Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,
Le titre du projet de loi « sécurité et développement des transports » dont nous avons aujourd’hui à débattre est plutôt positif et engageant.
Nous pourrions ainsi penser que le gouvernement va enfin engager les investissements nécessaires en terme d’infrastructures, de matériels roulants et de personnels pour garantir les objectifs déterminés par le titre de la loi.
La période s’y prête d’ailleurs assez bien suite, notamment, à la remise le 7 septembre dernier de l’audit sur l’état des infrastructures de transport ferroviaire, où le constat est fait d’un sous investissement chronique de l’Etat, qui aboutira, si rien ne change à la suppression de 60% des lignes d’ici 2025. Les besoins de modernisation et d’entretien du réseau ferroviaire sont effectivement urgents.
Cependant, contrairement à toute attente et sous la forme d’une curieux patchwork, l’ambition de ce texte réside principalement dans la transposition en droit français de la directive dite « deuxième paquet ferroviaire » par l’article 12 de ce projet de loi.
Ainsi, selon le gouvernement, la libéralisation du fret ferroviaire serait porteuse d’une amélioration de l’offre de transport. Je pense, au contraire, que le gouvernement fait une erreur politique importante. Ce projet de loi, non seulement fragilise la sécurité, mais handicape également le développement des transports.
Je m’explique. Tout d’abord, la libéralisation du secteur ferroviaire comme du secteur aérien a accru l’insécurité des usagers comme en témoigne les accidents à répétition sur le réseau ferroviaire en Angleterre ou bien les accidents d’avions de cet été, alors même que l’évolution des technologies devrait permettre d’atteindre un très haut niveau de sûreté des transports.
En effet, comment peut-on penser que la déréglementation et la casse du monopole public qui se traduisent par la mise en oeuvre du règne du marché et des critères de rentabilité immédiate puissent améliorer en quoi que ce soit la sécurité des usagers ?
On le sait, pour augmenter leurs marges, les entreprises privées réduisent les coûts en personnels et en maintenance par, notamment, une utilisation accrue de la sous traitance. Les salariés de British Airways en lutte pourraient témoigner des risques importants que la sous traitance va provoquer au niveau de la sécurité des voyageurs.
Ainsi soumettre les activités au marché, c’est rogner sur la sécurité et sur la qualité de service.
Pour poursuivre dans le domaine du transport aérien, aujourd’hui, la réglementation nationale et européenne ont permis le passage d’une logique de sécurité à celle du risque calculé. En effet, les compagnies toujours à la recherche d’une rentabilité maximum n’ont pas hésité à changer les règles d’entretien des pièces dans l’aéronautique. Elles ont privilégié les réparations curatives à l’entretien préventif. De plus, dans un contexte de baisse constante des crédits accordés à la DGAC, comment la sécurité peut-elle être assurée quand l’objectif n’est plus celui de service public, mais celui de l’augmentation des bénéfices des actionnaires des compagnies privées ?
S’il faut encore parler de sécurité, comment ne pas aborder le nécessaire rééquilibrage entre le rail et la route, objectif pointé par le livre blanc des transports de la commission européenne et lors du comité interministériel d’aménagement du territoire. Cet objectif, a plus récemment encore été rappelé lors du vote de la loi d’orientation sur l’énergie. Il est très présent dans les discours, peu dans les actes.
Il se justifie pourtant par les nombreux avantages du rail en terme d’aménagement du territoire, de préservation de l’environnement. En effet, on ne le rappellera jamais assez, le secteur routier est responsable de l’émission de 84 % des gaz à effet de serre. Il s’agit également d’un mode de transport plus économe en énergie particulièrement conforme aux engagements pris par la France en adoptant le protocole de Kyoto.
Mais, Monsieur le ministre, vous préférez céder toujours plus au patronat routier, par exemple, par l’élargissement du champ d’application de l’ordonnance « aménagement du temps de travail dans les transports ». Les articles 16 et 17 de ce projet de loi, permettent d’augmenter le temps de travail des conducteurs routiers, bel exemple d’amélioration de la sécurité sur les routes.
Le patronat routier va bénéficier également grâce au plan du gouvernement du 12 septembre dernier d’un nouveau dégrèvement de taxe professionnelle sur les camions de plus de 16 tonnes. Plan qui va coûter à l’Etat 400 millions d ’euros. Toutes ces mesures s’ajoutent au dégrèvement de taxe professionnelle pour les camions de 7,5 tonnes déjà accordé dans la loi de finances 2005.
Par l’article 15 de ce projet de loi vous leur permettez également de répercuter l’augmentation du prix du pétrole sur les contrats passés antérieurement et donc sur leurs clients.
Cette mesure pourrait s’avérer juste tant il est vrai que le secteur routier souffre de cette hausse des courts de pétrole.
Cependant la baisse des très lourdes taxes sur les produits pétroliers et l’augmentation des prélèvements sur les énormes profits des compagnies pétrolières auraient permis de véritables mesures de justice fiscale pour tous, y compris les trop nombreux salariés qui n’ont d’autres choix que d’utiliser leur véhicule personnel pour se rendre sur leur lieu de travail, par manque de transports en commun adaptés.
Vous préférez aider un secteur qui souffre d’autant plus que le modèle de développement de ce mode de transport se fonde essentiellement sur le dumping social et la mise en concurrence intra modale se traduisant par une sous tarification des transports. Il s’agit également d’un mode de transport où la majorité des coûts d’infrastructures sont supportés par la collectivité.
En ce sens, les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen proposent l’instauration d’une tarification sociale obligatoire, c’est à dire, une réglementation des prix dans le domaine du transport routier de marchandise qui prenne en compte le coût des infrastructures, le coût de l’application des règlementations et du droit du travail et les coûts externes notamment en terme d’environnement. Il s’agirait là, à notre avis, de la mise en place d’un véritable outil de lutte contre le dumping social organisé.
Il permettrait ainsi d’établir une véritable comparaison des coûts du transport routier et du transport ferroviaire. Une certaine façon de mettre en oeuvre le principe de concurrence libre et non faussée que certains d’entre vous affectionnent particulièrement.
Parallèlement, la saturation du réseau routier favorisé par le gouvernement est également facteur de risque, comme en témoignent les dramatiques accidents du tunnel du Mont Blanc et du tunnel du Fréjus.
Édicter de nouvelles normes de sécurité, notamment concernant les tunnels dans l’article 8 de ce projet de loi, n’aura que peu de portée s’il y a toujours plus de camions sur les routes. Le plan fret, qui prépare l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, a déjà mis 200 000 camions supplémentaires sur les routes depuis sa mise en oeuvre en 2004. Au terme de ce plan, ce sont 1 million de camions supplémentaires qui sont attendus. Vous ne trouvez pas que cela suffit ? Quid de la volonté affirmée de rééquilibrage des modes de transports ?
D’autre part, le manque d’entretien du réseau ferroviaire est aussi facteur de risque.
Dans ce sens, l’audit sur les infrastructures de transport recommande un fort investissement de l’Etat dans les années qui viennent. Face à cette demande, le gouvernement s’est engagé à abonder de 70 millions d’euros seulement en faveur des infrastructures sur les 600 préconisés par l’audit.
Le gouvernement pense alors trouver une solution à ce fort besoin d’investissement en proposant dans l’article 13 de ce projet de loi le développement de partenariats public privé pour la construction, l’entretien ou l’exploitation d’infrastructures de transport.
Or, cette mesure pourra intéresser le secteur privé uniquement dans le cadre d’opérations particulièrement rentables, comme par exemple la liaison Paris Roissy Charles de Gaulle. Mais à côté de cela, quelles solutions sont proposées pour toutes les autres infrastructures, celles dont le retour sur investissement s’effectue en moyenne à l’échelle de 30 ans ?
C’est pourquoi les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen, estiment essentiel que l’Etat conserve la maîtrise des infrastructures de transport au regard des missions qui sont les siennes : celles d’aménagement de territoire, d’égalité d’accès et d’égalité territoriale, mais aussi celle de sécurité des usagers. Dans ce sens, ils proposent la mise en oeuvre d’un plan pluriannuel d’investissement entre l’Etat, la SNCF et RFF.
Dans ce sens, ils demandent, de nouveau, la création d’un pôle public de financement organisé autour de la Caisse des dépôts et de consignation pourrait permettre un financement complémentaire de l’AFIFT.
Ce qui m’amène à évoquer l’autre volet du titre, c’est à dire celui, supposé, du développement des transports. Là encore ce bel objectif nécessiterait un tout autre engagement de l’Etat en la matière.
Je reprendrai l’exemple du fret ferroviaire et plus particulièrement du plan d’entreprise 2004/2006. Ce plan est un plan de repli du réseau, 22 000 sillons ont été abandonnés le 12 décembre 2004, 4 gares de triage, 16 gares de triages principales et plus de 100 gares ouvertes au fret vont être fermées. L’application du plan fret en 2005 s’est également traduit par la suppression de 2666 postes.
Il s’agit par ce plan de permettre à la SNCF d’arriver à l’équilibre, non par une diversification et une amélioration de l’offre de transport, mais par une diminution des coûts de production et par la contraction du réseau en se cantonnant aux lignes rentables.
Ainsi, l’unique objectif de ce plan est de préparer l’ouverture à la concurrence. Comment un quelconque développement de l’offre est-il alors possible dans ces conditions ? La libéralisation des services publics ne peut pas aboutir à un développement du service de transport.
En effet, cette stratégie du gouvernement va aboutir à une forte concurrence entre la société nationale et les opérateurs privés sur les lignes rentables, mettant dans une situation extrêmement difficile l’opérateur public, le privant de toute possibilité de péréquation.
Ainsi, la notion de rentabilité devient plus importante que celle d’égal accès au réseau. Ce changement d’orientation témoigne du passage d’un service public à une entreprise fonctionnant selon la loi du marché.
Nous pensons que si le gouvernement veut réellement légiférer pour une amélioration de la sécurité et un développement de l’offre de transport, il doit tout d’abord s’engager à la reprise de la dette de la SNCF et de RFF. En effet, avec une dette de plus de 40 milliards d’euros, comment peut-on imaginer un quelconque développement ?
Cette dette qui étouffe Réseau Ferré de France a aussi de lourdes conséquences sur le coût du transport ferroviaire. En effet, elle justifie une augmentation exponentielle des péages payés à RFF. Ils sont passés de 0,8 milliards d’euros en 1997, à 2,3 milliards en 2004.
Nous pensons également, que l’Etat doit s’engager à fournir à l’agence de financement des infrastructures de transport, créée à l’initiative du gouvernement, les recettes nécessaires pour mettre en oeuvre les grands projets définis lors du comité interministériel de décembre 2003, voir se montrer plus ambitieux encore en finançant d’autres projets particulièrement utiles.
L’électrification de la ligne Paris-Troyes-Bâle en est un. Pour ce faire, le gouvernement doit notamment renoncer à la privatisation des concessions d’autoroutes. En effet, les dividendes des sociétés d’autoroutes devaient être la principale source de financement de l’agence de financement des infrastructure de transport. Gilles de Robien, votre prédécesseur, Monsieur le Ministre, escomptait plus de 30 milliards d’euros de bénéfices d’ici 2025 pour pouvoir financer l’AFITF. Par quel tour de magie arrivez-vous à vous en passer, Monsieur le Ministre ?
De plus, lors de la présentation du budget des transports pour 2006, nous demanderons au gouvernement d’accorder les crédits suffisants pour répondre à cet objectif, notamment en ce qui concerne le transport combiné et le fret ferroviaire.
Les investissements de la puissance publique ne doivent pas être considérés comme un coût car ils sont gages de croissance et d’emplois.
Nous demandons également que le gouvernement s’engage à organiser un grand débat public sur les transports, sur les besoins en terme de service public pour définir en collaboration avec les élus territoriaux et les populations un schéma directeur des transports.
Nous pensons pour notre part, que les impératifs de service public dans les secteurs aéroportuaires, ferroviaires et maritimes doivent inciter les institutions européennes à proposer non la mise en concurrence et la marchandisation de ces activités, mais au contraire la mutualisation des services publics nationaux seuls capables d’offrir une réponse adaptée aux besoins de transports prenant en compte les impératifs de sécurité et la nécessité de développement du réseau.
Pour toutes ces raisons, et malgré quelques mesures que nous pourrions soutenir, les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen ne peuvent approuver votre projet de loi. Ils proposeront dans le débat des amendements visant à assurer un maîtrise publique des infrastructures et de l’offre de transport, il s’agit pour nous d’une condition essentielle pour la mise en oeuvre d’un service public de qualité, garantissant l’égal accès des usagers et leur sécurité. C’est aussi la seule manière d’envisager un développement des transports fondé sur les besoins des populations et non sur le rendement maximum des actions des entreprises privées.