Responsabilité environnementale

Publié le 27 mai 2008 à 11:14 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la directive sur la responsabilité environnementale a le mérite de reconnaître au niveau européen la nécessité de prévenir et de réparer les dommages environnementaux, dommages causés à des choses insusceptibles d’appropriation qui rendent des services vitaux à l’humanité.

Cette directive met en œuvre le principe pollueur-payeur dans son acception la plus avancée, puisqu’elle entend mettre à la charge de celui qui les rend nécessaires le coût des mesures de protection de l’environnement.

Ainsi, le texte communautaire s’écarte d’une lecture restrictive du principe qui imposerait uniquement au pollueur la réparation des dommages. Nous serons très attentifs au fait qu’au cours des débats cette option ne soit pas dénaturée par la possibilité d’acheter le droit de polluer, par exemple.

Cela étant dit, le projet de loi comme la directive restent imprégnés d’une vision libérale et manquent d’ambition par rapport aux objectifs qu’ils affichent.

Cette vision est partagée, semble-t-il, par le rapporteur qui « juge impératif de ne pas soumettre la France à des contraintes excessives qui entraîneraient des distorsions de concurrence importantes ».

Bien entendu, nous ne souscrivons pas à cette vision. Pour nous, les réglementations contraignantes sont normales. Elles sont aussi les moteurs pour accomplir des progrès. Elles ne constituent pas un handicap en soi. Ceux qui sauront prendre le train aujourd’hui seront les gagnants de demain, nous en sommes absolument convaincus.

Avant d’aborder le contenu très dense du projet de loi relatif à la responsabilité environnementale, je voudrais dire quelques mots sur la procédure parlementaire choisie, qui en a dicté les modalités d’examen.

Le texte que nous examinons a été déposé au Sénat le 5 avril 2007. Il transpose en droit interne une directive du 24 avril 2004 sur la responsabilité environnementale relative à la prévention et la réparation des dommages environnementaux, transposition dont la date limite était fixée au 30 avril 2007.

Force est de constater le retard pris dans la transposition de cette directive, retard qu’on ne saurait raisonnablement justifier par un ordre du jour surchargé. La surcharge en question n’existe que par la volonté et les choix du Gouvernement.

Or cette mauvaise organisation du calendrier a de fâcheuses conséquences sur le travail parlementaire. En effet, comme plusieurs orateurs l’ont souligné, l’urgence a encore été déclarée, alors que la technicité des dispositions justifiait largement deux lectures.

De plus, la limite de dépôt des amendements a été fixée à lundi, à midi, alors que nous avons eu connaissance du rapport, document essentiel à la compréhension de la volonté majoritaire, seulement en fin de semaine dernière.

Enfin, nous regrettons vivement que la transposition de quatre directives, à savoir la directive 2005/35/CE du 7 septembre 2005 relative à la pollution causée par les navires et à l’introduction de sanctions en cas d’infractions de pollution, la directive 2002/3/CE du 12 février 2002 relative à l’ozone dans l’air ambiant, la directive 2004/107/CE du 15 décembre 2004 concernant l’arsenic, le cadmium, le mercure, le nickel et les hydrocarbures aromatiques polycycliques dans l’air ambiant, enfin, la directive 98/8/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 concernant la mise sur le marché des produits biocides, se fasse via des amendements, sorte de cavaliers que nous découvrons une semaine avant les débats en séance et qui n’ont donné lieu à aucune audition.

M. Thierry Repentin. Très bien !

Mme Évelyne Didier. À l’heure des grandes déclarations sur le renforcement des pouvoirs du Parlement, permettez- moi de protester énergiquement !

M. Robert Bret. Drôle de façon de travailler !

Mme Évelyne Didier. Sur le fond, il aura fallu une dizaine d’années à la Commission européenne pour adopter le projet de directive sur la responsabilité environnementale, preuve de la complexité du texte.

Quant à nous, nous devons nous contenter d’une semaine et de quelques minutes de temps de parole. Nos réflexions ne seront donc pas exhaustives.

Le texte communautaire issu d’une conciliation est déjà en retrait par rapport aux exigences qu’il eût été nécessaire d’avoir afin d’assurer une pleine responsabilité en matière environnementale.

Ainsi, le principe pollueur-payeur aurait pu être appliqué avec beaucoup plus de rigueur aux côtés d’un régime de garantie financière obligatoire et immédiat.

Rappelons que rien n’empêche la France, en vertu du principe de subsidiarité, de prendre des mesures plus contraignantes afin de garantir la mise en œuvre d’une politique forte en matière de développement durable, comme elle s’en est fixé officiellement l’objectif avec le Grenelle de l’environnement. Malheureusement, le projet de loi manque d’ambition au regard des enjeux de protection des sols, des eaux, des espèces et des habitats protégés.

En premier lieu, le texte reste flou sur un certain nombre de notions juridiques. Son champ d’application limité, les exonérations de responsabilité prévues sont autant de limites aux objectifs affichés.

L’article L. 161-1 fait allusion à des « dommages causés à l’environnement ». Conformément à l’article 2.2 de la directive, il fait référence à des « modifications négatives mesurables affectant gravement » les sols, eaux, espèces et milieux naturels.

Qu’entendez-vous par là exactement, madame la secrétaire d’État ? Je suppose que vous allez nous donner des précisions. La réponse à cette question est importante, car elle détermine en grande partie l’efficacité du dispositif. Il nous semble que la seule mention de dommages aurait suffi.

Ensuite, le dommage causé au sol n’est concerné que dans la mesure où la pollution aurait un risque d’incidence « négative grave » sur la santé humaine. Il paraît anormal d’écarter du dispositif toutes les autres pollutions des sols sous le prétexte qu’elles ne nuiraient pas gravement à la santé de l’homme.

Nous reviendrons dans le débat sur la limitation du champ d’application du dispositif. Nous avons d’ailleurs déposé des amendements afin d’apporter des corrections.

L’article L. 161-1 transpose également les exceptions prévues par la directive dans les cas où la responsabilité ou l’indemnisation est prévue par une convention internationale. Nous exposerons lors des débats pourquoi cette limitation ne se justifie pas et pourquoi nous demandons sa suppression.

En second lieu, je voudrais insister sur la notion d’ « exploitant ». Ce point est pour nous la pierre angulaire du dispositif. Le groupe communiste républicain et citoyen, je le dis clairement, demande que la responsabilité des sociétés mères puisse être engagée.

Le projet de loi prévoit un texte flou qui n’exclut pas cette possibilité, sans l’affirmer pour autant. Je reviendrai plus en détail, lors des débats, sur l’exemple de Metaleurop. S’il n’est pas possible d’engager la responsabilité des sociétés mères, celles-ci vont créer des filiales auxquelles elles vont apporter les outils utiles à l’activité. On aura des scissions de société et des apports partiels d’actifs. Tant qu’il n’y a pas d’accident grave, les bénéfices des filiales remontent à la société mère sous forme de dividendes.

M. Jean Desessard. Absolument !

Mme Évelyne Didier. En cas de dommage environnemental, cette dernière ne sera pas concernée, la filiale pourra être liquidée, et les moyens dégagés risqueront de ne pas être à la hauteur des réparations nécessaires. Nous déposerons donc un amendement visant à corriger cette imperfection.

À ces limites matérielles s’ajoutent des limites temporelles. En effet, l’article L. 161-5, conformément à l’article 17 de la directive, pose le principe de la prescription trentenaire. Les demandes de réparation resteront lettre morte lorsque plus de trente ans se seront écoulés depuis l’émission, l’événement, ou l’incident ayant causé le dommage.

Cette disposition présente l’inconvénient majeur de dédouaner l’exploitant peu scrupuleux qui aurait caché avec succès un tel événement. De plus, elle sera difficile à appliquer pour les pollutions multicausales. Nous avons déposé un amendement pour que le point de départ de cette prescription soit porté au jour où le titulaire d’un droit a ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Venons-en maintenant au chapitre II relatif au régime. La section 1 pose les principes du régime de responsabilité sans faute pour les activités les plus dangereuses et avec faute pour les autres, mais uniquement pour les dommages aux espèces et habitats naturels. Qu’en est-il des sols ? La liste des activités professionnelles dont la responsabilité peut être engagée au regard du risque est fixée par décret en Conseil d’État ; au moins faudrait-il que cette liste ne soit pas considérée comme exhaustive.

L’article L. 162-4 précise qu’une personne victime d’un dommage ne peut en demander réparation sur le fondement du présent titre et exclut, entre autres, les actions des associations de défense de l’environnement. Nous souhaitons que la loi indique expressément que cette exclusion ne vaut pas pour les autres régimes de responsabilité en vigueur.

Je voudrais évoquer ici, eu égard au rôle remarquable des associations de défense de l’environnement, la question des lanceurs d’alerte. Il nous semble utile de mettre en place un statut afin de protéger les scientifiques et les employés d’entreprise qui avertissent le public des dangers éventuels de certaines activités, produits, etc.

Au-delà des déclarations de principe contenues dans le projet « Grenelle I », nous aimerions connaître les intentions du Gouvernement sur cette question.

Par ailleurs, qu’il s’agisse de la section sur les mesures de prévention ou de réparation des dommages, ou de la sous-section relative à la mise en œuvre des mesures de prévention ou de réparation, les dispositions sont à la fois imprécises, insuffisantes et laissent, selon nous, trop de marges de manœuvre à l’exploitant. La prévention est limitée par l’existence d’une menace imminente. On est donc loin des mesures de prévention, qui devraient être encouragées dans n’importe quelle activité présentant un risque pour l’environnement.

Le projet de loi n’apporte pas de solutions à la question de l’évaluation des dommages ; il n’aborde pas la nécessité de garantir une expertise indépendante et impartiale. Au contraire, il ouvre la possibilité pour l’autorité administrative de demander à l’exploitant de procéder à sa propre évaluation. Ne risque-t-on pas, face au manque de moyens, de valider sans autre contrôle une telle évaluation ?

Cela me conduit à évoquer la section 3 relative aux pouvoirs de police administrative reconnus au préfet.

Les nouvelles missions du préfet, chargé de conseiller et de négocier avec les entreprises les mesures préventives ou réparatrices, supposent des compétences et des pouvoirs qui, jusque-là, ne lui étaient pas dévolus. Or le texte ne dit rien des moyens qui seront mis en œuvre afin de renforcer les corps de contrôle, dont le rôle sera primordial pour l’application des nouvelles mesures.

Enfin, les dispositions relatives au coût des mesures de prévention et de réparation nous semblent, et c’est un euphémisme, perfectibles.

Le patronat a ainsi obtenu satisfaction en matière d’exonération de l’exploitant pour « risque de développement ». Il est précisé que l’exploitant ne supporte pas les coûts de réparation lorsqu’il apporte la preuve qu’il n’a pas commis de faute et que le dommage résulte d’une activité qui n’était pas considérée comme susceptible de causer des dommages à l’environnement compte tenu de l’état des connaissances scientifiques au moment du fait générateur.

Nous souhaitons la suppression de cette disposition. Il est, en effet, difficile d’établir l’état des connaissances scientifiques à un moment donné, notamment lors d’un procès qui pourra se dérouler plusieurs années après les faits. Dans certains cas, on se sait plus très bien quelle était la législation en vigueur à l’époque et les textes sont parfois difficiles à retrouver.

Sous le bénéfice de toutes ces remarques qui, je le répète, sont loin d’être exhaustives, le groupe communiste républicain et citoyen réserve son vote à la prise en compte des amendements qui viseront à renforcer les dispositifs mis en place.

Cela étant dit, je tiens, d’ores et déjà, à réitérer notre fort attachement à la question de la responsabilité des sociétés mères.

Évelyne Didier

Ancienne sénatrice de Meurthe-et-Moselle
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