenne : chômage croissant, régression sociale d’une Europe laissée à l’abandon d’une régulation par le marché et notamment par les marchés financiers.
Cette contestation est significative également du refus d’accorder une légitimité démocratique à la nature de la construction européenne, elle est significative d’un refus d’une Europe purement libérale. Et sans légitimité démocratique l’Europe ne peut être prise au sérieux et peser de tout son poids à l’échelle internationale. Autrement dit l’on peut réellement se demander si l’idée d’un risque d’une perte de crédibilité de la France sur la scène européenne ne serait pas plutôt à rechercher de ce côté-là !
Ce qui nous fait cruellement défaut, Madame la Ministre, j’y insiste, c’est un réel débat sur la construction européenne, et donc sur les textes législatifs qui la fondent.
En c e sens, nous nous félicitons qu’au final, les directives dépassant le strict cadre technique aient été retirées sous l’impulsion des présidents de bureaux de nos assemblées pour être soumis aux procédures habituelles. Il aurait été dommageable se passer d’un débat sur le « paquet Telecom » ? D’un autre sur des dispositions protégeant les inventions végétales ?
Le retrait d’une dizaine de textes est ainsi appréciable. Tout ceci va dans le bon sens. Pour autant, pourquoi ne pas plus impliquer l’ensemble des groupes parlementaires sur des procédures aussi importantes qui court-circuite les droits de nos parlements ? Lors du débat de la fin de l’année 2000 déjà mentionné, nous avions fait, face à l’accumulation des textes communautaires, une proposition que nous renouvelons aujourd’hui. Il s’agirait de mettre en place une nouvelle procédure d’adoption et de transposition, à savoir, une procédure de vote sans débat, ou avec débat restreint, uniquement réservée à l’examen des transpositions et garantissant à tout président de groupe d’exiger un débat classique s’il jugeait les dispositions trop importantes.
Nous remarquons cependant, que ce qui est fondamentalement en cause aujourd’hui ce sont les extensions démesurées du champ des habilitations que contient ce texte !
C’est pourquoi je vous invite à approuver notre motion tendant à opposer la question préalable.