Secteur de l’énergie, GDF-Suez : explication de vote

Publié le 25 octobre 2006 à 16:20 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, nous avons échangé poliment nos points de vue pendant quelque dix jours. Pour ce qui nous concerne, nous avons exprimé ici les inquiétudes des salariés de GDF et de la population de notre pays et, surtout, leur attachement à ces grands services publics.

Monsieur le ministre, vous avez défendu votre projet de loi, mais vous n’avez en rien répondu aux inquiétudes que nous avons exprimées : les nôtres, celles de la population, celles des salariés. Vous avez maintenu votre choix de poursuivre la déréglementation du secteur de l’énergie et d’occulter le bilan terrible de la libéralisation en oeuvre depuis déjà longtemps.

Tout, en effet, montre les ravages de la mondialisation libérale sans foi ni loi et de la financiarisation de l’économie pour les peuples et pour la planète.

Au fond, vous qui déclinez le changement à l’envi, vous illustrez à votre façon la célèbre formule du prince Salina : « Il faut que tout change pour que rien ne change »...

En effet, pour l’appliquer à la situation d’aujourd’hui et au projet de loi qui nous est soumis, vous dites : pour que les actionnaires trouvent toujours plus de marge, il faut changer ce qui les contraint un tant soit peu, à savoir la maîtrise publique d’un secteur important, stratégique, de notre économie. Voilà ce que vous nous avez décliné pendant durant le débat.

Mes chers collègues, en 1946, la nation française avait fait le choix du statut d’établissement public afin de se doter d’outils industriels pour mettre en oeuvre la politique énergétique de notre pays et préserver de la faillite un secteur aussi vital pour notre économie, pour son indépendance.

Tous les messieurs de la Palice nous ont dit moult fois : Tout a changé depuis 1945. Mais, en 2004, par la voix de l’un de ses ministres jurant la main sur le coeur, l’État prenait l’engagement de ne pas descendre en dessous de 70 % sa participation dans les entreprises publiques du secteur énergétique.

Le ministre de l’économie, M. Thierry Breton, nous le rappelait hier : « les choses ont changé depuis deux ans et c’est l’honneur de la majorité »... de se dédire, ajouterai-je.

Effectivement, les choses ont changé depuis deux ans, mais pas dans le bon sens.

En 1946, mes chers collègues, les forces politiques avaient conscience que l’électricité et le gaz ne pouvaient pas être considérés comme de banales marchandises. Mais c’est toujours le cas.

Ainsi, lors du débat sur les nationalisations, Robert Buron, rapporteur de la commission des finances, ancien ministre du général de Gaulle en 1958, indiquait : « Le risque de nationalisation non effectuée sera plus grave pour l’industrie privée et, en tout cas, pour l’équipement électrique français qu’une nationalisation sainement effectuée. »

Quant aux enjeux, ont-ils vraiment changé ?

En 1946, Robert Lacoste, rapporteur de la commission des affaires économiques à l’Assemblée constituante déclarait : « De l’expérience passée se dégage l’enseignement que seul un établissement public et national pourra réaliser le programme d’équipement envisagé depuis plusieurs années, achever l’électrification des campagnes - c’était le problème à l’époque -, élargir et moderniser notre appareil de distribution. »

Si, d’une certaine façon, les enjeux ne sont plus vraiment les mêmes, chacun en a conscience, d’un autre côté, et c’est là que nous divergeons, ils demeurent : indépendance énergétique, droit d’accès pour tous à l’énergie - l’énergie d’aujourd’hui, pas celle de 1946 -, garantie de la péréquation tarifaire nationale, sécurité des installations gazières.

La maîtrise de notre secteur énergétique est toujours essentielle. Le contexte géopolitique international actuel impose, plus que jamais, de préserver des alliances stables et durables avec les pays fournisseurs de gaz. Vous ne nous avez pas démontré le contraire.

Or, nous l’avons dit à de multiples reprises, les contrats à long terme ne survivront pas à la logique de déréglementation du marché de l’énergie que vous mettez allègrement en oeuvre ! Avec votre projet de loi, c’est la sécurité d’approvisionnement de notre pays qui est mise en danger : vous exposez la population à des ruptures d’approvisionnement en gaz.

Le ministre de l’économie, M. Thierry Breton, affirmait de manière éhontée, avant de s’envoler pour la Chine : « Les missions de service public seront maintenues ; elles n’ont rien à voir avec la détention du capital. »

Qui croyez-vous tromper quand on voit ce qu’est devenu le service public lorsqu’il est assuré par des sociétés privées, notamment dans le domaine de l’eau et de l’assainissement ?

D’ailleurs, dans votre texte, tout est organisé pour anéantir le service public de l’énergie. Vous détruisez un outil efficace pour proposer des remèdes notoirement insuffisants ou à tout le moins aléatoires.

Ainsi, la péréquation tarifaire, véritable expression de la solidarité nationale, est totalement abandonnée et remplacée par une tarification sociale de portée plus que limitée. Qu’est devenu le droit à l’énergie affirmée par la loi de 2000 et confirmé par la loi de 2004 ?

Votre entêtement à renoncer aux tarifs régulés alors même que les clients non domestiques ont fait les frais de l’exercice de leur éligibilité confine au ridicule. Encore une fois, quelle solution proposez-vous ? Faire payer vos erreurs à l’entreprise publique EDF, et donc aux usagers !

En bref, le Gouvernement a adopté une position dogmatique - mais qui sert des intérêts particuliers - et n’a pas cru nécessaire de tenir compte des mises en garde émanant de l’opposition, des syndicats, mais également de certains membres de la majorité si j’en crois les défections qui ont eu lieu hier lors du vote sur un amendement de l’UDF qui, hélas ! n’a pas été adopté.

Ainsi, en dépit de l’incertitude qui subsiste sur le projet de fusion de Suez et de GDF, présenté comme le fin du fin, sur les positions précises qu’adoptera la Commission européenne et bien que la France n’ait pas lutté pour défendre la fusion d’EDF et de GDF, vous persistez.

Pour toutes ces raisons, nous persistons, nous aussi, et nous voterons contre un projet de loi qui est en rupture avec les grands progrès sociaux et économiques qu’a connus notre pays. Nous voterons contre ce texte parce que la privatisation qu’il commande aura des conséquences désastreuses non seulement pour les usagers, mais aussi pour l’ensemble de l’activité économique de notre pays et pour tous les salariés de l’industrie gazière. Oui, il reste des parlementaires pour défendre l’honneur de notre pays, qui a su se doter de grands services publics que beaucoup nous envient.

Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC

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