Sécurité et développement des transports : question préalable

Publié le 18 octobre 2005 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,

Avant d’ aborder le contenu même de ce projet de loi, je voudrais dire quelques mots sur la méthode choisie par le gouvernement pour mener les débats.

En effet, je trouve surprenant que ce texte, dont il n’avait pas été question avant la reprise des travaux parlementaires, et dont le contenu même n’est disponible que depuis le 5 octobre - date à laquelle il est passé en conseil des ministres, soit discuté aussi rapidement en séance.
Un rapporteur a été nommé sur ce texte depuis le 28 septembre dernier et son rapport n’est disponible que depuis le 12 octobre.
Ainsi, les sénateurs devraient être en mesure, en un temps particulièrement court, de se faire une opinion éclairée sur ce texte, de prendre les contacts nécessaires, d’élaborer des amendements pour améliorer le texte de loi. Dans de telles conditions, un travail parlementaire sérieux devient vraiment difficile à accomplir !

Je déplore que le gouvernement, avec l’accord de la conférence des présidents, tronque le temps de travail nécessaire et méconnaîsse, une nouvelle fois, les droits de l’opposition.
Mais nous ne somme pas surpris ; ce n’est pas la première fois qu’il témoigne de sa haute considération pour l’activité parlementaire : que ce soit en légiférant par voie d’ordonnance, en déclarant l’urgence sur de nombreux textes et notamment celui ci , ou encore en n’inscrivant pas à l’ordre du jour les débats et propositions de loi à l’intiative des sénateurs de l’opposition...

De plus, le refus du traité constitutionnel européen, exprimé le 29 mai dernier par nos concitoyens, ainsi que les manifestations du 4 octobre dernier ont été également l’occasion pour le peuple français d’exprimer son refus des politiques ultralibérales, de la déréglementation à tout va, et de démantèlement des services publics.
Pourtant aujourd’hui, aucune remise en question de ces politiques n’est amorcée. Bien au contraire ! Le parlement européen a voté le 28 septembre dernier, une version encore plus libérale du troisième paquet ferroviaire, c’est à dire, la libéralisation du transport passager international dès 2008 et du transport passager national en 2012.

De même, la directive Bolkestein, qui avait tellement suscité de contestation, se retrouve discutée actuellement par le parlement qui devrait voter ce texte avant la fin du mois d’octobre.
Ce projet de directive de libéralisation des services avait particulièrement illustré l’orientation néo-libérale des politiques européennes. En effet, elle visait à la réalisation d’un marché unique des services en supprimant tous les obstacles à la liberté d’établissement et de circulation des services. Elle encourageait le dumping social et fiscal en écartant la perspective d’harmonisation entre les états membres par l’intensification de la concurrence entre les salariés des différents Etats.

Les institutions européennes restent donc impertubables et poursuivent la mise en oeuvre de la marchandisation de l’ensemble des activités et des services publics en particulier.
Ces directives menacent directement le service public et notamment le service public ferroviaire.

Je tiens ici à rappeler que de nombreuses années que les parlementaires communistes demandent un moratoire sur les effets économiques et sociaux de la libéralisation des secteurs publics, et notamment des secteurs ferrovaires, aériens et maritimes. Cette demande légitime n’a jamais trouvé de réponse.
Au regard des attentes exprimés à plusieurs reprises par le peuple français, il semble pourtant que ce devrait être là, l’un des premiers mandats du gouvernement que de solliciter les institutions européennes pour la réalisation de ce moratoire.
De plus, les exemples sont nombreux des dérives de la libéralisation. En effet, en Grande Bretagne, par exemple, cette politique de déréglementation entamée depuis 9 ans s’est traduite pas une baisse de la qualité de l’offre, mais aussi par l’insécurité des passagers comme en témoignent les nombreux accidents.

La société Connex, filiale du groupe Véolia, s’est illustrée sur ce marché en étant déchue de sa franchise sur le secteur South East. L’autorité de réglementation du gouvernement a pris cette décision en raison d’une gestion laxiste, source de gaspillage des fonds publics.

Provisoiremment, la ligne est revenue dans le secteur public. Ce changement s’est soldé par une meilleure ponctualité des trains, une gestion plus saine des comptes et l’embauche de davantage de salariés. Pourquoi ne pas en tirer les conclusions qui s’imposent ?
Aujourd’hui, le gouvernement demande à la représentation nationale de voter le projet de loi de transposition du deuxième paquet ferroviaire, sans tenir compte des éléments que je viens d’évoquer.

Ainsi, le gouvernement continue avec zèle l’adaptation du droit français aux orientations libérales européennes.
Sur le plan national, aucun bilan n’a été effectué sur les conséquences du plan fret ferroviaire sur la qualité du service public ferroviaire. Pourtant, selon les chiffres donnés tant par la SNCF que par les syndicats, ce plan s’est traduit, une nouvelle fois, par la perte de capacité du réseau et un recul du trafic des marchandises, malgré des prévisions optimistes.
D’autre part, afin d’améliorer la sécurité des transports, vous proposez la création de l ’Agence française de sécurité ferroviaire, tel que définit à l’article 16 du deuxième paquet ferroviaire.

Ce nouvel établissement public serait chargé des tâches techniques d’instruction des dossiers et de contrôle de la réglementation technique de sécurité ferroviaire.
Il s’agit une nouvelle fois de confier à une autorité de régulation des missions relevant des prérogatives de l’Etat, comme garant du service public. Il s’agit en effet de missions fondamentales pour la sécurité des usagers comme la délivrance des autorisations exigées pour l’exercice des activités ferroviaires ainsi que leur suivi et leur contrôle.
Par ailleurs, cet établissement devrait recruter du personnel provenant des exploitants ou des industriels du secteur .

Autrement dit, la création de cette agence, parallèlement avec l’ouverture à la concurrence laisse présager que dans son conseil d’administration seront représentés des opérateurs privés.
Cela laisse planer de nombreuses interrogations sur les modalités de délivrance des autorisations concernant l’exercice d’activité ferroviaire. Quels seront les intérêts pris en compte ? Quels critères d’appréciation seront utilisés pour l’attribution des licences ? Encore une fois, les modalités d’application de ces articles sont renvoyés à un décret en Conseil d’Etat.
Ajoutons à cela que ce type de structure favorise systématiquement les nouveaux entrants par une application stricte du principe de libre concurrence au détriment de l’opérateur historique.

Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen, estiment que ce projet de loi ne peut être discuté en séance tant qu’un moratoire ne sera pas décrété afin d’évaluer les conséquences économiques et sociales des politiques de libéralisations des services publics conduites par les institutions européennes et le gouvernement français.

Évelyne Didier

Ancienne sénatrice de Meurthe-et-Moselle
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