Secteur de l’énergie, GDF-Suez : motion référendaire

Publié le 11 octobre 2006 à 17:13 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher(e)s collègues,

C’est avec gravité que je prends la parole pour soutenir cette motion référendaire visant à soumettre au peuple français ce projet de loi relatif au secteur de l’énergie qu’il faut appeler par son nom : projet de loi de privatisation de GDF, entraînant le démantèlement du secteur public de l’énergie.

Cette motion n’est pas un artifice de procédure. Les puissances d’argent, un gouvernement qui leur est acquis et soumis, s’attaquent aujourd’hui à un bien collectif inestimable : l’énergie.
Notre peuple doit être consulté. Si vous me répondez : il sera consulté en 2007, je vous réponds par avance : retirez votre projet.

Le Conseil National de la Résistance avait perçu le caractère essentiel du contrôle public de ce secteur, pour l’indépendance nationale et pour la justice sociale. C’est pour cette raison qu’il l’avait inscrit prioritairement dans son programme.
Dès le 12 septembre 1944, le général de GAULLE annonçait « le retour à la Nation des principales sources d’énergie ».
C’est donc en toute logique que les constituants incluaient dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 l’alinéa suivant : « tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert le caractère d’un service public national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité. »

A fortiori, cette propriété ne peut pas lui être retirée.
Oui, nous en appelons au peuple aujourd’hui en l’alertant sur la spoliation dont il va être victime. C’est en effet le bien public que vous vous apprêtez à piller et cela, au seul profit d’actionnaires qui, tel M. Albert FRERE, premier actionnaire de Suez, guettent la bonne affaire.
Il est inacceptable du point de vue démocratique, qu’une majorité contestée dans les urnes, poussée au recul par la rue, persévère dans sa fuite en avant libérale, à quelques mois d’échéances électorales majeures, en décidant de brader de manière parfaitement anticonstitutionnelle, un service public national, un service public protégé par les textes fondateurs de la République.

Puisque ni la majorité de droite de l’Assemblée Nationale, ni la majorité de droite du Sénat, n’ont l’intention de faire respecter la Constitution, puisque c’est à son viol qu’elles s’apprêtent l’une et l’autre, il faut donner la possibilité à la Nation, au peuple, de rappeler à l’ordre les apprentis sorciers du libéralisme.
L’opposition sénatoriale n’est pas la seule à souligner cette mise en cause flagrante du préambule de la Constitution de 1946 qui, je le rappelle, fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité au même titre que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et au même titre que la Constitution de 1958.

Le titre d’un article du journal « Les Echos », susceptible de relayer une propagande subversive, est éloquent : « De sérieux problèmes de conformités avec la Constitution ». L’auteure livre cette analyse : « En clair, dès lors qu’une entreprise est en charge d’un service public, elle doit appartenir à l’Etat. C’est donc dans l’esprit de la Constitution, le service de l’intérêt général, qui impose la participation majoritaire de l’Etat et non la participation de l’Etat qui créerait de fait un service public. La question est au cœur de tous les débats de privatisation. Bizarrement, cette fois, les parlementaires concentrés sur l’article 10 du projet qui abaisse la participation de l’Etat dans le capital du gazier sont passés à côté. »

L’autre quotidien économique, « La Tribune », s’interrogeait également dans son édition du 9 octobre, « Peut-on privatiser un service public national ? »
Dans cet article, M. Ladislas PONIATOWSKI indique que GDF n’est pas un service public national. Cette opinion n’est pas surprenante car il est un défenseur acharné de la privatisation et n’est pas à une approximation près pour parvenir à ses fins. Par contre, dans le même article, un professeur de droit public, M. Gérard QUIOT, contredit M. PONIATOWSKI : « Il est certain que le préambule de la Constitution de 1946 qui est toujours partie intégrante de notre Constitution, ne permet pas de privatiser une activité que les autorités publiques considèrent comme étant d’intérêt général, ce qui est le cas de Gaz de France. »

« En droit, un service public national est une activité soumise à des obligations visant à garantir l’égalité des citoyens devant le service rendu, sa continuité et la capacité de l’opérateur à fournir la meilleure prestation en toutes circonstances. De surcroît, son intérêt est commun à l’ensemble de la collectivité. Dans le cas précis du gaz, la péréquation tarifaire, comme le maintien de l’obligation faite à GDF de fournir du gaz aux Français à un prix fixé par les autorités publiques, qualifie bel et bien l’entreprise comme étant un service public national. Que les opérateurs privés soient soumis à la péréquation tarifaire ne change rien. »

Je poursuis cette citation car elle est édifiante.
« Le gouvernement ne peut, d’un côté, conserver à GDF ses missions de service public en réaffirmant son attachement au maintien de ses missions, et de l’autre, sortir l’entreprise du secteur public, sans être en contradiction avec notre Constitution. Si le législateur considère qu’aujourd’hui les exigences du secteur privé sont conciliables avec celles du secteur public - ce que les auteurs du préambule de la Constitution de 1946 jugeaient comme étant parfaitement incomparables - il doit être cohérent et modifier la Constitution. »

M. le Ministre, qui pourrait nier, de bonne foi, aujourd’hui, que l’exploitation de notre secteur énergétique relève d’un service public national, ne serait que parce qu’il doit garantir notre indépendance énergétique ? Le fait que l’avenir du marché du gaz soit au centre des dernières conversations entre MM. CHIRAC, POUTINE et Mme MERKEL, montre bien, n’en déplaise à M. PONIATOWSKI, qu’il s’agit d’un enjeu national européen et même planétaire. C’est afin de respecter le préambule de notre Constitution que la forme juridique d’établissement public à caractère industriel et commercial avait été retenue par la loi de nationalisation du gaz et de l’électricité du 8 avril 1946, introduisant dans notre droit un type de propriété des entreprises publiques sans capital social ni actions : l’Etat ne dispose pas de la propriété du capital de l’EPIC qui est inaliénable et indivisible. La loi de 2004 a changé le statut des deux entreprises, mais n’a pas modifié leur rapport à la Nation.
L’article 16 de la loi du 8 avril 1946 établissait sans ambiguïté que « le capital appartient à la Nation. Il est inaliénable ». Dès 2004 et plus encore aujourd’hui, une modification de la Constitution aurait dû précéder l’élaboration de ces projets de loi.

En l’absence d’une telle modification, ils sont manifestement anticonstitutionnels. Notre appel au peuple se fonde donc sur une atteinte grave à la Constitution. La conséquence de cette agression, c’est la mise en cause de l’indépendance énergétique de notre pays, c’est la certitude d’une augmentation forte des tarifs, source d’injustice sociale.
Machiavel, conseiller au Prince, de devenir « grand simulateur et dissimulateur », d’apprendre « à manœuvrer par ruse la cervelle des gens ». Et il rappelait souvent que « qui trompe, trouvera toujours qui se laisse tromper ».

Notre peuple a souvent montré qu’il ne se laissait pas tromper pour peu qu’il soit informé.
Vous, vous reniez la parole donnée, nous vous l’avons dire hier, et nous le répétons parce que vos réponses nous donnent raison. Vous aviez toutes les cartes en mains en 2004, or, c’est le 15 juin 2004 que Nicolas SARKOZY, alors Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, qui déclarait la main sur le cœur : « Je l’affirme parce que c’est un engagement du gouvernement, EDF et Gaz de France ne seront pas privatisés. Le Président de la République l’a rappelé solennellement lors du Conseil des Ministres au cours duquel fut adopté le projet. Mieux, le gouvernement acceptera l’amendement du Rapporteur général prévoyant de porter de 50 à 70% le taux minimum de détention du capital d’EDF et de Gaz de France. »

M. Ladislas PONIATOWSKI n’était pas en reste. Que déclariez-vous avec un certain agacement, il y a deux ans ? « La sociétisation est-elle une étape vers la privatisation ? C’est décourageant de le rappeler. J’ai rencontré les représentants des différents syndicats, j’ai participé à des débats télévisés et radiophoniques, je l’ai écrit dans des journaux et je ne sais plus à quel temps il faut le conjuguer : il est évident que l’ouverture du capital ne signifie en aucun cas la privatisation. »

Tout aurait changé depuis ? La mondialisation ? L’Europe ? Les directives européennes ? Tout était sur la table en 2004. Toujours en 2004, M. Henri REVOL qui exprimait la position du groupe UMP du Sénat ne disait-il pas : « On a quelque peine à comprendre le discours revendicatif tenu par certains hommes politiques qui ont brandi le spectre de la privatisation. »

Et si votre collègue, Ladislas PONIATOWSKI m’y autorise, je reprendrai à mon compte une formule qu’il utilise avec bonheur dans son rapport, à savoir, qu’il s’agit « d’un fantôme à laisser au placard ». Je le répète, nous n’envisageons aucune privatisation. J’ai une mauvaise nouvelle pour M. PONIATOWSKI et M. REVOL : le fantôme est sorti du placard.

M. LENOIR, l’homologue de M. PONIATOWSKI à l’Assemblée Nationale était encore plus convaincant pour défendre le service public : « Il est en revanche hors de question que cette évolution (le changement de forme juridique) entraîne la perte de contrôle de l’Etat sur ces entreprises, compte tenu du caractère éminemment stratégique de leurs activités. »
Le retournement de M. LENOIR est surprenant, puisque le caractère stratégique des activités s’est renforcé du fait de la crise pétrolière actuelle....

Enfin, je citerai M. DEVEDJAN : « S’il apparaissait que les engagements pris avec les formations syndicales ont été empreintes d’une certaine duplicité ou si nous nous révélions incapables de les tenir, c’est toute la politique de réforme que nous voulons conduire qui pourrait être mise en cause. Il faut que les partenaires sociaux sachent que le gouvernement fait tout pour respecter sa parole et qu’il demande à sa majorité de l’y aider. »

M. DEVEDJAN répondait à l’impatience de M. MARINI qui proposait d’abaisser le capital de GDF à 51%.
Effectivement, M. MARINI peut se vanter d’être immuable dans ses convictions. Prier de retirer son amendement à l’époque, il en avait conclu : « A chaque jour suffit sa peine. » Il sait qu’il faut être patient. Aujourd’hui, il veut privatiser les établissements locaux de distribution de l’énergie. L’Assemblée Nationale a rejeté une proposition similaire, M. MARINI sait qu’il pourra y compter prochainement.
Vous trompez le parlement. Vous trompez le peuple. Celui-ci vous donne pourtant beaucoup de signes de son mécontentement : votre échec électoral en 2004, votre échec au référendum du 29 mai, votre échec spectaculaire avec le CPE...

Vous continuez droit dans vos bottes votre mission : installer l’ordre libéral dans notre pays, détruire notre modèle social.
Vous serez sanctionné, mais nous voulons éviter que vous cassiez tout avant.
Le 25 février dernier, M. de VILLEPIN a légitimé la privatisation au nom du patriotisme économique. C’est le monde à l’envers.

De quel patriotisme économique parlez-vous ? La menace d’OPA d’ENEL n’a jamais existé, tout le montre aujourd’hui. Ce qui apparaît par contre, c’est que GDF et Suez négociait leur fusion depuis de nombreux mois, voire de nombreuses années. L’argument de patriotisme économique visait uniquement à valider une opération minutieusement préparée. C’était une manœuvre grossière.

De quel patriotisme économique parle-t-on, alors que le patrimoine industriel, le bien public est livré aux appétits financiers français et européen, et, qui pourrait en douter, russe un jour, car gazprom est à l’affût.
La fusion GDF-Suez rend le futur groupe opéable. Seule la maîtrise publique peut empêcher les requins de la finance d’agir.
C’est donc l’antithèse du patriotisme. De quel patriotisme parle-t-on alors que c’est la Commission européenne et l’ultralibérale Commissaire européenne, Nelly KROES qui est aux commandes pour décider des conditions de la fusion future.
Le 28 septembre dernier, cette nouvelle dame de fer s’est déclarée prête à ouvrir le secteur de l’énergie « de force ».

Cette dame, l’UMP, le gouvernement, ont-ils oublié le 29 mai 2005 ? Ce jour-là, une forte majorité a, malgré une pression médiatique intense, rejeté les bases libérales de l’Europe, et condamné le déficit démocratique qui caractérise le fonctionnement de l’Union européenne. Voilà ce qui a changé depuis 2004.
Au lendemain du référendum, je ne vais pas reprendre mon carnet de citations, tout un chacun soulignait la nécessité de restaurer le lien démocratique entre l’Europe et les peuples.
Ces paroles, comme d’autres, sont déjà oubliées. Vous livrez la maison GDF et bientôt EDF, à ces agents des intérêts financiers européens que sont les commissaires de Bruxelles.

En effet, de quel patriotisme économique nous parle-t-on, alors que les députés communistes et socialistes ont dû batailler pour pouvoir parcourir dans des conditions difficiles, la lettre de griefs adressée par ladite commission à GDF et Suez ?
Et encore, le texte mis à la disposition dans une salle où même les téléphones portables étaient interdits, était-il censuré, des passages entiers ayant été noircis et cela volontairement, comme l’a reconnu lui-même M. BRETON. Je regrette une nouvelle fois que la Commission des Affaires économiques, M. EMORINE, son président, n’ont pas daigné insister auprès de Mme KROES pour qu’elle se rende devant cette commission. L’avenir de GDF ne justifiait-il pas une insistance et un changement d’agenda ?

La question européenne est une nouvelle fois au centre des débats. M. PONIATOWSKI, en 2004, insistait sur le caractère irréversible du processus de libéralisation de l’énergie. Mais au nom de quel principe politique, philosophique, des décisions seraient-elles irréversibles ?
Le Traité Constitutionnel était une évidence incontournable. Le repousser menait l’Europe au cataclysme, à l’effondrement. L’irréversibilité du processus était là aussi invoquée.
J’estime pour ma part que la démocratie exige la réversibilité. Rien n’est gravé dans le marbre. Les directives européennes en matière de libéralisation de l’énergie doivent pouvoir être renégociées.
Ce sera un objectif important d’une gauche à nouveau au pouvoir.
Il s’agit d’une question de volonté politique. Ce sera difficile, mais c’est possible en s’appuyant sur notre peuple, sur les peuples qui subissent cette Europe non démocratique, aux objectifs essentiellement financiers.
Ecouter le 29 mai sans le diaboliser, c’est entendre cette aspiration au débat à la vraie politique, fondée sur le bilan et sur la poursuite de l’intérêt commun.
Ecouter le 29 mai, c’est en tirer les leçons en se rendant à Bruxelles avec un mandat : plus de démocratie, plus de justice sociale et la remise en cause des directives d’inspiration strictement libéral et en premier lieu, celle relative aux services publics.

Le 29 mai, en effet, a été également un moment de l’expression d’un fort attachement au service public. N’oubliez pas, M. le Ministre, qu’au-delà des 94% du personnel de Gaz de France qui a repoussé le démantèlement de leur entreprise, c’est votre peuple qui refuse la privatisation de ses biens.
Votre mandat après le 29 mai, M. le Ministre, n’était pas d’enfoncer le clou libéral, mais de prendre à contre-pied les politiques européennes de l’énergie mises en œuvre jusqu’à présent.

Décidément, parler de patriotisme économique dans ces conditions relève de provocation lors que c’est une liquidation en règle du bien public de deux piliers de notre société à laquelle nous assistons.
Tout justifie le recours au référendum. Le peuple doit se prononcer. Il doit pouvoir se prononcer pour le respect du droit à l’énergie dans notre pays. Votre texte M. le Ministre, foule au pied ce droit élémentaire à se chauffer, à être éclairé, à se déplacer. Le droit à l’énergie est indissociable de l’idée même de justice sociale, d’égalité.
Vous avez tenté de masquer la déréglementation massive, la casse de l’outil public par de bien modestes mesures en matière de tarifications sociales qui seront rapidement réduite à néant par le pilonnage du marché et les exigences de rentabilités des actionnaires.
L’augmentation des tarifs est inéluctable. Chacun le sait, mais seule l’opposition le dit.
Vous refusez de livrer un bilan détaillé, honnête, des premiers effets de la libéralisation. Or, de très nombreuses PME cherchent à rejoindre le secteur réglementé de l’énergie, écrasées par les augmentations de tarifs dans le secteur libéralisé.

L’appétit des actionnaires n’est pas la seule cause de l’augmentation future des tarifs. Les exigences de la Commission européenne en matière de réduction, voire de mise en cause des contrats d’approvisionnement à long terme, alimenteront la tension sur les prix.
L’augmentation des tarifs sera sans nul doute l’une des premières conséquences de la privatisation.

Mais je l’ai évoqué il y a un instant, EDF est directement menacée par ce projet de loi. En effet, séparée de son partenaire gazier, elle sera face à un nouveau concurrent à l’offre plus importante. Dans le cadre de la fusion, Suez va en effet disposer d’un listing des 11 millions de clients de GDF à qui le nouveau groupe pourra proposer une offre intégrée incluant gaz et électricité.
La concurrence à outrance entre ces deux groupes, EDF d’un côté, GDF-Suez de l’autre, se fera au détriment de l’investissement à large terme, en matière de recherche pour diversifier les sources d’énergie, en matière de sécurité pour la gestion du parc nucléaire.
N’est-il pas inquiétant d’ailleurs, d’observer la manière dont Suez, sur les sommations de la Commission européenne, cherche à se débarrasser de ses centrales nucléaires belges ?

Sur ce point, j’ouvre une courte parenthèse, n’est-il pas effrayant de constater la course entamée par EDF pour s’implanter sur le marché du gaz et pour le futur groupe GDF-Suez pour s’implanter sur le marché électrique.
Toute personne spécialiste ou non spécialiste, fera la constatation d’une situation « abracadabrantesque » : alors que la France disposait de deux entreprises publiques à la renommée mondiale, d’une puissance reconnue, à l’abri des appétits financiers, agissant en cohérence et pour le bien commun, outils d’une lutte décisive pour l’environnement et la recherche pour les énergies du futur, les libéraux, votre gouvernement, détruisent d’un coup de pied le fruit de décennies de labeur. Vous jouez, M. le Ministre, contre votre camp, vous jouez contre le progrès, pour la seule satisfaction, immédiate, sans lendemain du capital.
Vous allez réussir à mettre en concurrence, et je le crains, à lancer dans une guerre fratricide, deux entités industrielles remarquables.

Bien entendu, tout cela est une question de point de vue. Je vous parle d’incohérence, car je me situe du point de vue de l’intérêt général. Du point de vue des futurs actionnaires, la cohérence est évidente. Ces gens n’ont que faire de la satisfaction de la plus grande masse tant que leur porte-monnaie se remplit.
Notre appel au peuple se fonde également sur cette urgence, la défense de l’intérêt général, la lutte contre ces intérêts particuliers d’une élite financière qui sape notre modèle social.

Mais tout de même les atermoiements de ces derniers mois, semaines, jours, sont surprenants, inquiétants.
Pouvez-vous aujourd’hui, M. le Ministre, dresser à la représentation nationale, un tableau de l’état des négociations entre Suez et GDF d’une part, et entre le futur groupe et la Commission européenne ? Pouvez-vous nous donner votre opinion sur l’avenir d’EDF dans ce cadre ?
Je connais votre opinion que vous avez maintes fois répétée à l’Assemblée Nationale. Les parlementaires sont là pour discuter de l’ouverture du marché à la concurrence, de son principe et certainement pas pour s’occuper des affaires des actionnaires. Circulez il n’y a rien à voir en quelque sorte.

Cette conception du parlement ne me semble pas conforme à une vision républicaine de nos institutions. Tout ce qui concerne l’intérêt général, l’intérêt national, doit être débattu au parlement, quels que soient les intérêts privés mis en œuvre. Si des secrets doivent être préservés des procédures existent, comme celle de la réunion du Sénat en comité secret.

Il me semble que les parlementaires doivent être pleinement informés des tractations en cours. Nous constatons que la réponse de GDF à la lettre de griefs a été communiquée aujourd’hui seulement ! Quelles recommandations s’apprête à formuler la Commission européenne ? Quelles seront les conséquences sur l’emploi ? Comment répondez-vous, M. le Ministre, à cet audit indépendant qui estime que 20.000 emplois seront supprimés dans les années à venir à GDF ? Quels actifs vont être supprimés sur injonctions européennes ?
Les informations de ces derniers jours sur le devenir des centrales nucléaires belges détenues par Suez sont inquiétantes. On joue manifestement avec la sécurité, ces centrales changent de main chaque jour, tout cela pour permettre de parvenir coûte que coûte à cette fusion dont l’utilité publique demeure à prouver.

Est-il vrai, M. le Ministre, qu’EDF pourrait racheter certaines de ces centrales ?
Ce serait le comble ! Les fonds publics, une nouvelle fois, permettraient à une opération de privatisation de se réaliser. C’est EDF qui financerait partiellement le démantèlement de son entente historique avec GDF. On croit rêver.

Vous ne voulez pas M. le Ministre, parler de la fusion entre Suez et GDF en expliquant que ce ne sont pas les affaires du parlement.
Mais M. LENOIR, lui-même, Rapporteur de la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée Nationale, n’avait-il pas envisagé un plan B qui maintenait la maîtrise publique sur des activités essentielles de GDF. Il a même présenté sa proposition devant la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée Nationale le 26 juillet dernier. M. PONIATOWSKI avait d’ailleurs déclaré, alors que cette proposition méritait d’être étudiée. M. DEVEDJAN lui-même n’a-t-il pas présenté un plan C ?
Enfin, comment ne pas rappeler la proposition de loi présentée par M. DAUBRENE et des parlementaires UMP qui prônaient la fusion entre EDF et GDF dans un cadre public ? Votre réponse est consternante : « trop tard », « Bruxelles n’en voudrait pas ».

1) La Commission pour donner son avis devrait déjà en être saisie !

2) Aujourd’hui les directives sont contestées par l’Allemagne, le Portugal, l’Espagne qui s’engagent dans des projets de fusion entre leurs opérateurs nationaux. Si la France s’engageait dans cette voie, cela aurait du poids.

3) Avant de dire que Bruxelles n’en veut pas, battez-vous pour y arriver !

La fusion EDF-GDF est naturelle. La constitution d’un pôle public de l’énergie s’impose. La France serait bien le seul pays où l’Etat se désengage en matière énergétique. Il faut en débattre en levant le préalable un peu facile des oppositions de la Commission européenne.
Examinons d’abord ce qui est bon pour notre peuple, pour les peuples européens et nous parlerons avec Mme KROES ensuite.

Un grand débat national doit donc s’engager, M. le Ministre, sur l’avenir du secteur de l’énergie.
Tous les arguments doivent être présentés et des différentes stratégies confrontées dans la clarté. La dissimulation que j’évoquais ne doit plus être de mise. Ce grand débat national doit avoir pour conclusion la consultation populaire, le référendum.

Pour ceux qui l’auraient oublié, je souhaite rappeler que c’est en 1995 que le champ du référendum a été élargi au service public. M. Jacques TOUBON, alors Garde des Sceaux, avait précisé cette modification de la Constitution devant le Sénat le 25 juillet 1995 : « Il importe effectivement que le référendum puisse englober les instruments de mise en œuvre de la politique économique et sociale que constituent les services publics. »
M. TOUBON indiquait alors que « les priorités que le Président de la République a assignées au gouvernement pour les années à venir sont économiques et sociales. L’extension du champ du référendum à ces matières doit permettre de conduire des politiques audacieuses et consensuelles. »

Les politiques de privatisations entrent de toute évidence dans ce cadre.
La demande de référendum que nous formulons aujourd’hui est donc pleinement fondée constitutionnellement. Elle pointe même une promesse non tenue de M. CHIRAC, une de plus, celle de consulter régulièrement le peuple sur les questions économiques et sociales.
Nous proposons aujourd’hui au Sénat de mettre en application une révision constitutionnelle votée par lui il y a onze ans, sans être jamais appliquée depuis.
Avec les signataires de cette motion référendaire, je souhaite placer ce débat fondamental entre les mains des habitants de notre pays, entre les mains du peuple français.

La motion référendaire prévoit la mise en œuvre par le parlement, sur son initiative de l’article 11 de la Constitution qui organise le référendum et dont je viens de mentionner la modification en 1995.
Je vous rappelle que l’article 11 prévoit que le recours au référendum est décidé par le Chef de l’Etat « sur proposition conjointe des deux assemblées, publiée au journal officiel ». La motion si le Sénat venait à l’adopter, devrait être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées.

La majorité sénatoriale a, par le passé, voté trois fois une telle motion, le 5 juillet 1984 sur la loi relative à l’enseignement privé, le 19 juin 1985 sur la loi instituant la proportionnelle pour les élections législatives et le 17 décembre 1997 sur le projet de loi relatif au code de la nationalité.

Le 5 mars 2003, une telle motion sur le projet de loi relatif au mode de scrutin régional a été réprouvée.
M. GELARD, pour défendre la motion de 1997, insistait, je cite, sur « notre extrême timidité à l’égard du référendum législatif contrairement à certains de nos voisins, semble démontrer une méfiance à l’égard de la capacité de légiférer du peuple français ».
Serez-vous aussi timide aujourd’hui, alors qu’il s’agit de l’avenir de notre secteur énergétique, de l’indépendance énergétique de notre pays ?
Le Sénat doit prendre aujourd’hui une décision importante. Il en a les moyens. Je rappelle que dans cette assemblée, l’UMP ne dispose pas de la majorité absolue. Des voix s’élèvent au sein de ce mouvement pour souligner le danger du projet de loi qui nous est soumis. Certains comme M. DUPONT-AIGNAN, envisage même un recours devant le Conseil Constitutionnel.

Beaucoup dépendra de l’attitude du groupe de l’Union centriste, l’UDF du Sénat. Rallieront-ils les positions de leurs collègues de l’Assemblée Nationale qui, dans une très large majorité, ont rejeté la privatisation de GDF ? Seront-ils fidèles à M. BAYROUè qui n’a pas de mots assez durs pour la liquidation du secteur public de l’énergie ou retourneront-ils, comme cela est coutumier, dans le giron de l’UMP pour permettre au projet de passer et préserver leurs chances lors des échéances futures, législatives et sénatoriales ? Le double discours de l’UDF, d’opposition à l’Assemblée Nationale, majoritaire au Sénat, doit cesser. Vous devez, M. les membres du groupe UDF faire la clarté sur vos positions. Vous détenez en partie la clé d’un éventuel référendum sur la privatisation de GDF.
Sachez que nous serons attentifs à votre vote avec le personnel, les usagers d’EDF-GDF.

Le vote de cette motion référendaire doit permettre de mettre un terme à la précipitation actuelle et à la confusion ambiante. N’oublions pas que nous légiférons sans même connaître la réponse de la Commission européenne à l’offre de fusion entre Suez et GDF.
Soumettre ce projet de loi au référendum doit permettre au peuple de décider de l’avenir énergétique du pays en se substituant à un gouvernement, à une majorité UMP, qui a pratiqué la dissimulation dans un but et un seul : satisfaire des intérêts privés, au détriment de l’intérêt général.

L’avis de la commission du Sénat sur la motion référendaire est consternant « le texte est trop complexe, trop technique pour être soumis au référendum »
Oserez-vous défendre publiquement que le QI moyen du peuple est inférieur à celui des parlementaires ? Et permettez-moi de vous démentir. Vous aviez dit la même chose sur le traité constitutionnel européen. Le Président de la République a décidé d’un référendum, le peuple a bien vu ce qu’il y avait dedans. C’est la raison pour laquelle il l’a refusé.
Evidemment, M. BRAYE a une explication : « les Français répondent toujours à côté de la plaque quand on leur propose un référendum ! »
Je n’ose pas penser que la majorité des sénateurs puisse répondre publiquement qu’ils sont pour l’abolition du suffrage universel.

Mes chers collègues, M. CHIRAC, Président de la République, déclarait le 19 mai 2004, en Conseil des Ministres : « EDF et Gaz de France sont des grands services publics. Elles le resteront, ce qui signifie qu’elles ne seront pas privatisées. »

Laissons le peuple confirmer de telles paroles, laissons le peuple défendre son bien contre les affairistes. Laissons le peuple sauver EDF et GDF.

Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC

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